Bulletin de liaison de NSAE
Le numéro 28 (novembre 2016) vient de paraître.
Éditorial : Faites de la fraternité !
C’était la devise d’une fête à Marseille, à l’initiative de Richard Martin, homme de théâtre engagé et Directeur du Théâtre Toursky, pour notre manifestation fraternelle en mai 2016. Elle fut réussie et rassembla environ cinq mille personnes dans une très grande diversité d’expressions.
J’en étais, mais me voir, maintenant, propulsé – en tête de notre Bulletin – pour dire la fraternité à vous qui pouvez m’en apprendre… c’est un exercice autrement difficile !
Aussi je partirais de ce qui touche à ma vie, de ces gestes fraternels qui émergent de souvenirs, de lectures qui témoignent de l’esprit humain imprégné de semence de fraternité. Elle peut apparaître comme un long murissement dans le cours d’une vie ou sublimer de façon fulgurante la banalité du quotidien.
Condorcet, né en 1743, fils du Chevalier de Condorcet, élevé par les Jésuites dont il garda une certaine haine, se distingua très tôt par des aptitudes exceptionnelles aux mathématiques. Intellectuel engagé au sein des lumières avec d’Alembert et Voltaire, précurseur des abolitionnistes de la peine de mort, il s’exprima avec vigueur contre l’esclavage, pour le droit de vote des femmes et la défense des pauvres. Député très actif pendant la Révolution, il s’opposa à Robespierre et Saint-Just : il vota contre la peine de mort de Louis XVI. Pourchassé, il est destiné à la guillotine. Ses amis le cachent au domicile d’une femme courageuse. Il va y rester neuf mois et pour épargner la vie de son hôtesse, il décide de s’éloigner. Hors de Paris, il est reconnu et arrêté. Il n’échappera à la guillotine que parce qu’il meurt subitement dans une Gendarmerie. Il a 50 ans.
Sylvain Menu, 17 ans, chef scout à Marseille. Un jour de gros temps, il est en sortie dans les Calanques. Un jeune scout se fait emporter par une vague. Sylvain se jette à l’eau et réussit à le ramener à terre. Lui se débat pour reprendre pied, mais le courant l’emporte. Son corps ne sera retrouvé que plusieurs jours après. Ses funérailles durent être célébrées à l’extérieur de l’Église tant la foule était nombreuse : familles juives, musulmanes… Le 30ème anniversaire de son geste a été célébré en 2010 au Collège Sylvain Menu.
Pierre Dravet, chef scout aussi. Sorti de l’Ecole de l’Air de Salon, il devient pilote de chasse. Au cours d’un vol, son Mystère se trouve en difficulté au-dessus d’Orange. Avec détermination, il voulut sortir son avion du ciel d’Orange pour éviter un crash sur les habitations. Il y parvint, mais ne put s’éjecter avant que l’avion ne s’écrasât au sol. Une petite rue porte son nom dans le 11ème arrondissement de Marseille.
André Blot, séminariste et «appelé» pendant la guerre d’Indépendance de l’Algérie, sût trouver le geste adéquat dans une situation tendue : ayant fait un prisonnier, certains de ses camarades décidèrent de le fusiller. André se précipitât sur l’Algérien et l’enserra dans ses bras. Les fusils s’abaissèrent. André est prêtre dans le Diocèse d’Aix-en-Provence.
Alice Domon, religieuse née en 1937, part en Argentine dans la Congrégation des Missions Etrangères où elle découvre la dure vie des paysans exploités. Elle devient la sœur des plus démunis, créatrice, humble et assidue de fraternité autour d’elle. En marge de sa Congrégation, elle poursuit sa proximité avec les plus fraternels, jusqu’à tourner sur la Place de Mai avec les Mères des Disparus, au plus terrible de la répression. Avec une autre religieuse, elle est arrêtée, torturée, jetée vivante d’un avion par une dictature assassine et fasciste.
Michel Rocard, intellectuel engagé au PSU et militant anticolonialiste. Enarque, il est affecté en 1958 au département d’Orléansville et prit l’initiative d’enquêter sur la vie des populations victimes des Camps de Regroupement créés par l’Armée. Il adressa un rapport à Paul Delouvrier, Gouverneur d’Algérie, pour dénoncer ces exactions. A propos des relations France -Algérie, il écrit en 2013 : «Si les gouvernements ont du mal, les peuples, eux, ont un plein droit à se réconcilier.»
Un aumônier musulman des prisons écrit à son collègue catholique, après l’assassinat du prêtre dans son église. « Cher Confrère, j’ai appris avec horreur et tristesse l’attaque dont a été l’objet l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray pendant la messe, en tant que citoyen et homme de religion je condamne avec la plus grande vigueur cet acte terroriste lâche et barbare qui frappe à nouveau notre pays, j’exprime aussi ma profonde compassion aux familles des victimes et je souhaite un prompt rétablissement aux blessés avec ma totale solidarité avec l’ensemble de nos frères chrétiens de France. »
Je suis touché par ces gestes et prises de position très diverses pour la fraternité, mais aussi par l’esprit créatif d’où ils émergent.
Je le suis aussi parce que, septième enfant d’une famille de neuf frères et sœurs, j’ai pu éprouver, pendant la Seconde Guerre mondiale, la force vitale du partage au temps de l’insécurité et de la pénurie. La fraternité est une vertu puissante et réjouissante pour toute communauté.
Que pouvons-nous faire dans le sillage de ces êtres fraternels ? Nous sommes habités de cette créativité qui donne du sens à nos vies même vieillissantes et nous sommes forts de notre capacité d’être ensemble. La fraternité est au-delà d’une « nouvelle frontière ».
Le Bureau de NSAE a décidé de conforter la Fête de la Fraternité qui aura lieu à Marseille le Samedi 27 mai 2017 et je serai un fidèle relais des travaux préparatoires et des appels à propager l’esprit de la Fête.
Une autre piste nous est ouverte par un de nos contemporains, Abdennour Bidar et ses mots porteurs, «Plaidoyer pour la Fraternité». Ses dix propositions sont inspirées par l’esprit des Lumières qui habite notre frère musulman. Approprions-nous-les et donnons-leur une dimension nationale : les multiples frémissements de la société civile ces derniers temps peuvent peser sur la destinée politique de ce Pays.
A la charnière entre citoyenneté et foi, les Réseaux des Parvis peuvent se faire les hérauts d’un grand rassemblement fraternel des associations.
Les engagements multiples de nos membres nous mettent dans une position rare et nous pouvons créer un élan fédérateur auprès de la grande diversité des associations pour promouvoir certaines Causes :
– la présence d’un Collectif de la Fraternité dans les prochains gouvernements ;
– l’expansion plus rapide du Service Civique dans toutes les associations et collectivités ;
– bien d’autres Causes encore en faveur de la mixité sociale qui mettront fin à l’exclusion de la jeunesse des cités. Ne serait-ce pas un enjeu à la hauteur de nos générations marquées par tant de combats passés ?
Michel Dallaporta
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