Les bureaux du Vatican décrient la « culture profondément amorale » du système financier mondial
Deux bureaux du Vatican se sont attaqués au système financier mondial, décriant dans un nouveau document la façon dont les marchés servent principalement la minorité la plus riche du monde et accentuent le profit au point de créer une « culture profondément amorale ».
Deux bureaux du Vatican se sont attaqués au système financier mondial, décriant dans un nouveau document la façon dont les marchés servent principalement la minorité la plus riche du monde et accentuent le profit au point de créer une «culture profondément amorale».
Dans une démarche conjointe qui donne un poids théologique à la critique fréquente du Pape François que “cette économie tue”, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et le Dicastère pour le Développement Humain Intégral sonnent l’alarme : les marchés mondiaux sont en train de revenir au niveau des anciens sommets d’« égoïsme myope » 10 ans après la crise financière de 2008.
“Les marchés, ces puissants moteurs de l’économie, ne sont pas capables de se gouverner eux-mêmes”, déclarent les bureaux du Vatican dans le document, intitulé Oeconomicae et pecuniariae quaestiones et publié le 17 mai.
“Il est temps de revenir à ce qui est authentiquement humain, d’élargir les horizons des esprits et des cœurs”, disent-ils. “C’est le devoir des agents compétents et des responsables de développer de nouvelles formes de l’économie et de la finance, avec des règles et des règlements orientés vers le progrès du bien commun”.
Le nouveau document, sous le titre « Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel », étoffe certaines des critiques que François a formulées à l’égard du système capitaliste au cours de ses cinq années de pontificat.
En 16 pages, les deux bureaux du Vatican abordent à la fois la vision globale du système de marché mondial et certains des aspects techniques de la finance qui, selon eux, aggravent l’inégalité mondiale.
Les dicastères placent aussi fermement les enseignements de François dans la tradition plus large de la doctrine sociale catholique, citant abondamment des documents pontificaux traitant de questions économiques, comme Quadragesimo Anno de Pie XI, Populorum Progressio de Paul VI, Sollicitudo Rei Socialis de Jean-Paul II et Caritas in Veritate de Benoît XVI.
L’argument central du document est que le système économique doit « viser avant tout à promouvoir la qualité de vie globale qui, plutôt que l’expansion aveugle des profits, ouvre la voie au bien-être intégral de la personne tout entière et de toute personne. »
« Aucun profit n’est en fait légitime quand il est en deçà de l’objectif de la promotion intégrale de la personne humaine, de la destination universelle des biens et de l’option préférentielle pour les pauvres », déclare-t-il.
Si le document reconnait que beaucoup de financiers et de traders sont « animés personnellement de bonnes et droites intentions », il dit aussi que les marchés mondiaux sont devenus «un lieu où les égoïsmes et les abus ont une puissance de nuisance pour la communauté sans égal ».
Bien que certaines techniques modernes de création de richesses ne soient pas « directement inacceptables d’un point de vue éthique », elles peuvent être « des cas d’immoralité proche, c’est-à-dire des occasions très facilement propices aux abus et aux escroqueries, souvent au détriment de la partie moins avantagée.
De même, la financiarisation du monde des affaires, en permettant aux entreprises d’accéder à l’argent grâce à l’entrée dans le champ de la libre négociation en bourse, est en soi quelque chose de positif.
Cependant, ce phénomène est aujourd’hui susceptible d’accentuer une mauvaise financiarisation de l’économie ; il fait en sorte que la richesse virtuelle, principalement concentrée sur des transactions caractérisées par une intention de pure spéculation et sur des transactions à haute fréquence, attire à elle des capitaux en trop grand nombre, les soustrayant ainsi aux circuits vertueux de l’économie réelle
Le document réserve une partie de son expression la plus forte à la façon dont les responsables du système financier sont formés à leur métier, affirmant que «l’objectif du simple profit crée facilement une logique perverse et sélective qui favorise souvent l’avancement des chefs d’entreprise qui sont capables, mais gourmands et sans scrupules. “
Une telle formation, dit-elle, aide à «créer et à diffuser une culture profondément amorale – dans laquelle on n’hésite souvent pas à commettre un crime lorsque les bénéfices prévus dépassent la pénalité attendue».
“Un tel comportement pollue gravement la santé de tout système socio-économique”, poursuit-il. “Il met en danger la fonctionnalité et nuit gravement à la réalisation effective de ce bien commun, sur lequel est nécessairement fondée toute forme d’institution sociale.”
Parmi les pratiques financières qui reçoivent les critiques les plus vives des bureaux du Vatican, il y a l’utilisation de comptes offshore afin d’éviter l’imposition sur la richesse.
“Aujourd’hui, plus de la moitié du monde commercial est orchestré par des notables qui réduisent leur fardeau fiscal en déplaçant les revenus d’un site à l’autre”, déclarent-ils. “Il apparaît clairement que tout cela a enlevé des ressources décisives de l’économie actuelle et a contribué à la création de systèmes économiques fondés sur l’inégalité.”
“L’évasion fiscale de la part des principales parties prenantes, ces grands intermédiaires financiers, qui se déplacent sur le marché, indique une suppression injuste des ressources de l’économie réelle, et cela est dommageable pour la société civile dans son ensemble”, poursuivent-ils.
“Tout cela… indique une structure qui, telle qu’elle se forme aujourd’hui, semble totalement inacceptable du point de vue éthique”, affirment-ils.
Le document se conclut par un appel à tous, même modestes, pour que le système financier soit plus juste.
«Devant la massivité et l’omniprésence des systèmes économiques et financiers d’aujourd’hui, nous pourrions être tentés de nous abandonner au cynisme et de penser qu’avec nos pauvres forces, nous ne pouvons pas faire grand-chose», affirme-t-il. “En réalité, chacun de nous peut faire beaucoup, surtout si l’on ne reste pas seul.”
Donnant l’exemple de quelqu’un qui choisit ce qu’il faut acheter dans un magasin, il dit : il faut s’orienter vers le choix des biens résultant d’un processus moralement honnête, car même par le geste, apparemment anodin, de la consommation, nous exprimons une éthique en acte et nous sommes appelés à prendre position face à ce qui est concrètement bon ou nuisible pour l’homme.»
Le document du Vatican [1], daté du 6 janvier et approuvé par François, est signé par les chefs des deux dicastères : l’archevêque Luis Ladaria et le cardinal Peter Turkson, accompagnés de leurs seconds.
Note :
[1] https://fr.zenit.org/articles/economie-et-finance-le-nouveau-document-du-saint-siege/Traduction : Lucienne Gouguenheim