Comment dépasser les blocages qui nous empêchent de remettre en cause les diktats théologiques ?
Extraits de la présentation de Cécile Entremont [1] lors de l ‘Assemblée générale de NSAE le 24 février 2018
Dans le rapport de Françoise Gaudeul [2], le groupe disait « on n’ose pas trop aller par là ». Le pouvoir théologique a été confisqué. Il est important d’élargir.
Ouvrir la spiritualité.
Parler de religion ne passe plus. N’attendons plus les jeunes dans nos églises, ni même associés à nos propres démarches. En parlant de spiritualité, on rejoint des théologiens ouverts.
Relecture de l’article de José Arregi [3] : « Une spiritualité avec ou sans religion » :
Il s’agit de sauvegarder la Vie.
La spiritualité signifie se laisser impulser par cet Esprit de Vie.
Il est urgent que l’humanité et chacun de nous redécouvrent la spiritualité pour vivre. La Vie est en jeu.
Nous sommes dans une grande crise mondiale de spiritualité, parce que c’est l’argent qui domine. Il nous faut donc tenter de retrouver cette spiritualité.
Nous avons besoin, et aujourd’hui plus que jamais, de libérer l’humanité, le souffle et la compassion au plus profond de nous de chacun de nous et de l’espèce humaine.
Il nous est demandé de libérer Dieu ou l’Esprit ou la Vie dans le monde. Et dans ce monde que nous avons créé nous-mêmes et qui est en train de nous étouffer, d’étouffer dans l’humanité et dans la planète le Souffle, la Vie, Dieu.
Nous nous trouvons au seuil du plus grand bond de l’humanité, mais vers où ? Vers l’avenir ou vers l’arrière.
J’ai eu vraiment l’impression, en écrivant mon livre (« S’engager et méditer en temps de crise » éd. Temps Présent, 2016), que c’est ou la vie ou la mort qui attend l’humanité. Il y a un sursaut énorme à chercher. C’est énorme, mais Dieu est là.
Reprenons Arregi :
Il faut que cette pauvre et admirable espèce humaine se libère de ses peurs, de ses ambitions de possession, de pouvoir pour engendrer une nouvelle forme plus humaine, plus libre et plus fraternelle et pour rendre ainsi possible une communauté plus harmonieuse.
Donc une spiritualité qui nous apprend à vivre dans la grande présence qui nous entoure, qui entoure tout et qui demeure en tout.
Cette spiritualité, il en dit tous les attributs pour lui : souffle, esprit, respiration, attention à ce qui est, à l’autre, à soi. Spiritualité c’est silence dans le bruit absolu où nous sommes ; spiritualité c’est le détachement de l’ego, spiritualité c’est communion, compassion avec tous les êtres.
Toute expérience qui déploie et élargit, libère et relie la vie, est une expérience de l’Esprit, ou de Dieu.
Le monde est dans un tel changement culturel que les religions vont changer. Il va falloir aller plus loin, plus large. La spiritualité y compris laïque est le temps d’aujourd’hui pour expérimenter Dieu parmi nous.
Question dans l’assistance : cela ne peut pas se faire ex nihilo
Réponse : Ce n’est pas une destruction : toutes les bases culturelles, philosophiques sont déjà là, mais il va y avoir une transformation, une métamorphose. Ma spiritualité est ancrée dans l’Évangile. C’est ainsi que je transforme ma manière de croire. On ne se défait pas de ses racines. C’est une transformation.
La forme traditionnelle des religions est en changement. Ce qui nous relie le plus profondément les uns aux autres dans cette époque de transformations, c’est de parler de spiritualité. Le pape parle de spiritualité universelle. Arregi du dépassement de la vieille religion vers l’éthique et la mystique.
Une nouvelle spiritualité, interreligieuse et transreligieuse, mystique et écologique, solidaire et égalitaire est en train d’émerger.
Si on agit ensemble, si on prie ensemble, on se rejoint.
Et ce joli mot pour terminer :
Nous tournons nos yeux vers Jésus, mais il nous emmène au-delà de lui, vers le Mystère universel, vers la création du monde nouveau dans ce monde.
Question dans l’assistance : Le Mystère, l’Église en parle ; en gros, c’est rendre compte d’un énoncé dogmatique.
Réponse : La théologie dogmatique, c’était l’éclairage du dogme. Une théologie descendante, venant de ceux qui savent et qui enseignent en premier lieu les ecclésiastiques, puis nous. Nous devons écouter les préceptes (moraux), nous soumettre au rituel.
Il y a encore une autre forme : la théologie déductive. Ils savent (Dieu, la vérité absolue) et de là s’en déduit une manière de vivre (dans l’obéissance).
Il y a maintenant de plus en plus de théologies ascendantes, qui partent de l’expérience de Dieu dans notre vie. On échange : qu’est-ce qui est la trace de Dieu dans tout ça ? Qu’est-ce qui est divin ?
Je suis contente, grâce à votre question, de creuser un peu les diktats théologiques. Dans cette crise énorme qui se densifie avec la question écologique, qu’est-ce qui pourrait faire le lien entre écologie et théologie ? Et je vois deux axes : la théologie du process et la théologie de la libération.
La théologie du process
Elle est partie du philosophe et mathématicien britannique Alfred North Whitehead. Elle parle de Dieu comme du dynamisme créateur. Lire par exemple : « Le dynamisme créateur de Dieu – Essai sur la théologie du Process » d’André Gounelle (éd. Van Dieren, 2004) ; « Dieu et le monde » de John B. Cobb (éd. Van Dieren, 2006) ; « Vivre la liberté » de James Woody (Cerf, 2017).
