C’est fini – Lettre ouverte aux évêques catholiques des États-Unis
Par l’équipe éditoriale du National Catholic Reporter
Chers frères en Christ, bergers, compagnons de pèlerinage,
Nous nous adressons à vous à l’approche de la réunion nationale de cette année à Baltimore, car nous savons qu’il n’y a plus rien à cacher.
C’est fini.
Toutes les manipulations et les contorsions des 33 dernières années, toutes les tentatives de détournement et d’équivoque – tout cela a conduit l’Église, et vous surtout, à ce moment.
C’est fini.
Même les fédéraux sont maintenant sur la piste. Ils vous ont ordonné de ne détruire aucun document. Le ministère de la Justice mène une enquête pénale nationale sur la manière dont vous avez géré le scandale des abus sexuels commis par des membres du clergé. C’est un point de notre histoire sans précédent. Nous voulons que vous sachiez que vous n’êtes pas seuls en ce moment, vous n’êtes pas abandonnés. Mais cette fois, ça doit être différent. Cette fois ce ne sera pas facile.
De la fable au texte sacré, nous savons comment cela se passe. On a atteint le point où tous comprennent que le roi est nu, où les justiciers accusateurs lisent l’écrit dans le sable et disparaissent, où les autorités religieuses reçoivent les reproches les plus virulents du Maître. Au sein de la classe des dirigeants religieux, les plus rudes d’entre vous sont devenus assez doués pour appliquer la loi et se réclamer de l’autorité divine pour marginaliser ceux qui transgressent les lois. Le scandale prolongé des abus suggère toutefois que vous n’avez pas très bien réussi à faire votre propre inventaire.
Nous n’avons aucune idée particulière de la raison pour laquelle cet épisode – le rapport du grand jury de Pennsylvanie, la chute de Theodore McCarrick – a tellement captivé l’imagination du public et conduit l’Église à ce niveau d’exposition et de vulnérabilité. Il y a plusieurs théories, notamment que les opportunistes parmi nous tentent de profiter de ce moment pour renverser le seul pape qui ait réellement détrôné des évêques et un cardinal pour leurs crimes et leurs défaillances.
Mais c’est là un problème dont on parlera une autre fois.
Nous savons tous que la réalité est que cela dure depuis longtemps. La première histoire nationale est apparue sur quatre pages de cette publication au cours de l’été 1985. Le pire a eu lieu pendant le pontificat d’un Jean-Paul II, hâtivement béatifié, un géant de la scène mondiale, mais un pasteur qui a laissé les loups errer dans son troupeau. Son concept idéalisé de sacerdoce héroïque le laissait apparemment incapable d’entendre la vérité venant de témoins crédibles, y compris des quelques évêques qui osaient déranger ce monde idéalisé avec des rapports troublants. Il a promu jusqu’au bout Marciel Maciel Degollado, le fondateur de la Légion du Christ, un personnage qui a fini par représenter le pire du scandale des abus. Maciel, un thuriféraire accompli, a résisté à l’examen par sa capacité à distribuer beaucoup de jeunes prêtres et beaucoup d’argent autour du Vatican.
Le point incontestable c’est que nous sommes à un moment sans précédent de l’histoire de l’Église américaine – et peut-être de l’histoire de l’Église mondiale. Il ne s’agit pas de questions à débattre – comme le célibat ou le filioque, ou la primauté des Écritures, ou si la Terre est le centre de l’univers, ou si les femmes devraient accéder à l’ordination ou n’importe laquelle des questions délicates pour lesquelles nous nous sommes affrontés ces dernières décennies. Il s’agit plutôt d’une pourriture au cœur de la culture dont est garant le leadership de la communauté catholique. Une pourriture si envahissante qu’elle a touché tous les aspects de la vie de la communauté, bouleversant toutes les certitudes et les présomptions sur qui nous sommes et qui vous êtes, qui contribuaient à la cohésion de la communauté.
