Réponse de NSAE à la consultation de Partenia 2000
« Nous sommes aussi l’Eglise » (NSAE) rassemble des adhérents individuels et une vingtaine de collectifs et groupes locaux, régionaux ou nationaux. Notre association a vu le jour officiellement en 1996 et s’est organisée dans l’esprit de la « Requête internationale du peuple chrétien » de 1995, pour l’égalité entre tous les croyants (femmes et hommes, laïcs et clercs), une attitude positive sur la sexualité et exigeante sur la justice sociale et économique. Notre orientation est fortement marquée par l’événement concomitant à la naissance de notre mouvement qu’a été l’éviction de Jacques Gaillot : elle se situe dans le sillage de son prophétisme en mettant la priorité dans la lutte contre toutes les formes d’exclusion que génère notre société.
Nous voulons expérimenter une vie d’Eglise en réseau (horizontale) appelée à se substituer à une Eglise verticalisée. Et c’est sur ce mode « horizontal » que nous avons construit notre réponse à la consultation de Partenia 2000. Dans une première partie, deux d’entre nous apportent leur témoignage de la façon dont ils ont vécu l’événement. Puis, dans la seconde partie, nous tentons un bilan, vu par le conseil d’administration, puis par des groupes adhérents.
I- Je me souviens
1- Bernard (du groupe de NSAE : « Liberté et Partage »)
Avant Janvier 1995.
Un souffle nouveau. Une expression différente.
Un évêque qui veut être présent auprès des gens éloignés de l’Eglise !
Oui, en 1994, j’ai vu l’émission « Frou-Frou », ce devait être je crois le samedi en fin d’après midi… Et j’ai suivi l’émission « Transit », un soir, avec les invités, Jacques GAILLOT et Eugène DREWERMAN. Même que je ne comprenais pas très bien alors les richesses et les difficultés de leurs échanges. Sans doute étais-je en recherche de Vérité, pas celle que nous proposait le Magistère dans son expression romaine (actuellement pire encore !), mais une réponse à la quête de sens de notre humanité aujourd’hui.
Janvier 1995.
Non, ce n’est pas possible ! Rassemblement spontané de chrétiens qui manifestent le dimanche après midi qui suit sous les fenêtres de l’évêché à Orléans! Nous sommes nombreux, très nombreux. Du jamais vu ! L’évêque PICANDET ne veut pas se montrer. Finalement un prêtre « de service » lit une déclaration qui se termine bien sûr par une fin de non recevoir. Des huées ! Encore du jamais vu !
A Gien, début février 1995.
Réunion trimestrielle du Conseil Paroissial dont j’étais alors membre. Une réunion programmée depuis septembre peut-être, tout ce qu’il y a de plus classique. A la fin, l’ordre du jour est terminé, quelqu’un, Madame A. C., demande : – Et l’affaire ?
R., curé de Gien : – Quelle affaire ? (avec une vivacité contenue)
Madame A.C. : – Eh bien J.Gaillot ? On va quand même en parler, c’est le plus important… !
R., et un prêtre de la paroisse, J., répondent : Il n’y a rien à dire, c’est tout !
On était sous le choc et notre clergé nous disait : il n’y a rien à dire !
Finalement, il a bien fallu en parler.
Mais, à partir de cet instant, j’ai compris ce que pouvait être la coupure « Clergé/Laïc », qui représente finalement une image des castes.
J’ai alors cherché autrement. Les « Amis du Père Riobé », puis grâce à DLE Sarthe, j’ai découvert la Requête de NSAE avec Liberté et Partage de Saint Jean de la Ruelle.
Ce qu’on a appelé l’affaire GAILLOT c’est d’abord et avant tout ce formidable élan de chrétiens qui ont pris alors conscience qu’il pouvaient oser exprimer un avis différent, critiquer même les choix et les décisions des autorités ecclésiastiques ; qu’ils devaient se prendre en main, devenir ce que Jésus attend d’eux : être des hommes debout.
Et NSAE, pour moi, c’est aussi : « nous voulons être des hommes debout ! »
2- Laure à Paris (du groupe NSAE Paris-Ile de France)
Chez ceux qui étaient alertés, la condamnation de Jacques Gaillot n’a pas fait l’effet d’une bombe car on sentait venir un mauvais coup à son égard depuis un certain temps déjà.
