VŒUX DE KARIM KATTAN – 1er janvier 2025
Texte écrit après une balade à Crémisan, sous forme de témoignage personnel.
Comme chaque année, le 26 décembre, après les festivités, notre oncle emmène les cousins les plus motivés pour une randonnée quelque part dans la région. Mais au fil des ans, alors que les colons et les soldats deviennent de plus en plus violents, ces randonnées de plusieurs heures se sont réduites à de simples balades d’une heure ou deux, dans des périmètres toujours plus restreints. Souvent, ces marches étaient organisées autour d’un monastère ou d’un village — Battir, Auja, l’Hortus Conclusus ou Crémisan. Cette année, les bonnes sœurs de l’Hortus Conclusus nous ont informés que des colons s’étaient installés en haut de leur colline, rendant toute promenade impossible. Nous avons donc décidé d’aller à Crémisan, où les colons rôdent depuis longtemps, mais dans des zones bien connues.
Quand nous étions petits, notre oncle nous emmenait déjà grimper les collines du monastère et parcourir ses vignes, qui produisent un vin souvent délicieux. Nous montions jusqu’à un lieu qu’on appelait la « Vierge cassée », une arche en pierre construite dans la colline, désormais une ruine où se trouvait autrefois une statue de la Vierge. Nous ne l’avions jamais vue, mais notre oncle, dans sa jeunesse, si. L’endroit est resté ainsi nommé, bien que la statue ait disparu depuis longtemps.
Ce matin, le gardien du monastère nous a avertis : il ne fallait pas gravir les collines, seulement marcher le long de la route, sous peine d’être attaqués par les colons ou les soldats. Mais notre oncle tenait absolument à monter, et nous ne pouvions pas laisser un homme de 70 ans grimper seul. Alors, nous l’avons suivi, tout en protestant : « T’es un ouf ! Tu fais quoi ? On va se faire buter ! »
On va jusqu’à la Vierge cassée », a-t-il décrété, sourd à nos objections.
Et nous voilà, gravissant non sans difficulté les belles collines de Crémisan. Il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore venir ici célébrer des anniversaires en toute insouciance. En face de nous, de l’autre côté de la vallée, je remarquais que la colonie de Gilo s’était encore agrandie depuis ma dernière visite : des quartiers entiers étaient en construction. La colonie semblait si proche qu’on aurait pu la toucher.
Pour calmer nos inquiétudes (« T’as entendu ce bruit ? C’est quoi ?? ») et nos grognements (« Tu fais chier ! »), notre oncle a fini par nous dire : « Vous savez pourquoi je n’ai pas peur ? Parce qu’ici, je me sens chez moi. »
On n’a pas peur chez soi. Nous sommes arrivés au pied de la Vierge. Le petit espace sous les pins, niché au creux de la colline, était comme un sanctuaire, une église naturelle malgré l’absence de la statue. Nous avons mangé nos sandwiches. J’ai pensé à Crémisan, menacé d’expropriation par les Israéliens depuis des décennies. Malgré la résistance des moines et de la communauté, le mur d’apartheid commençait à enlacer les collines. Les colonies l’encerclaient. Et un jour, le monastère et tout son patrimoine nous seraient définitivement interdits. Pour l’instant, nous pouvons encore y accéder, même si c’est la peur au ventre et le cœur qui bat la chamade. Puis nous sommes redescendus, avec l’impression d’avoir, pour un temps encore, repoussé l’inévitable.
Joyeux Noël et très bonne année de Bethléem, en espérant que l’année qui vient nous apporte la justice et la liberté.
Karim Kattan
Crémisan est une vallée située entre Jérusalem et Bethléem. Un monastère salésien y est établi depuis 1891, ainsi qu’un couvent de sœurs et une école depuis les années 1950. La vallée de Crémisan est réputée pour ses oliviers et surtout ses vignobles, cultivés essentiellement par des Palestiniens chrétiens qui produisent un vin de qualité, les Côtes de Crémisan. Malgré les protestations des habitants et des autorités religieuses, le mur de séparation israélien, qui vise à étendre les colonies de Gilo, a fini par couper la vallée en deux, annexant 300 hectares de terrain sur lesquels habitent 57 familles chrétiennes. Le couvent, les bâtiments monastiques ainsi que leurs terres se retrouvent en Israël tandis que les agriculteurs chargés de les cultiver restent du côté palestinien. La pression des colons s’accroît et se fait chaque jour plus agressive. Jean Claude SAUZET |