Matthieu Jasseron : une démission qui en dit long
Alexandre Ballario.
Le curé de Joigny (Yonne), Matthieu Jasseron, a annoncé le 21 octobre 2024, dans une longue vidéo postée sur sa chaîne You Tube, se retirer de la prêtrise : « Il me semble que je ne suis plus suffisamment en phase avec l’Église institutionnelle pour rester l’un de ses prédicateurs. (…) Je n’ai plus ce qu’il faut intérieurement pour être l’un des manageurs de l’institution. » Sans rentrer dans les détails, il explique s’être fait « molester et agresser physiquement par un évêque ». Et la liste des épreuves endurées est longue : « J’ai subi la pression des services secrets, des renseignements territoriaux pour me voir interdire un rassemblement d’Église juste parce que ma présence suscitait une certaine peur auprès de certains prélats, que je risque de dévoiler quelques scandales ». Le prêtre explique également avoir été « diffamé » par « des journaux chrétiens » et surtout mis au banc des accusés par l’institution : « On m’a envoyé au tribunal ecclésiastique pour me faire, en théorie, condamner par le chanoine pénitencier. Dieu merci, j’ai pu être relaxé. » Pour comprendre ce harcèlement en règle, il faut revenir sur le parcours atypique de cet homme arrivé sur le tard au sein de l’Église catholique, une « vocation tardive » qui aura été de courte durée.
Ancien conseiller en optimisation fiscale, Matthieu Jasseron est entré au séminaire en 2013 et a été ordonné en 2019. Nommé vicaire des paroisses du Christ-Roi et Saint-Jean-Baptiste de Joigny, son profil moderne et dynamique a vite séduit les fidèles. Il lance en 2020 durant le confinement une chaîne sur le réseau social TikTok intitulée « La vie, l’Évangile : clichés vs réalité » à l’adresse d’un public jeune. Une initiative qui va rencontrer un succès de taille puisque la chaîne va atteindre jusqu’à 1,2 million d’abonnés, mais qui va aussi progressivement lui attirer les foudres de l’institution sous la pression des réseaux conservateurs et intégristes. Dans l’une de ses vidéos en 2021, il affirme notamment que « l’homosexualité n’est pas un péché ». La Conférence des évêques de France publie alors un communiqué affirmant que « certaines des vidéos dénaturent le message de l’Église », bien aidée par la cathosphère numérique très majoritairement conservatrice (Cf. Golias Hebdo n°836). Matthieu Jasseron reçoit alors une réponse par vidéo interposée du dominicain Paul-Adrien d’Hardemare afin de rappeler la position de l’Église en la matière. Nommé curé de Saint-Jean-Baptiste de Joigny en septembre 2021 pour une durée de trois ans, le prêtre crée de nouveau la polémique en niant l’existence du diable qui, selon lui, ne ferait « pas tellement partie » de la foi catholique et ne serait qu’un conte pour enfants ». Lâché peu à peu par son évêque Hervé Giraud, sa force de frappe est néanmoins récupérée par l’Église qui le nomme en juillet 2022 « missionnaire numérique » afin de mobiliser les jeunes autour du synode sur la synodalité.
Le véritable tournant pour la vocation de Matthieu Jasseron semble s’opérer au mois de septembre 2023 et la parution de son livre Les histoires de cœur d’un jeune curé (Flammarion) dans lequel il revenait sur des anecdotes de carrière en ayant changé les identités des confessants. Malgré cette précaution nécessaire, il a été accusé d’avoir violé le secret de la confession jusqu’au tribunal ecclésiastique. Cette année a été « l’une des plus difficiles que j’ai eu à expérimenter en près de quatre décennies », explique-t-il dans sa vidéo de sortie. « Ce n’était pas la cause de tous les “dramas” qui s’en sont suivis, mais le catalyseur d’un putain de tsunami ». « On a usurpé deux fois mon identité sur les réseaux sociaux en plus de six mois. J’ai été diffamé par plusieurs journaux chrétiens qui savaient qu’ils écrivaient radicalement l’inverse de ce que je cherchais à exprimer, pour satisfaire leur audience et sans droit de réponse possible. » Sa confidente régulière, responsable d’une communauté religieuse, aurait quant à elle été menacée et incitée à trouver un moyen de le faire taire. Matthieu Jasseron déplore également qu’une levée de dons à hauteur de deux millions d’euros ait été « sabotée » par un évêque, ce qui aurait fait perdre 117 000 euros à sa paroisse, précise-t-il. Des « prêtres intégristes » ont par ailleurs tenté de l’intimider en organisant des « sittings » (rassemblement assis) pendant ses messes.
Première étape d’une sortie programmée, le père Jasseron avait annoncé dès le mois de décembre 2023 stopper toute activité sur les réseaux sociaux : « Ce n’est pas ce à quoi je suis appelé. Cette position médiatique flatte parfois en moi un orgueil qui n’est pas toujours très ajusté », cela « révèle peut-être une dimension gourou dont il faudrait parfois se méfier. (…) Je veux donner un signe aux jeunes qui rêvent de carrière sur les réseaux sociaux, leur dire aussi simplement que l’on peut tout arrêter. » L’Église catholique a refusé de reprendre ses différents comptes numériques qui étaient pourtant cédés gratuitement. En conséquence, ils ont été revendus à des entités conservatrices. Son compte TikTok et sa base de données à l’association filent du côté de l’association Marie de Nazareth fondée par Olivier Bonassies, proche de Michel-Yves Bolloré, frère de Vincent Bolloré, et de son site Theostream à la communauté de l’Emmanuel.
Le départ de Matthieu Jasseron de son ministère ordonné nous ramène à des problématiques profondes de l’institution, que l’homme questionne très justement. Selon lui, « l’institutionnalisation de Jésus par ses amis et ses disciples est un problème », ayant transformé le catholicisme en « organe politique » avec une hiérarchie et des dogmes. C’est cette structure hiérarchique, où tous les pouvoirs sont confondus entre les mains des évêques, accuse-t-il, qui pousse certains religieux à commettre des abus. « L’Église ne recrute pas ses officiels (sic) pour qu’ils deviennent des abuseurs en puissance. Elle est juste, dans sa façon de se vivre, un terreau fertile capable de transformer n’importe quel enfant de chœur en abject inquisiteur et parfois même en vrai prédateur ». « Connaissez-vous d’autres endroits dans la société où un même homme est manageur et psy ? C’est exactement ce qu’est le prêtre. D’autres endroits dans la société où les trois pouvoirs sont détenus par la même personne ? » poursuit-il en citant la figure de l’évêque et ses prêtres, qualifiés de « lieutenants ». « À part dans les dictatures, ça n’existe nulle part, sauf dans l’Église ». C’est ce système qui, selon lui, incite à tolérer « des petits abus, qui peuvent mener à de plus grands ». Seul Pascal Wintzer, archevêque de Sens-Auxerre, a relevé le niveau de l’Église catholique française dans cette affaire en réagissant à l’annonce du curé : « Au service du diocèse depuis le 6 octobre dernier, je ne connais pas encore Matthieu Jasseron ni sa situation ; je le rencontrerai dans les prochains jours. Chaque histoire est personnelle et il faut se garder d’en tirer des conclusions générales. Cependant, un tel événement n’est pas sans interroger notre Église dans l’Yonne, le ministère de prêtre, la formation. » Qu’il puisse être entendu par ses confrères, tenants d’une institution qui éloigne les hommes qui osent faire un pas de côté dans leur témoignage et leurs aspirations.
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