Les pauvres, clé du royaume : entretien avec le P. François Odinet
Collectif Anastasis.
Le pauvre est une figure à la fois éminemment biblique et politique, spirituelle autant que concrète. Qu’est-ce que le fait de se mettre à leur écoute nous révèle du royaume de Dieu, cette réalité dont la Bible ne donne jamais de véritable définition ? C’est à cette question que le père François Odinet, prêtre du diocèse du Havre, enseignant aux Facultés Loyola Paris et depuis peu aumônier général du Secours catholique, s’est consacré dans son dernier livre Maintenant, le Royaume (Desclée de Brouwer, 2024). Anastasis l’a interrogé à l’occasion d’un podcast, dont voici la retranscription.
Anastasis : Avant d’entrer dans le fond du livre, tu fais partie d’un courant théologique dont sont membres aussi, entre autres, le père Étienne Grieu, frère Frédéric-Marie Le Méhauté ou sœur Laure Blanchon. Vous avez pour points communs d’enseigner aux Facultés Loyola (ex-Centre Sèvres) et d’avoir participé à des groupes de lecture de la Parole avec les plus pauvres, avec notamment l’approche du père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Comment peut-on qualifier ce courant? On lit parfois « théologie de la diaconie » ou « théologie à l’écoute des pauvres ». Comment nommer ce courant et quelles sont ses principales intuitions ?
Père François Odinet : On pourrait effectivement parler d’une théologie de la diaconie, au sens où l’on essaie ensemble de penser théologiquement ce qui se joue quand l’Église se préoccupe vraiment des personnes qui connaissent la misère, la précarité, quand elle reconnaît aussi leur place centrale dans ce qu’elle vit. Qu’est-ce que cela signifie théologiquement ? Dans ce sens, on peut parler d’une théologie à l’écoute des pauvres, parce que nous essayons de travailler non seulement en relation avec des personnes qui connaissent la misère, mais aussi à partir de leur parole, à partir de ce qu’elles ont à dire. J’avoue que, à titre personnel, je dis souvent très simplement que c’est de la théologie pratique. C’est-à-dire que, de même qu’en théologie biblique, on apprend de la Bible, en théologie dogmatique, on réfléchit à partir des auteurs et de la longue tradition ecclésiale, de la même façon, en théologie pratique, on se laisse enseigner par la réalité que nous connaissons, mais aussi par les pratiques ecclésiales et sociales. En résumé, je parlerais d’une théologie pratique à partir des plus pauvres ou à l’écoute des pauvres.
Anastasis : Est-ce que tu te reconnais dans l’expression de « théologie contextuelle » qui a pu être utilisée pour englober les théologies de la libération, la théologie féministe, la théologie noire etc. ?
Père François Odinet : Tout à fait. Il faut bien comprendre que la théologie contextuelle n’est pas une théologie à propos d’un contexte, mais une théologie qui, en analysant un contexte et en assumant de s’enraciner dans ce contexte, essaie de parler du tout de la théologie, c’est-à-dire du mystère de Dieu, du Christ, de l’Église, etc.