Osorno : comprendre l’attitude du Pape ?
Par Guy et Régine Ringwald
Nous avons relaté ici les problèmes qu’a causés, à Osorno, petite ville du sud du Chili, la nomination et le maintien d’un évêque, Juan Barros, qui fut lié à Fernando Karadima [1].
Celui-ci a été au centre d‘une énorme affaire de pédophilie qui a ébranlé l’Église du Chili et dont les suites perdurent. La secousse a été telle que les autorités politiques sont intervenues. L’affaire Karadima a donné lieu à un film sorti en salles à Santiago. Le scandale est du même ordre que ceux qui se sont produits autour de Maciel, ou à Boston (le film Spotlights)
Les laïcs d’Osorno refusent depuis deux ans cet évêque dont ils réclament qu’il renonce ou qu’il soit déplacé. L’évêque Barros ne renie d’ailleurs pas la proximité qu’il a eue avec Karadima. Il est aussi accusé de l’avoir couvert, en détruisant des lettres de plainte qui arrivaient à l’archevêché. C’est une véritable résistance qui s’exprime par des manifestations dans et hors de la cathédrale, de nombreuses démarches auprès de la hiérarchie, de la Curie et du Pape lui-même, plusieurs témoignages de religieux connus (Augustin Cabré, Jorge Costadoat [2], Fernando Montès).
Malheureusement, plusieurs hiérarques ont péché, au moins par omission, dans cette épouvantable affaire, certains de haut rang. La hiérarchie chilienne, d’ailleurs très présente à la Curie et au C9 [3], se raidit et semble avoir convaincu le pape François lui-même. Celui-ci a émis publiquement des propos cassants et mal venus contre les laïcs d’Osorno. Pour des raisons confuses, c’est l’argument d’autorité qui tient lieu de débat.
En janvier prochain, le Pape François doit se rendre au Chili. Dans cette perspective, nous présentons ici un texte de Pedro-Pablo Achondo, prêtre de la région d’Osorno, destiné à éveiller les consciences chrétiennes, si possible en haut lieu…
Notes :
[1] http://nsae.fr/2015/10/12/crise-autour-de-la-nomination-de-leveque-dosorno-au-chili/
[2] http://nsae.fr/2015/10/27/osorno-karadima-nouveaux-commentaire-et-developpements-judiciaires/
[3] Golias Hebdo n° 469 (23 février-1er mars 2017)
EST-IL POSSIBLE DE COMPRENDRE L’ATTITUDE DU PAPE
À PROPOS D’OSORNO ?
« Quelle que soit la raison, Osorno souffre. »
Pedro Pablo Achondo M., sscc [1]
À la veille de la visite du Pape à notre pays, il convient de s’interroger sur son soutien « inconditionnel », comme disent certains, à Mgr. Juan Barros. Quelques idées me viennent à l’esprit que je vais tenter de développer. La question de fond est d’abord ce que nous avons vu et entendu : la crise de l’Église d’Osorno et, dans une certaine mesure, du Chili, la souffrance des laïcs, des communautés et des prêtres du lieu. Peut-on comprendre l’attitude de François ?
1.Il y a des informations que nous ne connaissons pas.
C’est l’hypothèse la plus bienveillante. Le soutien du Pape à don Juan Barros viendrait du fait, pour nous inconnu et quelque peu inexplicable, d’une information que le Pape aurait. Quelle Information ? Nous ne savons pas. De quel genre ? Nous ne savons pas non plus. Mais cette éventualité existe. Et elle expliquerait une résistance aussi raide. La réponse à cela serait la patience « attendons que cela s’éclaircisse ». Dans ce cas, François s’en sort bien. Il resterait seulement un peu humilié dans la position de quelqu’un qui a supporté des insultes, sans pouvoir révéler certaines choses connues seulement dans d’autres sphères, ou bien pour protéger d’autres innocents. Cela nous semble difficile à envisager.
- Le Pape maintiendra obstinément ses propos du début.
C’est l’hypothèse de la fierté. Il s’agirait du péché de François, celui auquel se réfère Saint Paul quand il parle du mal que nous ne voulons pas faire, mais que nous faisons et du bien que nous voulons faire, mais dont nous ne sommes pas capables (Rm 7,19). C’est ainsi que, après les commentaires qu’il a faits à Rome sur les « gauchistes et stupides » que seraient le groupe de laïcs d’Osorno en se laissant manipuler par les politiques, l’évêque de Rome se serait laissé empêtrer dans une impasse dont il ne sait plus (ou ne souhaite plus) sortir.
Il est clair que cette alternative n’est pas non plus convaincante, et surtout de la part du Pape. Il est toujours possible de demander pardon, on peut se rétracter, revoir ses positions, tout considérer et agir d’une autre façon. François ne peut pas être seulement un homme entêté empli d’orgueil.
- Le Pape a reçu des informations fausses ou tronquées.
