Le catholicisme belge bouscule le pape
Bernadette Sauvaget.
En voyage apostolique au Luxembourg et en Belgique, le pape François ne s’attendait peut-être pas à être titillé par des institutions pourtant très catholiques.
Il y a eu de la musique, des sourires, de la courtoisie. Et beaucoup d’applaudissements. Malgré tout, le voyage que le pape François a accompli du 26 au 29 septembre au Luxembourg et en Belgique a été l’un des plus difficiles de son pontificat. S’y attendait-il ? Rien n’est moins sûr, tant Bergoglio a souvent affiché, au cours de ce déplacement, sa mine renfrognée des mauvais jours. À plusieurs reprises, le chef de l’Église catholique a été fermement interpellé sur des dossiers brûlants, la pédocriminalité et la place des femmes, montrant que la force de contestation du catholicisme belge est dans la lignée de celle de son voisin allemand.
Reçu vendredi matin au château de Laeken, la résidence officielle des souverains belges, le pape a dû répondre aux questionnements fermes du roi Philippe et du Premier ministre démissionnaire, Alexander De Croo, sur des questions polémiques, celles des crimes sexuels et des adoptions forcées. En effet, après la tourmente des années 2008-2010, le pays est sous le coup de nouveaux scandales. Sortant de son discours, le pape a martelé devant les représentants de la société et des victimes la « honte » que représentaient ces dérives.
Il a été contraint d’intervenir à plusieurs reprises sur le sujet de la pédocriminalité et de formuler des engagements forts. « Je demande à tout le monde : ne dissimulez pas les abus ! Je demande aux évêques : ne dissimulez pas les agresseurs ! Condamnez les agresseurs et aidez-les à se remettre de cette maladie de la maltraitance », a-t-il déclaré lors de son homélie pendant la messe de clôture.
À l’approche du synode qui s’ouvre à Rome, le pape a aussi été mis en difficulté sur la question de la place des femmes dans l’Église catholique, un thème qu’il a finalement écarté du programme. Point d’orgue de son voyage, ses visites aux universités catholiques de Leuven et de Louvain-la-Neuve, qui fêtent en 2025 les six cents ans de leur fondation, ont été particulièrement délicates. Certes, dans leurs murs, le pape de l’encyclique Laudato si’ a été encensé car ce texte constitue clairement un point de rencontre avec les jeunes générations, mais le fossé est très profond en ce qui concerne les questions de genre. « L’appel à un développement intégral nous paraît peu compatible avec les positions sur l’homosexualité et la place des femmes dans l’Église catholique », lui ont signifié, dans un texte collectif, les étudiants. En réponse, le pape a développé une ligne très classique, voire conservatrice, sur le thème « L’Église est une femme », ajoutant que la femme est « accueil fécond, soin, dévouement vital ». Ce qui n’a pas convaincu ! Fait rarissime dans l’histoire de la papauté, l’Université de Louvain-la-Neuve a, en retour, publié un communiqué pour marquer « son incompréhension » et « son désaccord » avec les positions de François, qualifiées de « déterministe[s] et réductrice[s] ».
Face à l’adversité, le jésuite n’a pas pour autant cédé un pouce. Ce qu’il ne pouvait formuler dans ses discours, il l’a manifesté en actes, adepte, comme le décrivait le philosophe et théologien argentin Juan Carlos Scannone, de la théologie du geste. En privé, le pape s’est recueilli samedi matin sur la tombe du roi Baudouin, fervent catholique qui avait abdiqué pendant trente-six heures en 1990 pour ne pas signer la loi dépénalisant l’avortement. Le message était clair sans être explicite, le pape notant le « courage » du défunt souverain. Au-delà de l’IVG, c’était également une sorte de rappel à l’ordre global, incluant la condamnation de l’euthanasie, la Belgique étant l’un des premiers pays à l’avoir légalisée.
Ce geste a allumé la polémique dans la presse belge. Un peu gêné, le palais royal a fait savoir que les souverains accompagnaient le pape « par courtoisie » lors de cette « visite impromptue ». Quant à François, il n’a pas voulu en démordre. Pour enfoncer le clou, il a même annoncé, lors de la messe de clôture, qu’il allait ouvrir le processus de béatification du roi Baudouin, surprenant y compris le clergé belge. Interrogé dans l’avion lors du voyage de retour à Rome, le chef de l’Église catholique a, de nouveau, qualifié les médecins pratiquant l’avortement de « tueurs à gages », et rendu hommage au roi Baudouin, se laissant aller à une expression digne d’un vieux macho latino. Au sujet de ce dernier, le pape a en effet déclaré : « Il n’a pas signé, il faut du courage non ? Il faut un homme politique “avec un pantalon” pour faire cela. »
[1] Note de la rédaction :
Dans la foulée de la séance à l’Aula Magna, l’UCLouvain diffuse un communiqué à travers lequel elle se distancie des propos exprimés par le Pape sur les femmes. L’université exprime « son incompréhension et sa désapprobation ».
Si l’UCLouvain prend soin de remercier le Pape d’avoir répondu à l’invitation et d’avoir exprimé ses préoccupations, elle « déplore néanmoins les positions conservatrices exprimées par celui-ci quant à la place des femmes dans la société ».
« Incompréhension et désapprobation »
« Nous constatons des convergences en rapport avec les inégalités environnementales et sociales que dénonce l’UCLouvain », précise la rectrice Smets. « Mais nous notons également une divergence majeure, en ce qui concerne la place des femmes dans la société. »
Le langage est clair : « L’UCLouvain exprime son incompréhension et sa désapprobation quant à la position exprimée par le pape François concernant la place des femmes dans l’Eglise et dans la société. “La femme est accueil fécond, soin, dévouement vital”, a-t-il déclaré. Une position déterministe et réductrice face à laquelle l’UCLouvain ne peut qu’exprimer son désaccord. »
L’UCLouvain prend soin de réaffirmer « sa volonté pour que chacune et chacun s’épanouisse en son sein et dans la société, quelles que soient ses origines, son sexe ou ses orientations sexuelles. Elle appelle l’Eglise à emprunter le même chemin, sans aucune forme de discrimination ».
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Source : https://www.temoignagechretien.fr/le-catholicisme-belge-bouscule-le-pape/