Par Kenneth Haar, Tamasin Cave
Le processus de séparation du Royaume-Uni et de l’Union européenne avance lentement et dans la douleur. Tandis que les obstacles persistants à la signature d’un accord définitif monopolisent toute l’attention, les discussions ont déjà commencé, loin des regards du public, sur l’étape suivante : la conclusion d’un accord de commerce post-Brexit, qui entrera en vigueur suite à une période de transition. Les acteurs privés cherchent déjà à en influencer les contours et à pousser leurs intérêts, dans un processus qui s’avère encore plus opaque que ne l’étaient les négociations du Tafta.
Depuis que les Britanniques ont choisi par référendum de quitter l’Union européenne, les lobbyistes du secteur privé cherchent à faire en sorte que le futur accord régissant les relations commerciales entre l’UE et le Royaume-Uni leur assure un maximum de bénéfices, et entraîne le minimum de perturbations pour leurs affaires. Les plus actifs sont, sans surprise, ceux du secteur financier, qui ne ménagent pas leur peine pour obtenir un accord post-Brexit le plus avantageux possible pour la finance, non seulement dans la City de Londres, mais dans toute l’Europe.
Certaines de leurs propositions entraîneraient un affaiblissement des régulations et l’introduction de nouveaux privilèges pour les multinationales, comme la mise en place de « tribunaux spéciaux » permettant aux banques de poursuivre des gouvernements qui adopteraient des règles jugées inéquitables par le secteur financier, comme l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Dix ans après la crise financière, dont l’une des causes principales était précisément l’absence de régulations solides, l’affaiblissement des règles et des garde-fous mis en place après 2008 apparaît pourtant directement contradictoire avec l’intérêt public. Il est donc impératif que les négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni soient transparentes, afin que le public puisse savoir qui cherche à influencer leur contenu et ce qu’ils proposent.
Notre enquête montre cependant que c’est exactement le contraire qui est en train de se passer. Les lobbyistes du secteur financier ont eu des contacts abondants avec les négociateurs et les décideurs, mais aussi bien les Britanniques que les Européens maintiennent l’omerta sur la teneur des discussions. Une opacité qui se situe dans la droite ligne de ce qui s’est passé autour de négociations commerciales précédentes, comme celles du Tafta, le très controversé projet d’accord transatlantique de libre-échange entre UE et États-Unis. À tout prendre, la négociation d’un futur accord post-Brexit est encore moins transparente que ne l’a été celle du Tafta.
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– Cet article est extrait d’une enquête collaborative en cours sur le lobbying autour du Brexit impliquant Corporate Europe Observatory (CEO), SpinWatch, LobbyControl et l’Observatoire des multinationales, dans le cadre du réseau ENCO de veille et d’investigation sur les multinationales en Europe. Un rapport plus complet sera publié dans quelques semaines.
– Parallèlement à la publication de cet article, Corporate Europe Observatory dépose ce jeudi 25 octobre 2018 une plainte officielle auprès de la Médiatrice européenne sur l’absence de transparence de la Commission et de la taskforce, en contradiction avec le droit de l’Union. Des plaintes similaires ont déjà été déposées en Grande-Bretagne.