Yémen : “La France ne peut pas exporter de matériel militaire dès lors que ce matériel peut être utilisé contre des civils”
La France risque de violer ses engagements internationaux en fournissant des armes aux pays de la coalition arabe qui combattent les rebelles houthis au Yémen, dénoncent les ONG Amnesty International et Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) dans un rapport. “Il ne s’agit pas de dire que ces ventes d’armes sont immorales ou inopportunes, il s’agit de dire qu’elles sont peut-être illégales”, a expliqué mercredi sur franceinfo Hélène Legeay, responsable Moyen-Orient à l’Acat.
Franceinfo : Est-ce qu’à votre connaissance des armes françaises sont utilisées au Yémen ?
Hélène Legeay : Oui, des armes françaises sont utilisées au Yémen, et d’ailleurs, les industriels français s’en félicitent. Il s’agit par exemple de chars Leclerc vendus aux Émirats arabes unis, ou encore de canons Caesar vendus à l’Arabie saoudite. Mais attention, il faut faire la distinction entre le matériel militaire vendu avant le conflit et celui vendu depuis le début du conflit. C’est de la légalité de ce dernier que nous doutons.
Que dit la réglementation internationale ?
Les exportations d’armement de la France sont encadrées par deux textes : le traité sur le commerce des armes et la position de l’Union européenne. Tous les deux interdisent l’export de matériel militaire dès lors qu’il pourrait être utilisé contre des civils ou pour commettre des crimes de guerre. Or, on sait que depuis le début du conflit au Yémen en mars 2015, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis commettent des violations graves du droit humanitaire. Malgré cela, la France continue à leur vendre des armes. Nous n’avons pas la preuve que le matériel soit utilisé pour commettre des crimes de guerre, mais il y a assurément un risque. Or, les traités sont clairs : on n’exporte pas d’armes dès qu’un risque existe.
Avez-vous interpellé les autorités françaises ?
Oui, c’est par là qu’on commence. On prend le problème à la racine en disant à la France ‘vous ne pouvez pas autoriser l’exportation de matériel militaire dès lors que ce matériel peut être utilisé contre des civils’. C’est le Premier ministre qui décide, ou non, de délivrer les licences d’exportations aux entreprises françaises. Des recours administratifs en excès de pouvoir existent. On se réserve la possibilité de le faire. Il ne s’agit pas de dire que ces ventes d’armes sont immorales ou inopportunes, il s’agit de dire qu’elles sont peut-être illégales.
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Amnesty International France et ACAT France appellent à un véritable débat public suite aux conclusions d’une étude juridique du cabinet Ancile Avocats (mandaté par les deux organisations), rendue publique hier. Cette étude révèle notamment :
- le manque considérable de transparence de la part des autorités françaises au sujet des transferts d’armes à l’Arabie saoudite et aux EAU depuis le début du conflit au Yémen, alors qu’il existe un risque juridiquement élevé que certains de ces transferts soient illégaux, au regard des engagements internationaux de la France ;
- que la France, troisième exportateur d’armes au monde, poursuit ses transferts d’armes à l’Arabie saoudite et aux EAU quand d’autres pays de l’Union Européenne, comme l’Allemagne, ont fait le choix de suspendre leurs transferts, alertés par la communauté internationale sur les violations graves du droit international humanitaire ;
- que le gouvernement français contreviendrait à ses engagements internationaux : le Traité sur le commerce des armes (TCA) et la Position Commune 2008/944/PESC du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008, définissent en effet des règles communes qui régissent le contrôle des exportations d’équipements et de technologies militaires, afin d’empêcher que les armes soient utilisées pour commettre des violations graves du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Le gouvernement français et la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), qui examine les demandes d’exportation notamment au regard des obligations internationales, n’auraient pas respecté les dispositions fixées par ces instruments juridiquement contraignants dans le cadre des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Pour plus d’information sur le rapport, retrouvez l’ensemble de l’étude ainsi que le question-réponse conçu par Amnesty International et l’ACAT.