Extraits de la présentation de Cécile Entremont lors de l’Assemblée générale de NSAE le 24 février 2018
On sait tout, chaque fois qu’on peut y réfléchir
Nous savons avoir un regard critique. Sur la richesse, sur le mythe du progrès, la marchandisation et l’utilitarisme de tout, y compris des êtres humains. Sur la compétition, la concurrence. Sur une économie qui n’est pas au service de la vie.
Nous savons aussi que nous pouvons agir, y compris dans cette économie-là. Par exemple en tant que consommateurs. Nous pouvons changer nos modes de vie, dans l’alimentation, le mode de transport, les loisirs, les voyages…
Les limites
Nous sommes dans une société de démesure – l’hubris en grec. Il importe de pouvoir se mettre des limites. On peut être assez révolutionnaire avec de la gratuité : donner, troquer, partager… Remettre de l’humain partout où l’on peut. L’économie sociale et solidaire, les circuits courts, les AMAP. Préserver les biens communs, par exemple en se réappropriant la régie de l’eau, en rejoignant Terre de Liens (https://terredeliens.org/) sur l’accaparement des terres.
Tout ce qui va dans le sens d’une autolimitation, d’une autolimitation concertée, c’est-à-dire se mettre des limites ensemble [1].
La politique
L’économie est-elle au service de la vie ? Cette politique a-t-elle un sens ? Prépare-t-elle l’avenir ?
Dans l’ouvrage « Pour un nouvel imaginaire politique » [2] les auteurs pointent que la politique doit garantir le « carré » : régulation, représentation, identité, sécurité. Au cœur, il s’agit du bien commun. Mais l’économie a avalé le politique et la société de marché substitue un autre « carré » : consommation, possession, production, capital (avec, à l’intérieur, biens privés).
Il est difficile de vivre dans des pays qui nous mettent dans un carré qui ne nous convient pas. Court-termisme, désinformation, corruption à tous les niveaux [3], destruction des services publics, politique de fragmentation sociale…
Il est important de décrypter [4] comment de nombreuses crises d’exception ont permis à des gouvernements de devenir de plus en plus disciplinaires : où va nous conduire l’état d’urgence, la suspension des règles démocratiques ?
Non seulement il faut conserver un espace politique, comme le disait Christophe dans son rapport [5], mais aussi un esprit critique et un espace de débat. Faciliter les lieux de débat, les assemblées citoyennes.
La force du « nous »
Après avoir repris notre pouvoir de penser théologique [6] économique et politique, après avoir repris confiance en nous pour pouvoir nous exprimer, débattre à partir de notre vie, l’important est de retrouver – car on nous l’enlève aussi – la foi en l’humain et croire dans le « nous », et dans la force du « nous ».
Plusieurs personnes réfléchissent sur l’effondrement : plus on sera dans l’entraide et la solidarité, plus on sera résilients ; plus on sera ensemble et plus on pourra rebondir et trouver des solutions [7]. Comment arrive-t-on à la fraternité, demandez-vous : c’est bien là la priorité. Ce sont ceux qui s’entraident qui survivent. La société marchande nous empêche de penser, de vivre sainement ; elle nous empêche de nous relier. Et c’est là la force de notre enracinement chrétien. Le message essentiel du christianisme : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».
Dans Laudato si’, le pape évoque « La conversion requise pour créer une dynamique de conversion durable et aussi une dynamique communautaire » (219). « Cette conversion implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle » (220). Et nous, nous avons besoin les uns des autres pour avancer et être dans ce dynamisme créateur.
Tout est lié
Cette notion d’interdépendance que le pape reprend dans son encyclique est développée dans le livre d’Abdennour Bidar « Les Tisserands. Réparer ensemble le tissu déchiré du monde » [8]. Sortir de la fragmentation, aller au contraire relier tous les problèmes, c’est un travail pour nous. Tout relier, ce qui est écologique, politique, financier, économique, social… On voit la crise de civilisation sous tous ses aspects. C’est une crise de non-fraternité, de domination par l’argent. Tout est lié : le climat, l’argent, la guerre, la pauvreté, l’immigration.
Pour conclure
S’indigner, entrer en résistance dans une espérance active. Transgresser, entrer en dissidence. Le titre de la contribution d’ATTAC au Forum social mondial « Résister c’est créer. Créer c’est transformer » s’applique bien à notre réflexion.
Notes :
[1] Cynthia Fleury : Le temps retrouvé[2] Mireille Delmas-Marty, Patrick Viveret, René Passet, Riccardo Petrella et Edgar Morin (Fayard, 2006 )
[3] ATTAC :Toujours plus pour les riches. Manifeste pour une fiscalité juste, Les liens qui libèrent, 2018
[4] Naomi Klein : Dire non ne suffit pas. Contre la stratégie du choc de Trump, Actes Sud, 2017
[5] Lire les Rapports des ateliers [6] http://nsae.fr/2018/03/20/comment-depasser-les-blocages-qui-nous-empechent-de-remettre-en-cause-les-diktats-theologiques%e2%80%89/[7] Pablo Servigne et Gauthier Chapelle : L’entraide, l’autre loi de la jungle, Les liens qui libèrent 2017
[8] Abdennour Bidar : Les Tisserands. Réparer ensemble le tissu déchiré du monde, Les liens qui libèrent, 2016