Par Luisa Derouen [1]

Cela fait 20 ans que j’essaie d’aider les personnes transgenres à rester proches de Dieu et à rester dans l’Église catholique. La plupart d’entre elles restent proches de Dieu, mais rester dans l’Église catholique est une tout autre affaire.
Beaucoup de mes amis transgenres ont décrit leurs expériences douloureuses comme celle de la porte de l’Église catholique qui leur claque à la figure. Leur expérience la plus récente de ce rejet est le document de la Congrégation pour l’éducation catholique, « Homme et femme il les a créés » [2]. Depuis sa publication, de nombreux articles intéressants ont été consacrés à sa signification et à son impact.
Presque tous ont reconnu comme positif le sous-titre du document « Vers une voie de dialogue sur la question de la théorie du genre dans l’éducation ». Il est encourageant que la congrégation envisage un dialogue. Des articles ont également exprimé de la déception et de la préoccupation devant le fait que les positions fondamentales du document sur la théorie du genre soient malheureusement mal informées de la science contemporaine et de l’expérience vécue par les personnes transgenres.
Pour ces deux raisons, mes amis transgenres (qui se soucient encore de ce que dit l’Église catholique) sont blessés par ce document et savent que leurs vies en seront affectées de façon négative. Une fois encore, on parle des personnes, et on ne parle pas avec elles. Plusieurs d’entre elles ont lu le document et m’ont partagé leurs préoccupations. Voici un échantillon de ce qu’elles disent.
Connie, qui est assidue à la messe tous les dimanches, écrit : « Je trouve de plus en plus difficile de conserver ma foi à la suite de chaque publication qui continue de décrire à quel point il est immoral, erroné d’être LGBTQ. J’essaie de l’ignorer quand je vais à la messe, mais c’est chaque fois juste devant moi. »
Colette dit : « Avec la grâce de Dieu, je ne quitterai jamais l’église. Mais je suis aussi effrayée et profondément troublée. J’essaie de comprendre ce que Dieu me demande, et j’essaye d’aller en confiance vers où l’Esprit me mènera. »
Scotty se lamente : « Il existe des connaissances scientifiques et médicales que la hiérarchie a choisi d’ignorer. Ce n’est pas une théorie. Une fois encore, la hiérarchie a choisi de diminuer et de limiter mon expérience vécue, tout en se disant à l’écoute. Ce n’est pas le cas. »
Pour beaucoup de personnes transgenres catholiques, il est probablement trop tard pour dialoguer. Elles ont vraiment essayé de rester dans l’Église catholique, mais il y a eu trop de paroles et d’actions blessantes à leur égard.
Mais il y en a aussi de nombreuses qui sont toujours disposés et désireux de dialoguer.
Je vous en prie, évêques, pasteurs, ministres de paroisse, éducateurs, formateurs et vous tous, peuple de Dieu, écoutez s’il vous plaît les transgenres ! Écoutez leurs histoires personnelles de lutte et de transformation. Écoutez leur amour pour leurs familles et pour Dieu. Écoutez leurs compétences professionnelles en tant que médecins, psychologues, théologiens, avocats. Ils sont les experts de leurs propres vies.
Comment devrions-nous écouter les personnes transgenres ?
Écoutez avec humilité et sans juger. Nous ne connaissons pas leurs vies. Elles, oui. Écoutez en tant qu’apprenant. Écoutez avec la volonté de réexaminer vos hypothèses et vos croyances à leur sujet. Écoutez avec la volonté de vous laisser changer par ce qu’elles disent.
Le récit non informé sur les personnes transgenres, c’est qu’elles sont pécheresses, égoïstes, délirantes et peut-être dangereuses. Si c’est ce que nous croyons, comment pouvons-nous avoir l’esprit ouvert pour apprendre sur elles et par elles ? La première fois que Dawn m’a rencontrée, elle a franchi courageusement le pas, après des années de secret et m’a raconté toute son histoire. Quand j’ai essayé de lui faire prendre une pause pour manger quelque chose, elle a immédiatement répondu : « Je n’ai pas faim de nourriture ! J’ai faim de quelqu’un qui m’écoute et qui ne me juge pas. »
Elles ne choisissent pas leur sexe. Elles choisissent de vivre comme la personne qu’elles se savent être. Et elles ne choisissent certainement pas cela par caprice, parce qu’elles en ont simplement envie. Qui choisirait d’être rejeté par sa famille, ses amis et ses communautés religieuses ? Qui choisirait de perdre son travail, sa maison, sa réputation ? Beaucoup s’engagent dans des années de conseil en effectuant le dur travail de connaissance de soi et de traitement des conséquences de chaque décision prise en cours de route. Elles font des efforts herculéens pour épargner à leurs proches la douleur et les traumatismes.
