À quelles conditions et par quelles réformes l’Église catholique pourrait-elle sortir de la crise où la plongent les révélations d’abus sexuels ?
Compte-rendu de l’Atelier qui s’est déroulé lors de l’Assemblée générale des Réseaux du Parvis (1er décembre 2018)
Constatations et symptômes de la maladie
L’inadéquation au monde actuel du discours et des comportements de l’Église est une constatation unanime. Pour certains qui ont attendu une évolution, notamment après Vatican II, la déception est grande. Humaniser le monde ne semble plus être une préoccupation de l’Église qui se replie sur le culte, donc sur soi-même.
L’inadaptation est particulièrement sensible sur :
• la place de la femme (des femmes) ; leur présence dans la structure changerait bien des choses, mais cela suppose que le système patriarcal soit abattu ;
• le regard sur la sexualité, qui est à refonder ;
• la structure de pouvoir qui reproduit le modèle du Temple que Jésus a condamné et qui a condamné Jésus ;
• le statut du prêtre ;
• le dogmatisme, inhérent au catholicisme, reste figé, mais c’est cela qui est encore enseigné, notamment dans les séminaires.
• les doctrines souvent basées sur des concepts dépassés, notamment en matière de morale, de bioéthique, etc.
Le statut des prêtres est fortement mis en cause par les participants : il correspond à une théologie complètement décalée par rapport au monde. Le prêtre devient un être sacré lors de son ordination, d’où les dérives et les abus de pouvoir sur les consciences. Il est nécessaire de désacraliser le prêtre.
D’ailleurs qu’est-ce que le sacré ? Il a été suggéré que les prêtres soient nommés pour un temps. Le célibat s’adresse à des prêtres qui ne sont pas formés à la sexualité. Mais les critiques formulées ici ne s’attaquent pas aux personnes. Il a été dit aussi qu’il faudrait s’intéresser aux prêtres pédophiles, en prendre soin, et se demander pourquoi ils sont pédophiles.
Plusieurs anciens prêtres participaient à l’atelier. Ils avaient donné beaucoup, et ont une expérience de la vie qui aurait pu être utile à l’Église, mais celle-ci les a ignorés dès qu’ils ont quitté. L’un d’eux regrette que l’Église n’ait pas su “rencontrer l’amour humain”.
Les communautés de base s’étiolent (celles qui subsistent), les fidèles partent.
Les fidèles qui quittent l’institution n’abandonnent pas l’Évangile. Un participant a noté que beaucoup de membres du CCFD ou de l’ACAT ne vont plus à l’Église. Un pied dedans, un pied dehors, l’Église nous a laissé ses valeurs. Ceux qui sont l’Église de demain, ce sont les jeunes qui travaillent pour l’homme. L’Église n’est plus crédible. L’avenir se prépare ailleurs.
Dans l’Église de France, nous assistons actuellement à un phénomène similaire à ce qui s’est fait avec les prêtres “Fidei Donum”, mais à l’envers : nous voyons arriver des prêtres africains et polonais. Mais les “Fidei Donum” créaient des communautés, alors que les africains et les polonais restaurent le culte !
C’est à l’Évangile que nous sommes attachés, pas à l’institution. L’Église n’est plus crédible dans l’annonce de l’Évangile.
Conséquences/Diagnostic
Le problème est global et concerne la structure de l’Église et le pouvoir. Les conséquences de la structure pyramidale remontent de proche en proche jusqu’à la dogmatique, elle-même devenue incompréhensible.
Le caractère sacré du prêtre favorise les abus de pouvoir sur les consciences, ce qui, entre autres, est une des causes de la pédophilie, et de la difficulté à la faire apparaître. Ce statut sacralisé empêche, par exemple, qu’on croie l’enfant qui signale des comportements déplacés. Du fait du célibat obligatoire, le clergé constitue un milieu isolé.
Que le problème de la pédophilie soit réglé, le problème de l’Église ne sera pas réglé pour autant. La perspective est sombre : comment accompagner cette institution qui nous a apporté l’Évangile ? Il n’est pas sûr qu’elle ait les ressources pour se changer et pour assurer une présence au monde
contemporain. Le scandale de la pédophilie est un naufrage, mais renvoie aux problèmes doctrinaux.
Ce scandale ne sera pas résolu sur des cas individuels, et pas non plus par la société civile.
Nous sommes dans un temps de mutation, à une période de fractures, encore plus qu’au temps de la Réforme. Les précédents anciens peuvent servir de références : réforme grégorienne, réforme luthérienne. Comment accompagner cette mutation, nous sommes à une rupture. Comment ne pas la voir ?
Le risque est que l’Église devienne comme une secte, car ceux qui tiennent le pouvoir et l’emmènent sur la voie d’une Église cultuelle ne changeront pas d’attitude.
L’Église doit faire la vérité sur elle-même, même au prix d’un choc. Or, elle paraît incapable d’affronter la vérité. Elle devrait revenir à l’intuition des François d’Assise et des Don Bosco, un retour vers les pauvres, les exclus, les désespérés.
Une réforme de l’Église ?
« J’ai cru que l’Église pourrait se réformer. 40 ans après, je constate qu’elle n’est pas réformable ».
« Je commence à penser que le système est définitivement vermoulu ».
« J’attendais un signe fort, mais ce n’est pas ce que je vois. Quel avenir ? »
Le diagnostic largement partagé est que l’Église est incapable de se réformer.
Que faire ?
Essentiellement exprimer ce que nous avons à dire : avoir une parole forte, analyser en profondeur, comprendre la complexité des problèmes et le faire savoir, sans attendre qu’on nous donne la parole. Deux références :
• à Osorno (Chili) les laïcs, déterminés et conséquents, ont refusé l’évêque qu’on leur imposait. Ils avaient perdu d’avance et ils ont gagné ;
• un évêque français exprime, sous couvert d’anonymat, la difficulté de ce qu’il vit actuellement dans l’Église : c’est très fort (cf. “Les confessions de Mgr X”, Ed Golias, Sept 2018).
Devant le diagnostic de carence,
• certains disent : il n’y a rien à espérer, il faut refaire autre chose autrement ;
• d’autres, avoir un pied dedans, un pied dehors, dire ce qu’on a à dire, et lutter contre le cléricalisme ;
• d’autres encore : il faut faire autre chose, mais ce serait une erreur de couper le lien. De l’intérieur, on peut faire des choses qu’on ne peut pas faire autrement : il faut en parler, même sans espoir de pouvoir réformer.
Sous réserve des modalités toujours adaptables, ces positions, au fond, se rejoignent : s’exprimer, sans reconstituer une autre secte.
Pour soutenir cette expression, une proposition : établir un état de ce qui a été fait par le Réseau des Parvis depuis vingt ans : analyses et prises de position. Cela pourrait justifier un « hors-série » de la revue.
Dire qu’on pense que l’Église ne s’en remettra pas n’est pas ignorer la force de l’Évangile.
Photos de quels-uns des participants de l’atelier : Claude Naud