François : figure et clé de voûte ou goulet d’étranglement des promesses du synode ?
Patrice Dunois-Canette.
François nous a fait croire – et parlons vrai : nous ne demandions qu’à le croire – qu’il pouvait être pape en refusant de l’être… ou pour dire les choses d’une autre manière, qu’il pouvait être pape « autrement », qu’il était même « autrement Pape ».
Les médias ont « fait le buzz » autour de la figure d’un pape nouveau style, d’un pape d’un autre genre, d’un pape qui fait « autrement » le pape et nous avons cru en l’avenir de la papauté, de l’Église et de sa capacité à se réformer. François en serait l’acteur
Son élection n’était-elle pas qualifiée alors qu’il venait juste d’apparaître au balcon de Saint-Pierre comme un « signal extraordinaire et révolutionnaire », « la preuve de l’existence d’une Église qui sait encore surprendre » ? L’opinion publique papophile – particulièrement en France aujourd’hui, mais ça n’a pas toujours été le cas- et prête à faire de chaque nouveau pontife une figure d’exception – un pape est par nature un être hors du commun- a suivi, et nous a confortés dans ce sentiment.
Un pape qui dit « bonsoir » et se fait bénir par la foule au moment de son élection, refuse l’appartement de fonction au Vatican, se faire prendre en photos avec des jeunes en selfie, appelle au téléphone des personnes qui lui ont écrit, serre les mains, embrasse, troque sa calotte pour une autre coiffe, balade à travers le monde ses airs de « vicaire de paroisse » -dont beaucoup sont nostalgiques -, multiplie les maximes et aphorismes ecclésiastiques, parle un peu « cru » (pour un pape) sur la sexualité, aime le football… Ne pouvait être qu’un pape providentiel, qu’un pape en phase avec son temps, un pape qui allait faire en sorte que l’Église habite son époque !
Nous avions un pape qui donnait le sentiment d’être à la portée de chacun, nous avions un « petit » sur le trône de Saint-Pierre. Bergoglio venu d’Amérique latine était « l’élu », l’« attendu », l’« espéré ».
François s’est rapidement coulé dans l’image médiatique d’un Pape qui n’était pas pape comme ses prédécesseurs, faisant trop vite oublier, avec notre consentement plus ou moins tacite, le Bergoglio conservateur, l’homme « au profil bas », peu déterminé quand il s’agissait de prendre position par rapport à la dictature militaire en Argentine.
Mais François pasteur « bonhomme » est, finalement, au-delà de l’image, demeuré un pape tel que l’Église catholique romaine le veut, un pape d’une institution monarchique, un pape, qui refuse l’apparat fustige certes les coteries de la Curie et le cléricalisme, mais gouverne de manière verticale, décide de tout, seul, s’emploie à demeurer le centre de gravité de l’Église… Fait le « job » comme l’institution veut qu’il le fasse et pense qu’il doit le faire pour la plus grande gloire et continuation de l’Église telle qu’il pense qu’elle doit être et qu’on nous enseigne qu’elle doit être.
L’« empire des papes » qui s’est coulé dans un moule emprunté à la structure impériale romaine, depuis le Ve siècle, continue avec François.
D’un mot, d’une phrase, il reprend ou écarte, énonce une position (parfois nettement déterministe, réductrice, blessante ou injurieuse : femmes, homosexuels, médecins pratiquants des interruptions de grossesse…), dit ce qui est opportun ou non, faisable ou pas, ce qui peut se faire ou ne doit pas se faire… confirme en quelque sorte un « régime de certitudes », face auquel, pour les simples croyants, comme pour les responsables des Églises locales, il ne reste plus qu’un « régime de soumission », ou de tentatives désespérées d’explications.
François n’est pas parvenu, ne peut, ou ne veut finalement, parvenir à trouver une combinaison satisfaisante entre l’axe vertical de son pouvoir central tel qu’il en a hérité et l’axe horizontal des débats. Il montre ainsi la difficulté, l’impossibilité ou l’incapacité de l’Église à se réformer. Il « fait » le Pape en donnant le sentiment de refuser de l’être tout en l’étant sans concession, ce qui paralyse et empêche tout réel mouvement.