Écoutez les façons dont Dieu est actif dans leurs vies. Ce fut un grand privilège pour toutes ces années de témoigner de leur fidélité à Dieu. Elles ne choisissent pas de se séparer de Dieu. Elles prennent des décisions extrêmement difficiles pour changer leur vie en sachant qu’elles perdent tous ceux qu’elles chérissent et tout ce qu’elles apprécient. Elles prennent ces décisions afin de vivre avec intégrité et fidélité à Dieu.
J’ai récemment reçu un courrier électronique d’une transsexuelle pleine de foi dont la santé est sérieusement compromise par des années de stress, essayant de continuer à prétendre être quelqu’un qu’elle ne sait pas être. Dans nos nombreux échanges, il est clair pour moi que son plus grand désir est de faire la volonté de Dieu pour elle. Elle a écrit : « Vais-je offenser Dieu si je fais la transition ? Il n’y a pas de vie en moi sans le Christ au centre. Cependant, il n’y a pas de moi sans transition. Un tel paradoxe. » D’après mon expérience, sans exception, lorsque ces personnes arrêtent de combattre leur réalité transgenre et acceptent d’être ce qu’elles sont, leur relation avec Dieu est renforcée et non pas diminuée.
Écoutez avec respect. La vie de tout le monde est un chemin sacré. Et cela inclut les personnes transgenres. J’ai tellement appris d’elles sur le pardon, la patience, le courage et la confiance en Dieu. Leurs vies méritent d’être honorées et reçues avec respect. Bien écouter la vie de quelqu’un est un acte sacré pour celui qui parle et celui qui écoute.
Je n’oublierai jamais ce que certains de mes amis transsexuels m’avaient dit en 2007, lorsque mes problèmes de mâchoire m’avaient forcée à limiter mes paroles. J’avais peur de ne pas pouvoir les soutenir de la manière dont je l’avais toujours fait et dont elles avaient besoin. Elles m’ont rappelé catégoriquement que mon écoute respectueuse, aimante et sans jugement était tout aussi importante que tout ce que je pouvais dire avec des mots.
L’écoute se produit lorsque je peux permettre à la parole de l’autre de parler de ma vie et lorsque mon attention à l’autre nous libère, ce qui est une écoute rédemptrice. Douglas Steere le dit bien : « Écouter » l’âme de quelqu’un d’autre dans une condition de divulgation et de découverte peut être presque le plus grand service que puisse rendre un être humain à un autre ».
L’invitation au dialogue contenue dans le document de la Congrégation pour l’éducation catholique est adressée aux éducateurs et formateurs catholiques, mais nous pouvons accepter aussi bien l’invitation pour nous-mêmes. Ne sommes-nous pas tous appelés à dialoguer les uns avec les autres en tant que peuple de Dieu ? Lorsque nous écoutons bien, nous sommes conduits dans la vérité et la vérité nous mène toujours à Dieu, qui est la vérité. S’il vous plaît écoutez le peuple de Dieu transgenre.
Notes :
[1] Luisa Derouen, membre des Sœurs dominicaines de la paix, a commencé à exercer son ministère au sein de la communauté transgenre en 1999 et a accompagné spirituellement, de façon formelle ou informelle 250 personnes transgenres dans tout le pays. Elle est à présent en semi-retraite à St. Catharine Motherhouse, dans le centre du Kentucky. [2] Voir : https://nsae.fr/2019/06/14/un-bureau-du-vatican-denonce-la-theorie-du-genre-et-sinterroge-sur-les-intentions-des-personnes-transgenres/Traduction : Lucienne Gouguenheim