Le pape Léon dénonce l’élitisme et l’indifférence envers les pauvres dans son premier document majeur
Justin McLellan.
Le pape Léon XIV a dénoncé sans détour les inégalités et l’indifférence face au sort des pauvres dans le premier document doctrinal majeur de son pontificat.

« Dans un monde où les pauvres sont de plus en plus nombreux, nous assistons paradoxalement à l’essor d’une élite riche, vivant dans une bulle de confort et de luxe, presque dans un autre monde par rapport aux gens ordinaires », a écrit le pape. « Nous ne devons pas baisser la garde face à la pauvreté. »
Publiée le 9 octobre, l’exhortation apostolique Dilexi Te (« Je t’ai aimé ») donne le ton du pontificat de Léon avec un appel passionné à la solidarité envers les marginaux de la société et qualifie les œuvres caritatives de « cœur brûlant de la mission de l’Église ».
Lire l’exhortation apostolique Dilexi Te
Le pape a souligné que l’exhortation — un document doctrinal destiné à avoir un ton plus pastoral que le poids doctrinal d’une encyclique — avait été élaborée au cours des derniers mois de la vie du pape François. « Je suis heureux de faire mien ce document », écrit Léon, expliquant qu’il y a ajouté ses propres réflexions, mais qu’il a néanmoins largement cité son prédécesseur — 57 fois sur les 130 citations du document —, signe évident de continuité.
Si le ton pastoral du document appelle à un regain d’intérêt spirituel pour les marginalisés, il comporte également des aspects plus tranchants. Par exemple, il dénonce les personnes qui intériorisent l’indifférence en plaçant leur foi dans le libre marché au lieu de se laisser consumer par la compassion pour leur prochain.
« La religion […] ne peut se limiter à la sphère privée, comme si les croyants n’avaient pas à faire entendre leur voix sur les problèmes qui touchent la société civile et les questions qui préoccupent ses membres. » Pape Léon XIV
Dilexi Te interpelle les chrétiens qui « trouvent plus facile de fermer les yeux sur les pauvres », justifiant leur inaction en réduisant la foi à la prière et à l’enseignement de la « saine doctrine », ou en invoquant des « données pseudo-scientifiques » pour affirmer que « l’économie de marché libre résoudra automatiquement le problème de la pauvreté ».
« Les théories qui tentent de justifier la situation actuelle ou d’expliquer que la pensée économique nous oblige à attendre que les forces invisibles du marché résolvent tout ne manquent pas », écrit Léon. « Néanmoins, la dignité de chaque personne humaine doit être respectée aujourd’hui, et non demain, et l’extrême pauvreté de tous ceux à qui cette dignité est refusée doit constamment peser sur nos consciences. »
Le pape a particulièrement condamné une vision de l’Église qui s’adresse à l’élite en affirmant que l’Église est plus efficace lorsqu’elle établit des relations avec les personnes les plus influentes de la société.
« Il est facile de percevoir le caractère mondain de ces positions, qui nous conduiraient à voir la réalité à travers des lunettes superficielles, dépourvues de toute lumière d’en haut, et à cultiver des relations qui nous apportent sécurité et privilèges », a écrit Léon.
Le pape Léon dénonce l’élitisme et l’indifférence envers les pauvres dans son premier document majeur
L’exhortation souligne également que, tout au long de l’histoire, « des mouvements ou des groupes chrétiens ont vu le jour qui ne s’intéressaient guère, voire pas du tout, au bien commun de la société et, en particulier, à la protection et à la promotion de ses membres les plus vulnérables et défavorisés ».
« Pourtant, nous ne devons jamais oublier que la religion, en particulier la religion chrétienne, ne peut se limiter à la sphère privée, comme si les croyants n’avaient pas à faire entendre leur voix sur les problèmes qui touchent la société civile et les questions qui préoccupent ses membres », a déclaré le pape.
Mêlant réflexion biblique et écrits des Pères de l’Église, Léon a déclaré que les chrétiens rencontrent le Christ avant tout dans les pauvres. Il a remis en question les préjugés tenaces — tant au sein de l’Église que dans la société en général — qui présentent la pauvreté comme un choix personnel et a dénoncé ce qu’il a appelé une « vision spécieuse de la méritocratie » qui traite les pauvres comme s’ils ne méritaient pas une vie digne.
