Prendre en compte les “besoins des plus pauvres” pour “bâtir une nation fraternelle, juste et solidaire”.
Le Président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Georges Pontier, a prononcé un discours [1] en présence du Président de la République Emmanuel Macron et de nombreuses personnalités du monde catholique, invités par les évêques de France pour une soirée au collège des Bernardins, le 9 avril. Nous en reproduisons ici quelques extraits.
Il s’agit pour nous, Église catholique, de prendre notre part dans l’avènement d’une société juste, fraternelle et solidaire grâce au dynamisme et à l’engagement de nos fidèles actifs dans la vie de la société. Je veux saluer ici les représentants des associations et services d’Église qui ont un rôle si important dans la constitution d’un tissu social ouvert à tous. Nous portons le souci du bien commun. Notre but n’est pas de chercher à satisfaire des intérêts particuliers. Nous sommes habités par le souci des plus défavorisés, des victimes des aléas de la vie, de ceux et celles qui n’ont aucune perspective pour leur avenir. Ces préoccupations, je le sais bien, sont les nôtres à nous tous, responsables de l’État, hommes et femmes engagés dans la vie politique, économique, associative, religieuse. Les cris de ceux qui n’ont pas de travail, de logement digne, de santé arrivent jusqu’à nous et ils sont bien nombreux. Les errements d’une jeunesse sans repères et sans projets en entrainent certains dans le choix de la violence, d’autres dans des trafics illusoires et sans avenir ou encore dans le commerce ou la consommation de drogues diverses qui finissent par les détruire. Notre responsabilité est grande à leur égard. Il s’agit d’une cause nationale qui nécessite l’engagement de tous. Il faut oser le reconnaître : le mot ‘égalité’ de notre devise républicaine est loin d’avoir donné toute sa mesure. Des inégalités d’éducation, d’instruction, de revenus, d’accès au travail ou aux services publics se creusent au lieu de se rapprocher. Le sens du bien commun est loin d’être partagé. L’individualisme, la recherche des seuls intérêts personnels et l’attrait d’un enrichissement démesuré y font obstacle. C’est à partir des besoins des plus pauvres que pourra se bâtir une nation fraternelle, juste et solidaire. Notre pays en a les ressources si nous nous laissons toucher par les conditions de vie d’un grand nombre et que nous ayons l’ambition d’y parvenir.
Le Pape François, dans son encyclique « Laudato si » publiée quelques semaines avant la tenue à Paris de la Cop 21, a apporté sa contribution à la réflexion en cours. Il a développé, vous vous souvenez le concept de « maison commune », explicitant que tout est lié et que nous sommes tous liés les uns aux autres. Il invitait à revisiter le concept de « progrès » et le rapport entre le politique et l’économique. Ainsi pouvait-il écrire au numéro 194 « Il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. D’autre part, la qualité réelle de vie des personnes diminue souvent – à cause de la détérioration de l’environnement, de la mauvaise qualité des produits alimentaires eux-mêmes ou de l’épuisement de certaines ressources- dans un contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de la croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit à une série d’actions de marketing et d’image ».
Le Pape nous rappelle que si tout est lié, l’économie est au service de l’homme parce que c’est l’homme qui est au centre de tout. Le nier, notamment dans l’entreprise, est toujours un risque. Dans les débats sur l’objet social de l’entreprise, on ne saurait oublier la place de ceux qui y travaillent et qui sont appelés par ce travail à déployer leur humanité en trouvant un sens à leur travail. La question du sens est au cœur de notre vie sociale : avec d’autres, nous pensons qu’une partie de la réponse se trouve dans le don de soi, dans la gratuité d’une relation, dans un amour partagé, un accueil large.
C’est cette dimension de l’accueil que nous avons à l’esprit lorsque nous évoquons la question des flux migratoires qui marquent et marqueront encore notre temps. Le pape François est intervenu à de nombreuses reprises sur ce sujet, invitant les pays riches à ne pas rester sourds aux appels des plus pauvres, demandant aux communautés d’être généreuses dans l’accueil. Nous mesurons combien ce discours est parfois difficile à entendre et combien peut être forte la tentation du repli. Ensemble nous pourrons faire en sorte que l’accueil de celui qui frappe à notre porte, fasse l’objet d’un consensus dans l’opinion publique et pas uniquement dans le monde associatif. Permettez-moi d’ajouter que le nombre de mineurs, isolés et fragilisés nous touche profondément, nous autres et nous. Ils sont souvent partis avec l’idée de pouvoir aider matériellement leur famille. Et voilà qu’ils se trouvent dans des réalités difficiles ou même hostiles. Souvent même ils sont la proie de passeurs sans âme. L’Europe n’arrive pas à regarder ensemble ce phénomène. Trop de repli sur soi ou de peurs entretenues empêchent l’élaboration de projets solidaires, accueillants et raisonnables. Nous savons que cet objectif nécessite l’engagement de tous, pouvoirs publics, tissus institutionnels, associatifs et aussi individuels. Bien de générosités existent dans notre pays qui ne demandent qu’à s’exercer. De nombreux jeunes adultes sont sensibles à ce drame et sont prêts à vivre des temps d’accueil, de solidarité et de fraternité.
Des drames nombreux se vivent dans le monde. Ils ont été attisés par des déstabilisations violentes et diverses. Ils font beaucoup de victimes civiles et aucun consensus politique des grandes puissances ne permet de trouver les issues politiques seules porteuses d’avenir. Parmi ces conflits nous sommes très sensibles à ceux qui concernent des communautés chrétiennes au Moyen-Orient particulièrement. Nous savons qu’elles sont indispensables à la paix, à la rencontre, et au respect de tous. Elles sont très anciennes sur ces territoires et sont contraintes trop souvent à l’exil. Notre pays a une tradition de soutien de ces populations. Il a un rôle majeur à tenir dans la recherche de la paix et de la justice. Nous vous remercions, Monsieur le Président de la République, pour tout ce que vous pourrez faire en ce sens. (…)
L’Église catholique a une longue tradition de l’accueil. Elle donne à voir le visage d’une communauté aux multiples visages, de toutes origines, liée à tous les continents. Elle accueille ceux que Dieu lui donne sans qu’elle les ait choisis. Notre foi religieuse exige cette ouverture et nous engage dans le service des hommes malgré nos fragilités et malgré nos fautes. Nous aimons ce temps qui est le nôtre et avec tous ceux qui le souhaitent nous nous employons à le rendre plus fraternel et plus juste, sans que jamais ne soit absent de nos préoccupations le sort des pays les plus proches ou les plus lointains.
Je saisis cette occasion, si vous me le permettez, pour lancer un appel : celui de vaincre les peurs qui habitent notre société française et de nous engager avec détermination et confiance dans une meilleure connaissance les uns des autres et dans l’ouverture aux autres de chacune de ses composantes. Et s’il faut désigner un ordre de priorité, je propose de commencer par améliorer le sort des plus fragiles, des plus pauvres, des personnes vulnérables parce que c’est ainsi que se construit et s’approfondit la confiance en la nation. Ne nous replions pas sur nous-mêmes, mais ayons un cœur aussi grand que celui de Dieu qui a un amour particulier pour chacun.
Notes :
[1] Discours de Mgr PontierSource de l’illustration : https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Mgr-Georges-Pontier-College-Bernardins-lintegralite-discours-2018-04-09-1200930426
Lire le discours d’Emmanuel Macron : https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Emmanuel-Macron-Bernardins-discours-2018-04-09-1200930420?from_univers=lacroix