Ceux qui ont travaillé si ardemment dans le passé pour vous habiliter – les fidèles, ainsi trahis, qui ne pouvaient tout simplement pas croire que vous vous livriez à une telle dissimulation délibérée ; les likes de George Weigel et son hagiographie aveugle dépourvue de critique du pape Jean-Paul II ; Mary Ann Glendon et feu le p. Richard John Neuhaus et leur célébration et défense naïves de Maciel ; le reste du chœur chez First Things et des publications analogues ; le silence parlant de tant d’autres moyens d’expression catholiques ; l’absurdité du charlatan William Donohue et de sa stupide ligue « catholique » – tous ceux-là ont contribué à maintenir votre pauvre récit, car beaucoup d’entre eux ont dénigré ceux qui avaient soulevé des questions difficiles et recherché la vérité.
C’est fini.
Aucun d’entre eux n’a désormais d’arguments convaincants à exhiber. Certains d’entre eux essaient maintenant d’attribuer la crise à des prêtres gays. Vous pourriez être tenté de vous en tenir à cette diversion, mais cela ne fera que prolonger une agonie déjà trop longue.
Il y a certainement des prêtres et des évêques gays parmi nous – le pourcentage d’homosexuels est certainement plus élevé dans le clergé catholique que dans la population en général, si l’on en croit les témoignages épisodiques et les confidences privées de directeurs de séminaires et de responsables d’ordres religieux.
La culture du clergé a un besoin profond de discussion sérieuse et d’éducation sur cette question et encore plus sur la sexualité. Il est peu probable que cela se fasse à une échelle significative, car trop d’évêques et de prêtres, s’ils étaient honnêtes, devraient admettre une orientation que l’Église qualifie encore de « désordonnée ».
Mais, à moins que le poids d’experts crédibles renverse soudainement la compréhension des choses, l’orientation sexuelle ne fait pas partie des sujets qui ont à voir avec les abus sexuels.
L’orientation n’est pas un facteur déterminant dans la maltraitance des enfants. Si c’était le cas, nous devrions enquêter sur l’orientation hétérosexuelle en tant que cause, car de nombreux abus sont perpétrés par des hommes hétérosexuels sur des garçons et des filles. Alors, prenez cette voie si vous le souhaitez, mais soyez prêt à perdre le peu de réserve de crédibilité qui pourrait vous rester.
C’est fini.
Vous avez été enfermés dans une culture qui vous a trop longtemps protégés des conséquences de vos pires instincts. Les frontières qui autrefois protégeaient votre culture de tout contrôle sont devenues aussi inutiles que les fossés et les murs des siècles précédents. Il n’y a plus de cachette. Vous êtes imbibés des excès de pouvoir, d’autorité et de privilèges qui se sont accumulés au fil des siècles et, à l’instar du toxicomane qui touche le fond, une décision fondamentale en matière de rétablissement est essentielle à votre survie.
C’est fini.
Vous n’avez pas touché le fond parce que la dernière salve de mauvaises nouvelles résultait d’une volonté de faire preuve de clarté et de dire la vérité. Elle résulte encore d’une autre enquête. En bref, vous avez été conduits à des mots de contrition parce que vous avez été pris une nouvelle fois. Oui, la plupart des faits sont anciens. Oui, ils ont été couverts essentiellement par des évêques qui ne sont plus en poste ou qui sont décédés. Les agences de presse qui hésitaient jadis à vous affronter de peur d’être étiquetées anti-catholiques n’ont plus aujourd’hui ces réticences.
Vous êtes devenus un certain appât du clic. Et cela continuera à mesure que, diocèse après diocèse, davantage de documents seront publiés et révélés, et de plus en plus de grands jurys examineront le fonctionnement interne de cette institution au cours des 50 dernières années. C’est une douleur auto-infligée.