Dans une culture qui est antidogmatique, pluraliste et marquée par la liberté publique de la conscience, il a montré que l’Église romaine ne s’imagine pas, ne peut pas ou ne veut pas s’imaginer autrement que comme devant être unique, monolithique et donc intransigeante, dressée comme le relativisme et la permissivité, souveraine pour définir le bien, le mal, le faux, le juste…. Et l’on peut bien par mille et savantes contorsions vouloir dire le contraire, les faits sont là, têtus, qui ne se laissent pas effacer un sentimentalisme encore vivace vis-à-vis du pontife… François n’est pas, ne veut ou ne peut être le pape d’une Église d’Églises, d’une Église plurielle. Il gouverne et dit ce qui est et sera pour une Église sommée de rester dans les rangs pour rester elle-même.
François dit ce qui est possible et impossible, fidèle ou infidèle, canonique ou pas, conforme ou non, orthodoxe ou hétérodoxe, ouvre et ferme le débat. Il décide souverain d’un mot, d’une phrase lancée aux journalistes lors d’une interview ou dans l’avion qui le ramène à Rome lors de ses voyages. Et peu importe que des milliers de catholiques de continents et de situations, de besoins et d’aspirations différentes voient les choses autrement et à tout le moins demandent avec insistance à être impliqués dans des décisions qui les regardent. S’ils persistent, ils sont accusés de vouloir diviser, pire, de vouloir provoquer le schisme, de déchirer la tunique unique.
Aujourd’hui l’inquiétude est bien réelle. Un synode inédit, dit aussi « synode sur la synodalité », un vaste processus lancé en 2021, entre dans sa seconde et dernière étape et in fine, c’est le pape de cette Église qui ne veut pas se penser diverse qui décidera, prendra les décisions. Et rien ne semble plaider pour une heureuse surprise.
Les fidèles des Églises catholiques des divers continents, unités culturelles et politiques, ont été embarqués dans un processus dopé aux bonnes intentions, placé sous le signe de la « conversion à l’Esprit », promis, avec emphase à un « kairos », permettant de faire mûrir les mentalités et de concrétiser ensemble des « propositions puisées au cœur de l’Évangile »… On leur a promis un synode qui faisait de la « synodalité » une « vertu », censé faire advenir une institution plus inclusive, moins verticale, moins centralisée.
Le processus a été trop long, trop compliqué, trop placé sous contrôle des autorités, trop théorique, trop centré sur lui-même, sa méthode et son déroulement, et trop peu sur les résultats cherchés, incapable de dire vraiment où il veut aller et comment il prendra les décisions qui s’imposent. Et il a été ponctué maintes fois par le pape François de rappels à l’ordre, de fin de non-recevoir prématurée, de mises en garde.
À tort ou à raison, ce synode au départ décentralisé a donné l’impression d’être une sorte de grand « happening spirituel » censé produire le nouveau. Il apparaît aujourd’hui comme une immense machine, qui tourne à vide et qui risque de ne produire que du trop peu ou du rien, parce son horizon est le maintien d’une Église unique, monolytique. Le temps où le synode avait des airs de synodes d’Églises catholiques diverses par leur géographie, culture, préoccupations, besoins n’est plus. Le temps du plus petit dénominateur commun semble être devenu l’horizon. Le statu quo conservateur en somme.
Les fidèles de tous les continents, de tous les ensembles culturels qui consacrent du temps et des énergies à ce synode, ne veulent pas seulement qu’on les écoute. Ils veulent être entendus. Ils veulent bien comprendre que l’on ne peut changer les structures sans transformer la manière de les vivre et de les habiter, mais ils veulent que les structures changent pour que leurs Églises puissent vivre.
Ils veulent bien entendre que la particularité de la synodalité dans l’Église par rapport à d’autres manières laïques d’envisager la gouvernance, c’est qu’elle ne se situe pas dans une logique où il s’agit pour une tendance d’obtenir la majorité afin de faire triompher ses idées, mais ils veulent savoir si les décisions qui vont se prendre tiendront compte réellement de leurs vœux et demandes, situations et besoins, comment et sous quel contrôle.
Ils veulent bien croire que la synodalité, comme chemin de conversion et de réforme, peut améliorer la mission et la participation de tous les baptisés, mais ils veulent que la synodalité débouche, non sur des recommandations vagues, mais sur des mesures à mettre en œuvre concrètement chez eux.
Ils veulent que des mesures soient prises qui permettront enfin à l’Église de sortir des enfermements doctrinaux et de ses condamnations, de sortir des enfers des abus sexuels systémiques, de rompre avec l’exercice d’un pouvoir vertical et monarchique.