Au contraire, dans une paroisse comme la nôtre, la plupart ont été surpris : les uns, révoltés ou tout au moins inquiets d’une telle mesure, en particulier celles et ceux qui, se dévouant personnellement auprès des malades, des prisonniers ou des exclus, avaient été touchés par l’action de Jacques Gaillot dans ces différents domaines. D’autres, bien sûr, ont applaudi : il était temps de faire rentrer dans le rang un évêque qui ne se comportait pas comme un évêque traditionnel !
Lorsque nous avons proposé une pétition de soutien envers lui, nous avons vu les fidèles habituellement peu portés à contester les décisions du magistère, signer avec élan. La pétition a recueilli une centaine de signatures.
Le curé nous a laissé intervenir à la messe pour annoncer la manifestation prévue devant l’évêché. Celle-ci n’a mobilisé qu’une quinzaine de personnes de la paroisse, mais il faut y noter la présence de deux incroyants, maris de paroissiennes. Ils avaient tenu à affirmer leur solidarité avec un évêque qui, pour une fois, savait engager un dialogue sans arrogance avec ceux qui ne partageaient pas sa foi.
Qu’en est-il après dix ans ? Un petit nombre de ceux qui avaient soutenu Jacques Gaillot se sont retrouvés à NSAE. Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui une centaine de paroissiens se déclareraient encore solidaires d’un nouveau Jacques Gaillot. Parce qu’on n’attend plus rien de l’institution et qu’on vit au ras de sa paroisse ? C’est sans doute vrai pour les anciens ; les jeunes se recrutent pour la plupart dans les milieux traditionalistes et ne se reconnaîtraient pas en Jacques Gaillot.
II- A NSAE, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Depuis dix ans, nous sommes toujours là !
Nous voulons témoigner auprès des plus jeunes parmi nous d’une Église qu’il n’ont pas connue et qui avait su bouger dans les années 1970 ; nous constatons qu’elle n’en est plus capable aujourd’hui.
Nous voulons donc construire ce qui pourrait naître après elle.
Nous prenons conscience que vis-à-vis de la société économique comme de l’Église, c’est le même combat que nous avons à mener. Et ce combat ne peut être qu’international.
Les points forts pour notre association aujourd’hui :
– Se réapproprier les questions d’Eglise et de société dans une optique similaire à celle d’associations comme ATTAC. Les grands enjeux politiques, sociaux, économiques, ecclésiaux ne doivent pas être abandonnés aux « experts » qu’ils soient en « humanité » ou en économie. Notre travail de réflexion, de débats doit déboucher sur la réappropriation d’une parole trop souvent confisquée par les « décideurs » (évêques, politiques, zélateurs du MEDEF). Nous sommes alors appelés à développer une certaine expertise (une contre-expertise ?) sur des sujets tels que la laïcité.
– S’afficher comme chrétien dans ce contexte échappe aux habituelles ornières de tous les discours identitaires. Ainsi, le travail sur la laïcité est pour nous presque une sorte de mission de « service public » face à tous les discours de « choc des civilisations » qui trouvent leur compte dans les tensions entre communautés religieuses. Il s’agit de débusquer les véritables enjeux des exclusions générées par le système néolibéral, qui sont masquées par les discours de ceux qui ont tout intérêt à « ethniciser » ces conflits. La foi dans une République assurant un véritable « vivre-ensemble » de toutes les communautés humaines peut alors être réaffirmée.
– Il nous semble profondément juste d’affirmer que la lutte contre toutes les exclusions n’est pas un engagement parmi d’autres pour nous, mais véritablement le cœur de notre action, comme elle est le cœur de l’Evangile. Le mouvement altermondialiste est le lieu privilégié, incontournable de ce parti-pris.
– Pour ce qui est de « changer les institutions d’Eglise » nous avons le sentiment que nous n’obtiendrons jamais de résultat spectaculaire. Néanmoins, nous devons réagir à la rhétorique du magistère sur les questions de dogme et d’éthique. Il s’agit surtout de faire entendre d’autres voix d’Eglise, toujours pluralistes, face à la « pensée unique » magistérielle. Tout cela ne doit pas cependant prendre trop de nos forces. Ce sera surtout notre façon d’être et d’agir qui bâtira l’Eglise autre que nous voulons. Une Eglise plurielle qui privilégie les structures souples, en réseau, tel que nous essayons de le vivre au sein de NSAE et des « Réseaux du Parvis ».