La création est toujours en mouvement. « L’esprit créateur de Dieu insuffle en nous une énergie créatrice. »
De même, la Révélation est toujours en mouvement. Ceux qui nous disent : « Elle est dans la Bible et c’est nous seuls qui savons la dire » l’ont confisquée. Elle est aussi dans le cosmos. Quand le pape écrit dans Laudato si’ que Dieu se révèle dans sa création, il y a là quelque chose de très important pour nous, théologiquement.
Cette théologie du process va plus loin : elle nous invite à être dans ce mouvement créateur. Ce n’est pas seulement Dieu qui fait : nous sommes créateurs nous aussi et nous insufflons autour de nous de la créativité. James Woody évoque « Dieu qui réinjecte du possible dans l’histoire (même dans l’état où nous sommes, il y a toujours du possible ; nous ne sommes pas abandonnés). Il s’agit donc de devenir à notre tour créateurs et d’injecter du désir dans la vie, du possible dans l’histoire. » Cela m’aide à « dépasser l’impuissance », « préparer l’avenir. »
Notre vision trop fermée de la religion dans l’Église, le fixisme, l’immobilisme, le ritualisme nous empêchent d’élargir notre pensée et d’entrer dans une théologie qui voit le souffle créateur de Dieu dans l’expérience humaine.
La théologie de la libération
C’est un second axe de réflexion, qui nous est accessible à tous. Nous sommes tous théologiens. A nous de reprendre notre pouvoir de penser et notre pouvoir d’échanger, de discriminer dans la vie.
L’ouvrage « Écologie et libération : critique de la modernité dans la théologie de la libération » (par Luis Martinez Andrade, éd. Van Dieren, 2016) décrit le cheminement qui a conduit Leonardo Boff, auteur de « La Terre en devenir. Une nouvelle théologie de la libération. » (1994, Albin Michel) à ce nouveau concept d’écothéologie.
La théologie de la libération se développait parmi des gens qui faisaient l’expérience d’être expropriés de leurs terres, bien avant que l’on parle de l’accaparement des terres. Ce qui montre que le système d’économie libérale assure la même domination à la fois sur la terre et sur les êtres humains. Boff en est ainsi venu à la pensée écothéologique et pressenti la destruction que l’on voit aujourd’hui. Ainsi, la théologie de la libération, pour L. Boff, est vraiment fondée sur la défense de la vie. On rejoint José Arregi. La société moderne favorise la raison instrumentale, ce qui est rationalisme, agir sur. Cette vision de la nature et du peuple « de haut » relève d’une domination destructrice : il y a toujours des oppresseurs et des opprimés.
La pensée de Boff a été orientée par sa relecture de l’histoire de François d’Assise : voilà un être qui est « avec ». Avec les choses de la nature et avec les êtres vivants, en se mettant sur le même plan. Il n’est pas au-dessus, en train de surplomber. On retrouve l’invitation du pape François à l’écologie intégrale. « Être dans le monde avec les choses » dit L. Boff. Il parle même de « démocratie cosmique », de « fraternité universelle ». Il invite à une attitude fraternelle avec toutes les créatures (cf. Le thème de la fraternité dans les questions que vous m’avez posées). Et Boff se posait déjà la question d’une gouvernance mondiale, car l’origine de ce chaos est mondiale. Il pensait déjà au concept de bien commun, air, eau, terre… dans un monde de la propriété privée.
Boff a aussi développé une éthique du soin : comment se soigner les uns les autres et soigner la terre.
Dans un entretien récent (2014 ?) il dit : « La théologie de la libération s’engage pour les pauvres et contre la pauvreté, grâce à la justice. Mais les pauvres ne sont pas seuls à crier : les arbres, les animaux, la terre nous appellent aussi. »
Encore une fois, il s’agit d’élargir. Non seulement à la spiritualité, comme dit plus haut, mais à une théologie qui voit la révélation divine dans la création. Cf Laudato si’ 216 : « Nous devons reconnaître que nous, les chrétiens, nous n’avons pas toujours recueilli et développé les richesses que Dieu a données à l’Église, où la spiritualité n’est déconnectée ni de notre propre corps, ni de la nature, ni des réalités de ce monde ; la spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en elles, en communion avec tout ce qui nous entoure. »
Dans ce même entretien, Boff précise : « À partir de maintenant, les communautés ecclésiales et écologiques (ex-communautés de base) sont chargées de défendre la Terre-Mère, de créer une relation de respect avec elle et de tenter d’éduquer d’autres personnes à cette vision où la terre n’est pas qu’un simple instrument de production. »
Conclusion
Si nous savons lire notre expérience de vie. Si nous nous redonnons le pouvoir théologique nous-mêmes, nous avons la capacité de sortir de ces diktats dogmatiques et de créer, surtout si nous nous appuyons sur ces deux axes de la théologie du process et de la théologie de la libération qui inclut maintenant l’écologie.
Ce sont de bonnes pistes pour aller vers l’avenir.
[1] Cécile Entremont est psychothérapeute et psychologue clinicienne et docteur en théologie. Elle est auteur de “S’engager et méditer en temps de crise” (Temps Présent, 2016)
[2] Lire les Rapports des ateliers [3] voir : Une Spiritualité pour vivre avec ou sans religionUne Spiritualité pour vivre avec ou sans religion
On peut lire aussi : Extraits de l’article de Jose Arregi : Une Spiritualité pour vivre avec ou sans religion