« Je suis convaincu que le choix préférentiel pour les pauvres est une source de renouveau extraordinaire tant pour l’Église que pour la société. » — Pape Léon XIV
Le document consacre une place importante à la longue histoire de l’Église au service des pauvres, dans un compte rendu détaillé, mais non exhaustif, de sa tradition caritative et spirituelle. Il inclut les réflexions des premiers pères de l’Église sur les pauvres comme chemin vers la sainteté, le ministère de l’Église auprès des malades, le lien contemplatif entre la prière et la pauvreté, le rachat des prisonniers, l’essor des ordres mendiants en réponse à la pauvreté urbaine et les efforts constants pour éduquer les pauvres et accompagner les migrants tout au long de leur parcours.
Léon explique comment, historiquement, l’aide aux pauvres a été le moteur du renouveau de l’Église, du concile Vatican II aux développements de la théologie latino-américaine qui ont depuis été intégrés dans l’Église au sens large.
« Je suis convaincu que le choix préférentiel pour les pauvres est une source de renouveau extraordinaire tant pour l’Église que pour la société », a écrit le pape, reprenant les termes des théologiens latino-américains de la libération qui ont inventé l’expression « option préférentielle pour les pauvres ».
Cette notion, liée à la théologie de la libération, soutient que l’Église doit accorder une attention particulière et une priorité aux besoins des pauvres, des marginalisés et des opprimés.
Léon, qui a passé plus de deux décennies comme missionnaire et évêque au Pérou, s’est largement inspiré de la théologie latino-américaine pour rédiger ce document, citant divers documents issus des réunions des évêques latino-américains qui ont suivi Vatican II.
Qualifiant l’apprentissage auprès des pauvres de « défi incontournable pour l’Église aujourd’hui », Léon écrit que « les pauvres possèdent des connaissances uniques indispensables à l’Église et à l’humanité dans son ensemble », avançant l’idée affirmée lors de la réunion des évêques latino-américains à Aparecida, au Brésil, en 2007, selon laquelle les pauvres ne sont pas « des objets de charité de la part des autres », mais « des sujets capables de créer leur propre culture ».
« Il n’est pas rare que notre prospérité nous rende aveugles aux besoins des autres, et nous fasse même penser que notre bonheur et notre épanouissement ne dépendent que de nous-mêmes, indépendamment des autres », a écrit le pape. « Dans de tels cas, les pauvres peuvent agir comme des enseignants silencieux pour nous, nous rendant conscients de notre présomption et nous inculquant un esprit d’humilité légitime. »
Les pauvres mettent en évidence « l’attitude d’arrogance agressive avec laquelle nous affrontons souvent les difficultés de la vie » et « nous rappellent à quel point nos vies apparemment sûres et sécurisées peuvent être incertaines et vides », écrit-il.
Léon a également abordé la pratique de l’aumône, qui, selon lui, « n’est plus vue d’un bon œil, même parmi les croyants ».
Tout en reconnaissant que « la meilleure façon d’aider les personnes défavorisées est de les aider à trouver un bon emploi », Léon écrit que « nous ne pouvons pas prendre le risque d’abandonner les autres à un destin où ils manquent du nécessaire pour mener une vie digne ».
« Par conséquent, l’aumône reste, pour l’instant, un moyen nécessaire de contact, de rencontre et d’empathie avec les moins fortunés », écrit-il. « Nous, chrétiens, ne devons pas abandonner l’aumône. »
Lors de la présentation du document lors d’une conférence de presse, le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, a été interrogé sur le fait de savoir si ce document, associé à l’attention portée par Léon à la création et à son ouverture aux catholiques LGBTQ+, le caractérisait comme un « pape libéral ».
« Dès que vous dites “un pape libéral”, vous placez le pape et le ministère de Pierre et de ses successeurs sur une plateforme très partiale », a répondu le cardinal. « Il est vrai que vous pouvez interpréter ces choses d’un point de vue politique ou sociologique, et que Dieu vous bénisse si vous voulez le faire, mais nous ne pouvons pas répondre en ces termes et nous ne devrions pas le faire. »
« L’Évangile est-il libéral ? », a-t-il demandé. « Je suppose que c’est ma réponse. »



