Dépossession
Par Michel Jondot (Dieu maintenant)
« Croyez-vous en l’Église catholique ? »
Bien des croyants, cette année, sont profondément stupéfaits en célébrant cette fête de Pâques. Je connais des catholiques qui refusent définitivement d’entrer dans la joie de la Résurrection à laquelle nous invite l’Église aujourd’hui. Il n’est plus possible de lui faire confiance quand on a vu une certaine émission de Télévision qui révèle les comportements pervers de quelques hautes figures de l’Église de France. Nous sommes sidérés quand la presse fait connaître les condamnations qui tombent sur certains cardinaux en France ou en Australie. Un gros livre, paru voici quelques semaines et traduit en plusieurs langues, étale les comportements scandaleux de nombreuses Éminences dans presque tous les pays et particulièrement au Vatican. On va interroger toutes les assemblées réunies en cette nuit pour proclamer leur foi. On va demander : « Croyez-vous à la sainte Église catholique ? » Quoi répondre lorsqu’on est dépossédé des images que nous nous faisions d’elle !
Déception
Dépossession : tel est peut-être le mot qui nous permet de comprendre l’Évangile de cette nuit pascale. Les trois jours qui précèdent ce dimanche, un groupe de disciples – des hommes et femmes sous le joug d’une grande puissance étrangère – attendait le roi qui les libèrerait. Un certain jeudi, celui qu’ils prenaient pour le Sauveur promis était arrêté comme un vulgaire brigand et le lendemain ils le voyaient dépouillé de tout, exposé aux railleries de la foule. Pour un petit cercle, il ne restait plus qu’une pierre roulée pour cacher la dépouille de Celui en qui ils avaient mis leur confiance. On avait encore la possibilité de venir lui rendre hommage : « À la pointe de l’aurore, les femmes se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparées. » Hélas ! Les voilà dépossédées de cette dernière opportunité : « Elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. » Deux expressions évoquent leur réaction : « Désemparées », « saisies de crainte »… Les propos des « deux personnages » ne les éclairent pas vraiment ; elles ont besoin d’en parler : « Elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. »
La façon dont Luc nous rapporte l’événement est originale par rapport au récit du quatrième évangile. Lui aussi fait état des réactions de Pierre qui « se leva et courut au tombeau », mais il est accompagné de Jean qui, nous dit-on, devant le tombeau vide et les linges et suaires roulés à terre, « vit et crut ». Luc préfère souligner la sidération de Pierre : « Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui est arrivé. » Ce n’est que plus tard dans la journée que son Évangile parle du premier acte de foi. Deux disciples avaient pris la route d’Emmaüs ; la tristesse était inscrite sur leurs visages. En chemin, un inconnu les a rejoints à qui ils confient leur profonde déception : « Nous espérions nous que c’était lui qui allait délivrer Israël… Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit ; mais lui ils ne l’ont pas vu. » Au bout du chemin, au fin fond de leur tristesse, à l’auberge « leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent à la faction du pain ». Mais en se manifestant, Jésus ne se laissait pas posséder : au moment même où ils le reconnaissaient « il avait disparu à leurs yeux ».
Disparition des images
Qu’est-ce donc que la Résurrection ? Ce n’est certainement pas une victoire qui s’impose aux yeux du monde. Au jour de Pâque, Jésus et ses disciples n’ont manifestement pas triomphé des chefs religieux ni du pouvoir romain et ils sont peu nombreux les témoins de cet événement mystérieux. On ne peut parler qu’en image de ce qui s’est produit ce jour-là : ce qui vient du Père, ce qui est donné par lui ne vient pas de ce monde et dépasse ce que nos discours humains peuvent en dire. Croire n’est pas savoir.
En revanche ce qu’on peut percevoir d’après les récits de ceux qui en apportent le témoignage c’est que la Résurrection modifie les regards et qu’elle détruit les images, dépasse les rêves et les attentes. Elle n’est pas seulement un événement qui arrive à Jésus, mais à ses témoins et elle les rejoint au cœur d’une extrême dépossession.
Une sainteté à désirer
L’erreur des croyants d’aujourd’hui et, sans doute, de beaucoup de ceux qui nous ont précédés, c’est de croire qu’en adhérant au message des Évangiles on possède une vérité qui nous met au-dessus de la société qui nous entoure. Certes nous pouvons souffrir de ces scandales qui défrayent la chronique. Sans doute, ce qui est le plus triste dans leur comportement c’est qu’ils s’imaginent posséder la connaissance de la morale humaine. Ce qu’ils enseignent les met au-dessus de ceux auxquels ils s’adressent et leur position les dispensent de pratiquer ce qu’ils professent. Cette façon de dominer autrui se retrouve peut-être dans l’attitude de bien des chrétiens de France qui manifestent pour imposer les bonnes règles dont ils auraient la clef. Qui peut posséder la clef du bien vivre ?
« Croyez-vous à la sainte Église ? » Pour ma part, je réponds « oui » en précisant que je crois que la sainteté de l’Église n’est pas enfermée dans les images qu’on peut s’en faire. Elle n’est pas à posséder, mais sans cesse à désirer.