Ils veulent que soient redéfinis la place de leur Église dans l’Église, le statut et le rôle de leurs responsables directs. Ils veulent que les femmes aient une place dans leur Église (accès au diaconat et à l’ordination presbytérale…), qui ne soit plus définie par les hommes de Rome.
Ils n’oublient pas, modèles de patience, que depuis de nombreuses décennies, ils réitèrent les mêmes demandes, inlassablement s’efforcent de les fonder, et voient leurs questions et demandes disqualifiées, renvoyées à plus loin, plus haut, et craignent aujourd’hui qu’elles soient confiées à des commissions romaines qui succèdent à d’autres commissions. Ils veulent que leurs questions et demandes soient « rapatriées ». Ils ne veulent pas en être « dépossédés ».
Ils veulent que cesse un renvoi facile à une archéologie biblique « otage » à qui reviendrait le dernier mot de tout pour tout décider de ce que l’Église peut ou ne peut faire aujourd’hui. Ils veulent qu’on ne les ramène pas toujours à hier pour trouver des réponses à des questions qu’hier on ne pouvait pas se poser.
Ils veulent que leurs desiderata trouvent une réponse qui ne relève plus d’un » pathos » spirituel, déconnecté, pieux et anesthésiant, mondialisé.
Ils sont inquiets parce qu’aujourd’hui François par son autoritarisme apparaît comme le pape d’une institution lasse et sans grande capacité à se réinventer, impuissante à inscrire dans un calendrier les réformes auxquelles l’Église peut difficilement se soustraire. À vouloir ne pas changer, l’Église s’éloigne de la culture, s’éloigne des hommes, apparaît comme le lieutenant d’un Dieu contempteur, d’un Dieu qui est finalement de trop.
Comment, demain, si la montagne de ce synode n’accouche que d’une souris, la tradition évangélique pourra-t-elle nourrir un « projet catholique » répondant aux exigences contemporaines ? Comment pourra-t-elle retrouver le chemin de l’essentiel : les paroles libératrices à faire entendre qui apprendront à ne pas abdiquer en face du malheur, de l’exploitation, de la domination, de la désespérance, de la finitude, de tout ce qui dépossède les personnes de leurs droits, de leur liberté et de leur responsabilité… de la finitude ?
François vu un temps comme figure et clé de voûte du renouvellement semble devenir, par sa verticalité et son autoritarisme, le goulet d’étranglement des nécessaires réformes. Y aura-t-il une divine surprise quand le temps proche où il décidera sera venu ?
Sera-t-il être le pape d’un catholicisme qui enfin clarifie ses positions par rapport à la culture contemporaine, un pape qui réinvente la papauté, fait le pape « autrement » pour, donner à l’Église, aux Églises catholiques, la liberté de vivre autrement ? Demeurera-t-il envers et contre tout le pape d’une « fiction », celle d’une Église unique, marchant au même pas… cadencé ?
François par ses contradictions affichées, son « tango » idéologique et ecclésiologique, a fait que le synode semble ne plus être que l’avant-conclave du conclave qui désignera son successeur. La « marche en avant » promise du synode se terminera sans doute, par un marchandage autour de l’ampleur d’une glaciation que l’actuel pape ne souhaite pas, mais dont il ne sera pas tout à fait innocent.
François a voulu un synode, a invité autrement dit les catholiques à prendre un train, sans vraiment vouloir avec détermination que ce train aille jusqu’à destination, le freinant ou le stoppant comme et quand il le voulait. On n’embarque pas impunément dans un voyage sans tout mettre en œuvre pour qu’il tienne ses promesses. La déception qui pourrait suivre aurait des effets désastreux durables.
Mais peut-être, les dés étaient-ils pipés d’avance, quand il a été décidé de tout ramener à Rome pour vouloir tout regarder au travers d’une grille unique.
C’est tout autre chose, mais gageons qu’il sera reproché à François, à mon sens à juste titre, son affirmation têtue, obstinée, autoritaire : « je n’irai pas à Paris ; je n’irai pas à Paris ». Il n’a pas dit pourquoi et beaucoup y sont allés de leurs explications.
Notre-Dame de Paris, Paris, la France, l’Europe, le monde se passeront de lui certes, mais le mal en tout cas est fait. Notre-Dame est un lieu qui parle à tous au XXIe siècle et il n’y a pas beaucoup de monuments qui le peuvent. Lieu de pouvoir, le Vatican est-il un lieu d’une telle profondeur, vérité et singularité, d’un tel gisement de sens ? Pour sa réouverture, Notre-Dame méritait bien une messe.