– Le point de vue du groupe NSAE-Cher
L’éviction du père Gaillot et le mouvement qu’elle a provoqué dans l’Eglise a été pour nous le point de départ d’une attitude d’adultes participatifs à la vie de l’Eglise.
(Nous regrettons que les évêques de France n’aient pas réagi collectivement à cette mise à l’écart, et que depuis 10 ans, leur attitude n’ait pas changé, suivant en cela celle de l’évêque de Rome.)
D’enfants qui se laissaient porter, nous sommes devenus peu à peu adultes, plus curieux de la vie de l’Eglise romaine à qui on n’accepte plus de donner carte blanche.
En ce sens, dans la mesure de notre possible, nous nous tenons informés et nous réagissons quand nous l’estimons nécessaire.
L’esprit critique vis-à-vis de l’Eglise va de pair avec la volonté de le faire partager par notre entourage. Aussi, nous espérons que peu à peu, le mouvement qui s’est enclenché « conscientisera » un certain nombre de chrétiens, nous préparant ensemble à vivre une Eglise autre. Nous apprécions beaucoup le fait de la fédération des différents mouvements dans Parvis, parce que cela donne force et crédibilité à l’ensemble.
Parmi nous, groupe du Cher, un certain nombre continuent à participer activement à la vie de l’Eglise locale, croyant nécessaire de rester dedans pour la faire évoluer et pour entraîner les gens de bonne foi, reprenant à notre compte la déclaration de Paul Abela, dans son livre, « Je crois mais parfois autrement » : « Je reste dans l’Eglise, non par soumission ou en faisant abstraction de tout esprit critique, mais par réalisme et miséricorde, et pour contribuer à sa réforme, dans l’intérêt du bien commun ».
D’autres ont préféré couper les ponts avec l’Eglise institution, mais restent demandeurs de lieux de réflexion pour vivre l’Evangile avec d’autres chrétiens, sur la même longueur d’ondes qu’eux dans leur analyse de l’Eglise.
La lutte contre toutes les formes d’exclusion que génère notre société, et qui est dans le prophétisme de Jacques Gaillot, était déjà dans les pratiques de beaucoup d’entre nous. La reconnaître comme partie intégrante de l’Evangile également.
Au niveau du discours social officiel, notre Eglise est au top, mais dans le concret quotidien, il en est autrement, et pour bien des chrétiens de nos églises, la lutte contre les exclusions reste un choix facultatif. Il n’est donc pas vain de travailler sur ce point quand nous nous attelons à rendre l’Eglise peuple de Dieu, plus proche du projet initial dévoilé dans l’évangile.
– Trois groupes de Tours : “Association des lecteurs de TC”, CEDEC et “Parole en Liberté”
Bien sûr, NSAE est née de la Requête, et son lancement a coïncidé en France avec les remous provoqués par l’éviction de Jacques Gaillot – lequel, d’ailleurs, était présent dans les premières Assemblées de NSAE.
Quant à nous, à Tours, l’appel à soutenir Jacques Gaillot, en Janvier 1995, a spontanément rassemblé plus de 300 personnes dans la cour de l’Evêché de Tours. Les signatures de chrétiens et de gens en marge de l’Eglise ont montré l’écho qu’avaient les paroles, les comportements et les actions évangéliques de J. Gaillot chez un grand nombre de personnes aux sensibilités très différentes. Ainsi l’une d’entre nous, huit jours après cet événement a rencontré une collègue incroyante qui lui a déclaré : « Comment des chrétiens n’ont-ils pas pu comprendre que cet homme était crédible pour beaucoup de gens de notre époque ? »
A Tours, certes, certains groupes n’ont pas été outre mesure surpris par cette éviction, tel le groupe « Témoignage Chrétien » d’alors qui, depuis assez longtemps, prévoyait que la Curie pouvait évincer tout responsable d’Eglise qui « outrepasserait » le cadre du dogme dans son comportement d’amour évangélique. Par ailleurs, un Groupe est directement né de cette éviction : « Parole en liberté » créé par des chrétiens scandalisés devant l’éviction de Jacques Gaillot et devant les méthodes employées.