C’est l’opinion que défendent ou, au moins, que croient ceux qui ont beaucoup d’estime pour le Pape. Comment comprendre qu’il prenne ainsi la défense de Barros, et en même temps qu’il écrive de si beaux textes, pose des gestes si novateurs, et se montre si clair dans certaines de ses positions. Il y a quelque chose qui ne va pas. Peut-être François fait-il aveuglément confiance à des personnes parmi ses proches, évêques ou cardinaux, un confesseur ou un ami de longue date ? Peut-être reçoit-il du nonce au Chili des informations soigneusement filtrées ? Peut-être accorde-t-il une grande confiance à un certain type de presse, et se méfie-t-il d’une autre, plus contestataire et critique à l’égard de certaines conduites au sein de l’Église ? Nous ne savons pas non plus, mais on peut imaginer que le Pape ne connaît pas tout, n’a pas une vision claire de la façon dont les choses se sont passées dans l’Église d’Osorno, comment elles se sont développées pour atteindre une telle ampleur. Dans ce cas, le jugement du Pape sur Barros et le Chili serait biaisé, ce qui l’amène à persister dans l’erreur.
Il ne s’agit pas de son erreur personnelle, mais d’une chaine d’erreurs accumulées depuis des décennies qui remontent à Karadima, et d’innombrables atrocités commises au cours du temps qui ont sali des communautés et blessé des êtres humains. C’est cette chaine que François n’a pas pu briser pour traiter le mal. Dans ce cas, il y aurait un manque d’information, de clarté ou un manque de volonté.
- Ce qui prime et primera avant tout : l’ordre, les nominations et la hiérarchie.
Cette dernière hypothèse est à analyser en regard de la thèse de don Juan Barros : « Le Pape m’a nommé donc je ne peux pas démissionner ni échouer ». C’est un argument plutôt militaire, basé sur une façon de comprendre la hiérarchie qui a peu, voire rien du tout, à voir avec l’Église de Jésus.
Mais nous pensons que pour beaucoup de gens, c’est de cette façon que fonctionnent les choses. S’il en était ainsi, qu’un ordre rigide comme le béton concerne une nomination épiscopale, il n’y aurait aucune possibilité que Barros renonce, et on ne pourrait qu’attendre un « nouvel ordre » venant du Pape. Et tout le problème est là, si pour François une nomination émanant de lui, ou ce qu’il a dit, ont un caractère irrévocable ou si pour la hiérarchie de l’Église, il s’agit de montrer qu’on est clair dans les décisions et de les maintenir, Barros restera en poste jusqu’à nouvel ordre.
Cependant, cela ne tient pas puisque le Pape peut changer les évêques et en nommer d’autres quand il le juge utile et opportun. C’est d’ailleurs ce que François a fait pour des évêques qui se trouvaient dans une situation similaire, y compris dans son cercle proche. Ce qui est triste dans cette quatrième hypothèse, c’est que les laïcs ne sont pas traités comme acteurs et interlocuteurs reconnus. Avec le discernement chrétien, tous les évêques devraient toujours écouter les gens, les fidèles, les frères et les sœurs dans la foi. Les laïcs d’Osorno se sont exprimés pacifiquement et d’une manière prophétique depuis plus de deux ans.
Qu’on le veuille ou non, cela se fera par un dialogue fraternel d’écoute et de compréhension basé sur la miséricorde et l’amour. Ce qui jusqu’à ce jour n’a été qu’à peine entrevu. Ce manque d’attention, de dialogue et d’amour réciproque confirmerait l’hypothèse selon laquelle l’autorité ecclésiastique prime, dépréciant souvent les laïcs du peuple de Dieu en les infantilisant, sans les considérer comme des interlocuteurs adultes. À mon avis, c’est quelque chose qui aujourd’hui, dans l’Église du XXIe siècle, dans le monde actuel, et avec la réforme que François a impulsée, ne tient pas, est incompréhensible et n’est pas permis.
Les évêques ont-ils peur ? Ce serait dommage et difficile à comprendre, mais malheureusement très possible, en plus du fait que ce serait en contradiction avec les paroles du Maitre : « Ne crains pas, c’est moi » ! Le frère François aurait-il peur ? Cela ne me paraît pas réaliste, de la part de quelqu’un qui a sa manière d’agir, son charisme, sa lucidité politique, et son esprit qui est parfois lent, et en d’autres occasions, rapide, générant des changements profonds dans l’Église.
Alors qui a peur ? De quoi ? De qui ? Qui freine une issue évidente ? Le Nonce ? D’autres pouvoirs, d’autres intérêts ? Le pouvoir économique ? Finalement on pourrait penser quelque chose qui a aussi été dit : « qu’Osorno n’intéresse personne ». Que Barros continuera jusqu’à devenir émérite, que les laïcs se fatigueront, que c’est une petite Église du sud de la planète qui ne vaut pas la peine de f nous préserve qu’il en soit ainsi !
Quelle que soit la raison, Osorno souffre, et plus nous tardons à prendre des mesures dans un sens évangélique, plus nous continuons à creuser un fossé dont il sera difficile de sortir. Sur ce thème, Osorno nous met au défi de voir (et de continuer à voir), de rencontrer (et continuer à rencontrer) le Christ dénudé marchant avec le peuple pauvre et méprisé. N’oublions pas que Jésus de Nazareth a été jugé par l’autorité religieuse de son temps. Aujourd’hui, notre autorité peut changer concrètement l’histoire du Christ qui souffre à Osorno.
Note :
[1] Pedro Pablo Achondo, religieux des Sacrés Cœurs, est curé à La Union, commune du sud du Chili, à 40 km d’Osorno. Il est titulaire d’un master en théologie morale et pratique du Centre Sèvres, à Paris.
Traduction : Guy et Régine Ringwald