Le pape François en Corse : un piège ?
L’équipe animatrice de Dieu maintenant.
Le Président de la République d’une part, l’archevêque de Paris d’autre part, avaient invité le pape François à venir à Paris à l’occasion de la réouverture de Notre-Dame, les 7 et 8 décembre 2024. Il a refusé leur invitation. Répondant à celle de l’évêque d’Ajaccio, il préfère venir en Corse, huit jours plus tard. L’équipe animatrice de « Dieu maintenant » tente d’analyser cette situation. Ils écrivent : En 2015, le pape déclara, sur le mode de l’humour, à de jeunes lycéens français : « On dit que la France est la fille aînée de l’Église, mais c’est une fille bien infidèle ». Nous considérerions être bien infidèles – si ce n’est à l’Église catholique du moins à l’évangile – si ce voyage du pape n’était pas dénoncé comme un piège qu’on lui tend.
À une question que des journalistes lui posaient sur sa venue en France à l’occasion de la réouverture de Notre-Dame, le pape François a répondu avec insistance : « Je n’irai pas à Paris, je n’irai pas à Paris. » Pourtant l’archevêque de Paris et les autorités françaises l’avaient officiellement invité. « Les festivités officielles à Paris pour la réouverture de Notre-Dame constituent tout ce que déteste le pape François en termes de mondanité », fait remarquer un expert de son pontificat [1]. Le pape ne viendra donc pas à Paris, mais il compte venir en Corse huit jours plus tard.
Il n’y aurait rien eu à redire si le pape s’était contenté de refuser l’invitation d’Emmauel Macron. Mais qu’il compte venir huit jours plus tard dans le pays dont il est toujours le chef d’État, c’est quand même un peu fort… Il est probable que l’archevêque de Paris – et les 170 évêques de France et du monde entier qui participeront à cette célébration – n’en pensent pas moins même s’ils n’en diront rien. Le même expert du pontificat de François précise : « Son déplacement en Corse correspond davantage à sa spiritualité. Il est attaché à la promotion des périphéries, à la valorisation de la piété populaire et du peuple. »
Que le pape, au nom de sa foi au Dieu de Jésus-Christ, veuille être au service des petits et des exclus, il nous semble difficile d’en douter. Son premier acte en tant que pape n’a-t-il pas été de se rendre à Lampedusa ? À Marseille, en 2023, il a une fois de plus dénoncé l’indifférence croissante face aux migrants qui risquent leur vie en traversant des étendues d’eau et des déserts pour fuir des conditions de vie impossibles. Il a toujours valorisé la piété populaire, en particulier tout au long de son voyage en Amazonie ; il y a rencontré des représentants des populations indigènes, écouté leurs chants et admiré leurs danses. Ce pape, qui a voulu porter le nom de François, a prouvé maintes fois qu’il se voulait proche du peuple, des exclus et des petits. Il se veut l’héritier du Pauvre d’Assise.
Qu’en est-il de celui qui l’invite en Corse et de ses soutiens ? Mgr Bustillo est évêque d’Ajaccio depuis 2021 et, dans une ascension fulgurante, promu cardinal par le pape en septembre 2023. Franciscain, il porte un habit qui peut inspirer confiance au pape. D’autant qu’on voit cet évêque sillonner la Corse, bénir à tout-va le petit peuple et favoriser la piété populaire. De quoi s’y laisser prendre… car si on le voit autant c’est parce qu’il est aussi un grand ami de Vincent Bolloré et donc très présent dans ses médias. Lors de son accession au cardinalat, Paris Match [2] lui fit l’honneur de figurer en pleine page de couverture, en toute humilité dans sa bure de franciscain. Ce qu’à notre connaissance, ce journal ne fit pour aucun autre prélat. Le pape, en acceptant cette invitation, est-il conscient que la religion populaire qu’il connut en Amazonie, longtemps travaillée par la théologie de la libération, n’est pas nécessairement portée par le même courant en France ?
Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions, analyse dans un article récent ce qu’il en est de la piété populaire en France aujourd’hui. Il écrit [3] : « (…) Cette “piété populaire” d’aujourd’hui n’est plus le “catholicisme populaire” d’hier, souvent en marge de la paroisse ou “saisonnier” de la pratique dominicale tout en recourant aux rites et aux secours “utiles”. La preuve paradoxale en est le soutien que cette nouvelle piété populaire trouve auprès de la frange la plus aisée et la plus conservatrice du catholicisme français. Sans mettre en doute son émergence spontanée sur un terrain social favorable, dans une période propice à raison d’une Église institutionnelle affaiblie et en déclin, mais envisageant (avec le synode romain) des réformes contestées dont la piété populaire n’a que faire, on constate ou on apprend peu à peu combien cette piété populaire bénéficie aussi de moyens plus ou moins occultes, matériels et spirituels, pour assurer son développement et ses manifestations. En l’occurrence, des appuis qui sont tout sauf désintéressés ou neutres, puisqu’ils proviennent de milliardaires catholiques, comme Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, pieux et traditionalistes… »
Et Jean-Louis Schlegel précise : « On peut après tout penser ce qu’on veut des initiatives et des événements soutenus par Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, même si leurs visées catholiques conservatrices brouillent, grâce aux chèques de Pierre-Édouard Stérin et aux médias écrits et audiovisuels de Vincent Bolloré, l’image de l’Église. Ce sont leurs liens directs, affichés et militants, avec l’extrême droite politique, celle d’Éric Zemmour surtout, mais aussi avec le Rassemblement national de Marine Le Pen, qui posent question. »
42 % des catholiques ont voté à l’extrême droite lors des élections européennes. À notre avis, il est profondément regrettable que les évêques de France n’aient plus le courage de dénoncer ce mouvement qui, selon nous, est contraire à l’évangile. Combien plus regrettable serait que le pape, en venant en Corse, ne soit pas conscient de la manipulation dont il peut faire l’objet.
Ajoutons à cela qu’en septembre 2023, lorsque le pape s’est rendu à Marseille, il déclara : « Ce n’est pas en France que je viens. » Il venait, en effet, non pas visiter l’Église catholique de France, mais traiter de la question des migrants. En refusant l’invitation officielle que lui avait adressée le Président de la République et en acceptant celle qui lui est faite de venir en Corse huit jours plus tard, le pape est-il conscient de faire le jeu des nationalistes corses ? Cette visite, parait-il, est pour eux une aubaine dont ils comptent se saisir.
En 2015, le pape déclara, sur le mode de l’humour, à de jeunes lycéens français : « On dit que la France est la fille aînée de l’Église, mais c’est une fille bien infidèle ». Nous considérerions être bien infidèles – si ce n’est à l’Église catholique du moins à l’évangile – si ce voyage du pape n’était pas dénoncé comme un piège qu’on lui tend.
Notes :
[1]- Article de Bernadette Sauvaget dans Libération du 8 novembre 2024, « La probable venue du pape François à Ajaccio, l’imbroglio corse qui fâche ». [2]- Paris Match est l’un des médias appartenant au groupe Bolloré. Nous faisons allusion ici au numéro du 12/11/2023. [3]- Extraits de l’article de Jean-Louis Schlegel « La nouvelle piété populaire », revue Esprit, septembre 2024.