Vous avez dit « Délit de Solidarité » ?
Éditorial du Père Olivier Crestois, publié dans le bulletin des 5 paroisses du doyenné Verzion Sologne (transmis par le groupe NSAE-Cher)
Après les récentes lois concernant l’immigration et un recours au Conseil constitutionnel de notre pays, nous sommes à cette heure dans l’attente d’une réponse… La Fraternité, troisième valeur républicaine, va-t-elle l’emporter sur ce qui a été surnommé « le délit de solidarité » ? Sans rire, la solidarité, la vraie, gratuite et toutefois obligatoire, sous peine de non-assistance à personne en danger, et de surcroit évangélique, peut-elle être hors-la-loi ?
Certes le « délit de solidarité » n’existe pas juridiquement à proprement parler. Aucun texte de loi n’utilise ce terme. Il fait toutefois référence à l’article L 622-1 qui mentionne que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France » encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Si ce texte est légitimement censé lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain, son utilisation contre des bénévoles et des citoyens venant en aide à des migrants lui a valu cette appellation. Les condamnations sont rares, mais un argument étonnant a été retenu l’an dernier contre un agriculteur : sa militance… pourquoi pas demain la foi, l’Évangile ? On pense évidemment à Matthieu 25 « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli », mais plus de 100 citations pourraient être relevées dans la bible invitant à prendre soin de l’étranger et justifiant l’action, la militance…
La mutation du monde actuel n’est donc pas que technologique. Ce « délit », comme d’autres prises de position éthiques en plein débat actuellement, atteste qu’un consensus social sur ce que signifie « être humain », c’est-à-dire une conception de l’homme et de sa dignité humaine, s’efface. Je crains que ce ne soit surtout au nom d’intérêts d’abord individuels, nationaux et plus encore financiers. Pourtant, de mon point de vue, il nous appartient que le droit soit au service de tous les plus fragiles.
Un article du 14 avril du journal le Monde évalue à ce jour de 40 000 à 200 000 les victimes anonymes du passage migratoire de la méditerranée, sans compter celles disparues préalablement en Libye ou d’autres déserts de transit. Ce chiffre s’accroit en raison de la fermeture des frontières et bientôt probablement à cause des « réfugiés climatiques ». Imaginons un seul instant les rôles inversés : une migration forcée de très nombreux français ou occidentaux suite à une invasion bactérienne ou une catastrophe nucléaire ? Qu’espérerions-nous ?
Comprenez-moi bien, les migrations posent évidemment problème, d’abord, ne l’oublions pas, à ceux qui ne quittent pas, pays, famille et amis sans raisons souvent vitales. Mais, les souffrances, frustrations, échecs au péril de tant de vies et de larmes de familles, ne risquent-elles pas d’être demain un obstacle à la paix entre les peuples ? L’enjeu mérite en tout cas de remonter à leurs causes profondes et d’être plus imaginatif et humain pour s’atteler à ces flux migratoires !
Voilà qui nous interroge sur la fraternité et la solidarité que nous voulons vivre à la suite d’un Dieu qui en Jésus Christ se fait solidaire d’une terre, d’un Peuple, d’une humanité entière, d’un monde. Ce « délit de solidarité » est particulièrement vécu par le Christ le jour du sabbat, ce qui lui valut la croix pour blasphème. Mettre l’homme debout pourrait-il contrarier Dieu ? Quel serait alors ce Dieu jaloux ? Mais quel est donc cet homme, pour que certains, selon l’expression du pape François, en soient réduits à être aux yeux des autres, les « déchets » de nos sociétés et que leurs frères humains les secourant gratuitement méritent une condamnation « légale » ? Faut-il donc, comme Jésus-Christ, oser être de nouveau hors-la-loi pour être fraternel et solidaire ?
Ce défi de la solidarité ou évangélique est au cœur du projet interparoissial que j’avais mission, comme administrateur, de faire émerger durant cette année passée avec vous. Après l’avoir amendé et validé le mardi 19 juin en présence de notre archevêque, il s’agira de le mettre en œuvre. Il demandera, à la suite du Christ, de déployer une fraternité et une solidarité renouvelées entre les personnes, groupes et communautés de nos paroisses pour se soutenir, s’encourager, appeler, inventer. Toutefois, l’urgence est de poursuivre cette attitude évangélique non seulement dans nos familles, quartiers, communes, travails, études, vies associatives… mais aussi avec tous les hommes et femmes de cette terre quels que soient leur religion, origine ou culture, et plus encore avec la création tout entière, don de Dieu pour tous.