Et arrêtez d’affirmer que vous ne saviez pas ce qui se passait avant 2002. Si le scandale a éclaté en 2002, c’est parce qu’un long fusible a déjà déclenché des explosions ville après ville, État après État, et a fait l’objet de nombreuses chroniques 17 ans auparavant. La foudre a frappé Boston. À la suite de ces explosions, vous étiez suffisamment sûrs de ce qui se passait et de ses conséquences potentielles que vous avez employé individuellement et collectivement des légions d’avocats. Vous en avez suffisamment su pour garder sous clé les fichiers secrets. Vous saviez que c’était si mauvais que vous deviez le cacher.
C’est fini.
Il est indéniable que vous vous êtes bien adaptés aux mauvaises nouvelles. Vous avez établi une charte pour protéger les jeunes (notons qu’il vous a fallu 16 ans pour parvenir à envisager de vous inclure parmi ceux qui en seront tenus responsables.) Vous avez mis en place un bureau national, payé pour des études approfondies, institué des comités d’examen nationaux et locaux, créé des services de rapprochement et requis des formations à la protection des enfants et la vérification des antécédents, et payé des milliards en règlements. L’Église est incontestablement devenue un lieu sûr pour les enfants après tous ces efforts. Mais tout a été fait en réaction à des forces extérieures.
La seule chose qu’on ne peut pas vous obliger à faire est ce que vous diriez que réclame notre tradition sacramentelle : un examen personnel approfondi, dire la vérité, implorer le pardon et prendre la résolution de vous amender.
L’examen commence par la question à laquelle vous seul pouvez répondre, individuellement et collectivement : comment nous et nos frères, dans le passé, en tant que leaders de cette culture cléricale, avons-nous atteint le point où nous pourrions rationaliser le fait de tourner le dos aux enfants sexuellement torturé par nos prêtres pour protéger ces prêtres et notre culture ? L’un de vos frères, le cardinal de Chicago, Blase Cupich, a déjà défini quelques étapes appropriées. Les évêques doivent « céder l’autorité », a-t-il déclaré, afin de permettre une plus grande responsabilisation vis-à-vis de l’autorité extérieure. Il a également déclaré que « les privilèges, le pouvoir et la protection d’une culture cléricale » doivent être « éradiqués de la vie de l’Église » sans quoi « tout le reste est un jeu de passe-passe ».
Voici quelques points dignes de considération. La retraite que vous avez programmée pour janvier serait le lieu idéal pour faire cela en tant qu’assemblée. Une suggestion : présentez-vous en civil et laissez à la maison tous les harnachements, les cols et les costumes noirs, toutes les croix en soie et en dentelle et les pectoraux. Dieu vous reconnaîtra. Faites ce petit pas dans l’humilité et rencontrez-vous en tant que frères. Cherchez ceux d’entre vous qui ont souffert, qui ont compris ce que signifie souffrir de la douleur, de la dépendance ou de la maladie. Demandez-leur de vous aider à sortir de ce moment sombre. Ils sauraient le chemin.
Quand ce sera fini, nous faisons ici une suggestion qui va à l’encontre de l’intérêt journalistique : taisez-vous. Pas de grandes déclarations.
Dans les mois qui suivront, alors que l’enquête fédérale arrachera probablement plus de documents et que le feu continuera à déclencher des explosions, certains d’entre vous paieront peut-être cher pour ce que vous avez fait ou n’avez pas fait dans le passé. Nous saurons comment s’est déroulée votre retraite et comment vous agissez dans ces moments-là.
Nous saurons si vous avez vraiment touché le fond et si vous êtes sur la bonne voie pour défendre au mieux les intérêts de la communauté ou si vous êtes toujours à la recherche de la grâce à bon marché et de la solution de facilité.
C’est fini.
Au nom des enfants victimes, des familles déchirées, des parents qui ne connaissent pas la fin de leur agonie, du corps du Christ soumis à une humiliation sans relâche pendant des décennies, il faut que ça s’arrête. Ce temps doit être différent.
Nous prions pour vous
Vos frères et sœurs, vos compagnons de pèlerinage, l’Église.
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : Dreamstime/Kts)