Un synode synonyme de déconvenue et de trahison ?
Patrice Dunois-Canette.
Il serait souhaitable de faire passer aux mots un examen de signification.
Les mots choisis par la presse catholique pour tenter un bilan d’un synode dont la plupart ne retiendront rien méritent d’être proposés à cet examen.
Prenons à tout seigneur tout honneur, le quotidien catholique La Croix.
Si vous ne saviez pas à quoi devait servir le synode, La Croix depuis Rome, vous dit sans le dire, que ce synode finalement a été une vaste opération de communication : François voulait « donner à voir une Église moins rigide, plus diverse et décontractée ». Opération réussie ? Pour qui ? Pour quoi faire ? …
De l’aveu du journal, en tout cas, le thème choisi a pu paraître « obscur ». Fort heureusement, rassure le quotidien, chacun comprendra à la lecture du document final de 51 pages que la synodalité est un mode de « gouvernance ».
Attention, précise très vite La Croix, qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit « pas d’une révolution » -ouf ! -dans l’Église, et encore moins « d’une rupture » : la primauté du successeur de Pierre, celle du pape sur les autres évêques, demeure… Mais elle doit désormais « s’exprimer d’une autre manière : moins monarchique, moins pyramidale et moins autoritaire ».
Ni révolution ni rupture, donc.
Tout est question de style, d’expression, de manière d’être et de faire, d’allure, d’attitude, d’apparence, d’image.
La monarchie demeure, mais La Croix nous annonce en quelque sorte l’avènement d’une monarchie plus libérale. L’adverbe « moins » est privilégié. Pas l’adverbe « plus » comme par exemple plus démocratique. Un mot et une réalité que, semble-t-il, l’Église continue à ne pas aimer beaucoup.
Le terme choisi pour évoquer le rôle du Pape est « gouvernance ». Le vocable, avouons-le, est commode, fait sérieux et semble promettre pas des demains certes, mais des lendemains qui chantent.
L’Église use et abuse de ce terme. Et paresseusement nous lui attribuons toutes sortes de vertus plus ou moins vagues, non précisées en tout cas. Le mot qui n’est pas un anglicisme, mais bien un mot français est devenu une sorte de « mantra » qu’on agite dès qu’il s’agit de vouloir mettre son nez dans la réalité ordinaire et concrète des choses, les mécanismes de décisions, regarder qui finalement décide et comment.
C’est tout et rien, tout et n’importe quoi. On peut faire dire tout ce que l’on veut à ce vocable. Et on ne s’en prive pas dans les diocèses. C’est un concept flou. Un concept qui dissout les questions posées par le maintien d’un pouvoir centralisé et sacralisé, d’un cléricalisme qui ne lâche rien.
Parler de gouvernance, c’est privilégier le sentiment, l’affect, le paraitre plutôt que les formes, les structures, les règles et les normes, les régulations, les procédures, les process.
C’est évoquer une vague et peu concrète alternative aux dysfonctionnements du gouvernement de l’Église, au maintien d’un gouvernement de droit divin et à la perpétuation d’une monarchie absolue, verticale, patriarcale, concentrant dans les mains d’un seul les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire… monarchie « clonée » dans les diocèses et souvent les paroisses par les clercs.
De quoi au juste parle l’Église lorsqu’elle choisit ce mot-valise ? que veut-elle dire ou ne pas vouloir dire en privilégiant ce mot qui semble vouloir adoucir et euphémiser celui de gouvernement ? L’Église veut-elle inventer un modèle de gouvernement inédit, qui lui soit propre et ne soit plus l’héritier de la Rome impériale ?
Le pape en décidant de ne pas publier d’exhortation apostolique à l’issue du synode a-t-il accepté que soient retenus les 155 articles adoptés le 26 octobre par les 356 membres du Synode ? Quand bien même certains de ces articles contredissent ces récentes affirmations et fins de non-recevoir…
Si François, nous dit La Croix, approuve « expressément » le document final voté par l’Assemblée, si, pour reprendre les mots du quotidien catholique, le document rentre immédiatement « dans le magistère du pape », il ne devient pas « normatif » pour autant !
La Croix qui veut faire œuvre de pédagogie par rapport à un synode dont on ne comprend pas très bien à quoi il sert et donne le sentiment de n’avoir été qu’une immense thérapie ou happening spirituel pour ceux et celles qui l’ont fait, retient 10 propositions formulées par l’Assemblée.
Pour intéressantes qu’elles puissent être, on ne peut s’empêcher de penser en les lisant de retenir un « tout ça pour ça » déçu et un peu amer.
D’évidence ces propositions sont, si ce n’est des vœux pieux, des mesures qui n’ont pas besoin d’une mobilisation mondiale et du « théâtre » romain, pour exister et être mises en œuvre. Que les Églises locales qui sont l’Église fassent ce qu’elles ont à faire !
Le synode, semble-t-il, appartient maintenant à des commissions romaines. Des commissions qui seront suivies par d’autres commissions, comme on l’a vue déjà pour le diaconat des femmes ?
On entend bien le journal catholique quand il écrit à propos du synode que « Les conclusions peuvent paraître prudentes, voire décevantes sur le rôle des femmes ».
On s’interroge à bon droit quand il soutient que leur objectif est « moins d’afficher des certitudes que de promouvoir une façon d’avancer ensemble ». Ici La Croix dont on comprend l’embarra et l’inclinaison à vouloir être positive, troque la plume du journaliste pour prendre celle du missionnaire obligé d’une parole réconfortante : « Le Synode invite à se nourrir, à tous les échelons, de la sève qui irrigue les communautés de base. En s’abstenant d’écrire une exhortation qui aurait imposé sa lecture, le pape donne l’exemple. Il montre comment une figure d’autorité peut se tenir en retrait. Et invite chaque fidèle à prendre ses responsabilités, là où il ou elle se trouve ».
Ici, un grand journal donne le sentiment de prendre ses lecteurs pour des enfants de chœur. Les catholiques qui le lisent sont capables d’entendre, que peu a été fait, que tout reste à faire et que rien n’est joué.
L’Église a l’éternité devant elle sans doute, mais si rien ne bouge maintenant de manière significative et concrète, réelle et pratique, le synode deviendra synonyme de déconvenue et de trahison. La presse catholique le sait et doit le dire et pas seulement en prêtant ses colonnes pour une tribune (Marie Thiel) vite effacée par d’autres d’emblée plus pressées, dès qu’il s’agit de l’Église, à voir le verre plein quand bien même il est vide. Les catholiques sont adultes.