Après le synode…
Paul Fleuret (membre de l’équipe pourunchristianismedavenir@gmail.com).
Le synode : « Un événement dont le document final respire certes un peu plus d’horizontalité, mais qui bloque toujours autant pour une remise à plat du système ». Voilà ce que m’écrit Golias en me demandant d’exprimer ma réaction suite à cet événement ecclésial. Il va donc me falloir dire « je » à mes risques et périls, comme on dit…
Première réaction : tout ça pour ça ! C’est-à-dire pas grand-chose. L’espoir de voir des femmes devenir diacres, ou des hommes mariés prêtres, ou de voir les personnes LGBT à égalité avec tous : envolé ! De même, pas question que l’homélie soit faite par un ou une laïc. Conclusion : le cléricalisme, encore et toujours.
Après cette réaction de déception et même de colère, il me faut, paisiblement, regarder le texte final de François. Pour tâcher d’y trouver du positif.
Le pape a précisé que le Document final du synode était « non normatif » : est-ce une façon discrète de rappeler que le pouvoir reste papal ? François a pris la décision de ne pas publier une « exhortation apostolique », car « le document contient déjà des indications très concrètes qui peuvent servir de guide pour la mission des Églises, sur les différents continents, dans des contextes différents ». Il n’est plus question de l’Église, mais des Églises, et l’on peut penser – mais ce n’est pas dit explicitement : prudence romaine et cléricale ! – que ces Églises pourront prendre des décisions librement. Rêvons que ce soit vrai…
Le pape affirme qu’il va « donc rester à l’écoute des évêques et des Églises », car « même l’évêque de Rome a besoin d’exercer l’écoute » et il ajoute pour les évêques : « Et vous aussi. » Je veux bien le croire, mais je doute à cause des blocages sur les ministères. D’ailleurs, il y a « certains aspects de la vie de l’Église ainsi que les thèmes confiés aux dix “groupes d’étude”, qui doivent travailler librement, pour qu’ils me fassent des propositions : il y a besoin de temps » (ces dix groupes doivent rendre leurs conclusions en juin 2025). Je me demande quels sont ces certains aspects et je m’étonne de la lenteur du travail des « groupes d’étude » (dont il aurait été bon de rappeler les thèmes). J’ai bien l’impression que les décisions futures resteront papales et vaticanesques, car, dit le pape, « le Secrétariat général du Synode et tous les Dicastères de la Curie m’aideront dans cette tâche ». Si la Curie s’en mêle, on peut parier sur un freinage discret, mais certain. Même si, comme prétend François, « l’Église synodale a besoin que les paroles partagées soient accompagnées d’actes. Il ne s’agit pas de la méthode classique qui consiste à reporter indéfiniment les décisions » (j’ai l’impression d’entendre E. Macron lors du Covid : « Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant. » : les Français ont pu vérifier cela…).
« Ma tâche, écrit François, est de préserver et de promouvoir l’harmonie. » Voilà une expression nouvelle dans la bouche d’un pape : il n’est plus question de faire l’unité – largement confondue avec l’uniformité. Il faut, ajoute-t-il, « cheminer ensemble dans la diversité ». Voilà du positif et qui ouvre des portes : les Églises « sur les différents continents, dans des contextes différents » auraient donc le droit de prendre des décisions particulières, différentes des autres… L’avenir dira s’il s’agit là seulement de belles paroles ou non.