Depuis dix ans, nous constatons qu’à partir de l’événement Gaillot bien des personnes se sont mises en route pour construire une Eglise qui corresponde mieux à ce qu’elles comprennent aujourd’hui de l’Evangile. Plutôt que de désespérer de la possibilité de mettre en place une Eglise autre – à l’écoute d’un monde devenant autre -, où l’amour évangélique donne sens aux structures, certains, qui avaient rompu avec les institutions d’Eglise, ont pu à travers des groupes (tel, par exemple, « Parole en Liberté »), reprendre espoir dans une Eglise à bâtir pour l’avenir – et qui intègre tout l’Homme.
Changer l’institution Eglise, nous n’y arriverons pas de si tôt : tout au plus pouvons-nous travailler à quelques réformes indispensables ; nous résigner ne sert à rien ! Cependant, cette Eglise d’avenir que cherchent des jeunes en particulier, sans y trouver leur voie à ce jour, nous ne pouvons pas y travailler encore efficacement. En effet, nous ne parvenons pas à établir un dialogue suivi, et encore moins des débats, avec les ados et les jeunes adultes d’aujourd’hui, qui ne sont pas en phase avec les rituels et les dogmes de l’institution, qui ne correspondent ni aux problèmes sociaux et personnels auxquels ils sont confrontés, ni à leurs attentes. Que la liturgie devienne festive, que la lecture d’Evangile soit partage de leur vécu et en lien avec le vécu de tous les participants, jeunes et moins jeunes, que les thèmes abordés « en Eglise » interpellent réellement les consciences… !
Que cette Eglise renonce à chercher à tout prix la visibilité (par des processions dans la rue, des parrainages d’écoles confessionnelles, etc.). Ce sont là des points sur lesquels faire porter en priorité des réformes, pour permettre de communiquer avec des jeunes et leur donner l’occasion de mieux se retrouver dans notre souci d’Evangile.
C’est ainsi que Jacques Gaillot nous donne l’exemple avec son site sur internet “Partenia”, auquel accèdent certains jeunes qui y trouvent des pistes évangéliques de réponses à leurs propres questions. Jacques Gaillot nous donne toujours l’exemple d’un véritable compagnonnage avec les exclus, qui s’oppose à l’éloignement de l’institution à distance des plus démunis.
Commentaire sur ” Nos objectifs” et ” Réponse de NSAE à la consultation de Partenia 2000″.
J’ai relevé la phrase suivante attendue depuis si longtemps : ” Nous devons réagir à la rhétorique du magistère sur les questions de dogme et d’éthique ”
Enfin ! Y aurait-il une mobilisation de NSAE sur ce que j’ai demandé, sans succès, à plusieurs reprises à CELEM et à des responsables de NSAE ?
Je souhaite que NSAE tente de répondre aux questions qui taraudent tant de chrétiens sur l’identité de Jésus, le sens de l’Eucharistie, la résurrection et bien d’autres sujets que l’Eglise n’a jamais voulu explorer sérieusement et pour lesquels elle se retranche derrière ses dogmes intangibles.
J’espère que ce vœu que vous avec émis se traduira en actes.
Je suis stupéfait qu’après tant d’années la contestation perdure, alors que les contestataires du magistère se sont révélés être si minoritaires et impuissants et que, dans le même temps, la fuite dans la nature de ceux qui ne pouvaient plus supporter l’autoritarisme de la hiérarchie et l’absence de dialogue avec le clergé, se révélait si importante.
Certains parlent de continuer à témoigner et à vivre, au prix de transgressions, au sein de l’Eglise, mais :
– leur permettra-t-on de le faire encore longtemps ?
– comment peuvent-ils supporter une liturgie en contradiction avec leurs convictions où le message évangélique de libération s’oppose si radicalement aux dogmes verrouillés ?
Il me semble que le temps des compromis s’achève.
Beaucoup ont pensé que l’Eglise moribonde serait plus accommodante à la suite de sa perte de puissance. Ce n’est plus le cas, bien au contraire. Elle se raidit et en bien des endroits la reprise en mains s’effectue par l’intermédiaire des mouvements charismatiques qui connaissent un certain succès auprès de certains “fidèles”.
Récemment la paroisse qui est proche de chez moi est entrée en mission sous la houlette de “l’Emmanuel”.
Ce n’est donc pas vers un vrai dialogue que l’Eglise s’oriente, ni vers la pluralité que vous souhaitez.
Bien cordialement.
Michel PERRIN (Vannes)