Des avancées, mais les problèmes restent…
C’est une évidence : les divisions sont fortes dans le catholicisme, les tensions et oppositions parfois violentes, le cléricalisme teinté fortement de machisme est une réalité qui semble incorrigible. La méthode employée – des échanges par tablées composées d’évêques et de cardinaux et de laïcs hommes et femmes – a sans aucun doute fait bouger nombre de prélats imbus de leur pouvoir… L’assemblée synodale était composée de 368 membres, dont 75 % d’évêques et, pour la première fois, de laïcs, dont 54 femmes, tous et toutes avec droit de vote. L’intégralité des articles a été adoptée à la majorité des deux tiers. La question des ministères était un point chaud… Et l’est restée. Il devient possible que, « dans certains cas » des laïcs, hommes et femmes, puissent être « ministres extraordinaires du baptême et du mariage ». Est mis à l’étude un « ministère d’écoute et d’accompagnement », qui viserait particulièrement l’accueil de ceux qui sont en marge de l’Église (les personnes LGBT+ ?). Mais pas question de revenir sur l’obligation du célibat des prêtres, pas question que des femmes puissent être ordonnées diaconesses. Et ce, malgré des déclarations dans le Document que l’on peut juger lénifiantes : « Il n’y a aucune raison pour que les femmes n’assument pas des rôles de leadership dans l’Église, car ce qui vient de l’Esprit saint ne peut être arrêté. La question de l’accès des femmes au ministère diaconal reste ouverte, mais un discernement plus approfondi est nécessaire à cet égard. » (Joliment dit, non ?)
… et beaucoup de non-dits, non discutés
Ce qui a freiné les avancées et fait aboutir à un résultat mi-chair, mi-poisson est important : la conception du presbytérat Tant que le sacré ne sera pas éradiqué du Droit canonique, tant que le prêtre sera considéré comme appelé par Dieu (la vocation…), tant que son rôle sera vécu comme une médiation entre Dieu et les croyants, tant qu’il sera ministre in personna Christi lors de l’eucharistie, rien ne changera. Alors le pouvoir restera vertical.
Si cette conception du presbytérat ne change pas profondément, il n’est pas à souhaiter que des hommes mariés et des femmes deviennent diacres ou prêtres. Le cléricalisme perdurerait. Ce qui a bloqué le système synodal, c’est la peur, la peur du schisme – peur déjà exprimée devant la préparation vécue dans l’Église allemande. Mais ce schisme tant redouté entre les tendances conservatrices et progressistes existe déjà. À ne pas vouloir changer, la coupure s’est déjà faite et elle est devant nos yeux (mais, comme dit le psaume, ils ont des yeux et ne voient pas). Cette coupure est celle du peuple face à l’institution intangible et immobile. En France, par exemple, la majorité des baptisés a de facto rompu avec l’Église : le peuple a parlé avec ses pieds et s’en est allé discrètement.
La raison principale sinon unique de ce schisme est d’ordre doctrinal. Et cela, les autorités ecclésiales ne peuvent pas ni ne veulent l’entendre. Tout le système dogmatique est devenu (depuis longtemps) hors de notre « croyable disponible », comme disait Paul Ricœur. Tout ? Oui. Il n’y a qu’à relire le Symbole de Nicée-Constantinople (daté de 325) pour s’en rendre compte. Il n’est plus possible de penser Dieu, Jésus avec sa vie et sa mort, la résurrection, etc., avec des concepts et donc des mots hérités d’une lointaine culture. Et en2025, on va fêter solennellement les 1700 ans de ce symbole comme si de rien n’était. Pourtant, là est le nœud de l’avancée…
On peut donc penser que, suite à ce synode, des changements vont se faire jour, peu à peu, pas trop vite (« un discernement plus approfondi est nécessaire… »), les laïcs hommes et femmes vont avoir plus de possibilités de s’exprimer et de contribuer aux décisions, les hommes de pouvoir (pape, évêque et prêtres) vont devoir changer leur manière de faire (de commander ?), etc. Bref ! Pour parler familièrement, la boutique va mieux fonctionner. Mais je reste persuadé que si les questions de fond citées plus avant ne sont pas abordées et discutées et modifiées, rien ne changera vraiment et l’Église deviendra peu à peu quelque chose comme une secte… Hélas ! Hélas pour l’Évangile !
Source : Golias Hebdo n° 840, p. 13