P. David Neuhaus, sj [1]
La Terre sainte constitue le berceau de la chrétienté. Jésus-Christ y est né, y a vécu, y est mort, y est ressuscité des morts, accomplissant ainsi les promesses de Dieu aux patriarches, aux prêtres, aux rois, aux sages et aux prophètes de l’Ancien Testament qui ont vécu sur cette terre. C’est ici que fut établie la première Église des croyants et c’est Jérusalem que les Apôtres partirent pour apporter la Bonne Nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre. Depuis le premier siècle, cette terre a abrité des chrétiens qui ont joué un rôle essentiel dans son histoire. Qui sont les chrétiens de Terre sainte aujourd’hui ? Quels sont les défis auxquels ils sont confrontés ? Quel est leur avenir ?
Qui sont les chrétiens de Terre sainte aujourd’hui ?
Les chrétiens de Terre sainte ont des origines, des dénominations et des contextes sociopolitiques très divers.
Premièrement, les chrétiens appartiennent à différents groupes socio-culturels. En l’occurrence :
• les chrétiens palestiniens, les habitants chrétiens autochtones du pays, de langue arabe ;
• les chrétiens de diverses origines vivant au sein de la société israélienne juive et parlant l’hébreu ;
• les chrétiens travailleurs émigrés et demandeurs d’asile ;
• les expatriés résidents permanents, la plupart d’entre eux travaillant dans des structures ou institutions d’Église.
Deuxièmement, ces chrétiens appartiennent à diverses Églises : grecque orthodoxe et grecque catholique, apostolique arménienne, catholique romaine, orthodoxe et catholique syriennes, copte, éthiopienne, maronite, anglicane, luthérienne, sans compter une pléthore de groupes évangéliques.
Troisièmement, les chrétiens vivent dans des contextes politiques différents liés aux événements qui ont eu lieu en Israël-Palestine depuis 1948.
En Israël même, on compte :
• environ 125 000 citoyens israéliens chrétiens qui sont des Palestiniens arabes. Ils sont principalement Grecs catholiques, Grecs orthodoxes, catholiques romains et maronites ;
• environ 35 000 citoyens chrétiens vivant au sein de la communauté israélienne juive de langue hébraïque. Ce sont principalement des migrants de l’ex Union Soviétique, donc orthodoxes russes. Mais on trouve aussi des orthodoxes éthiopiens, des catholiques et des protestants. S’y ajoutent entre 6 000 et 10 000 juifs messianiques.
• environ 150 000 travailleurs migrants et demandeurs d’asile chrétiens venant principalement d’Asie (Philippines, Inde et Sri Lanka), d’Europe de l’Est et d’Afrique (majoritairement d’Érythrée). La plupart d’entre eux sont catholiques, orthodoxes érythréens, orthodoxes russes ou protestants.
En Palestine et à Jérusalem-Est, il y a environ 50 000 chrétiens dont presque tous sont des Palestiniens arabes. Ils sont principalement Grecs orthodoxes et catholiques.
Ces chiffres illustrent la diminution considérable du nombre de chrétiens palestiniens face à l’augmentation spectaculaire du nombre de chrétiens qui ne sont pas arabes.[2]
Définir les défis auxquels sont confrontées les communautés chrétiennes en Terre sainte est une façon de les décrire.
Quels sont les défis auxquels les chrétiens de Terre Sainte sont confrontés ?
Les chrétiens palestiniens sont avant tout confrontés à une myriade de niveaux de fragmentation qui leur ont été imposés : confessionnels, historiques et sociopolitiques. Les chrétiens palestiniens sont divisés en une multitude de confessions dont les origines remontent aux débats théologiques des premiers siècles et à la fragmentation structurelle de l’Église d’Europe qui en a résulté. Pour beaucoup, ces divisions et les rivalités qui en découlent sont une source de scandale. Beaucoup insistent sur le fait que leur identité première est chrétienne plutôt que byzantine, latine ou protestante. Le dialogue œcuménique n’est pas une simple formalité mais une réalité quotidienne, et les chrétiens arabes, très conscients de leurs effectifs ré duits, font leur la devise :
« Unis nous survivons, divisés nous disparaissons ».
Les divisions ne sont cependant pas seulement confessionnelles, elles sont aussi géopolitiques. Après 1948, les Arabes palestiniens chrétiens, à l’instar de leurs compatriotes musulmans, se sont retrouvés dans trois groupes sociopolitiques différents. Certains sont devenus citoyens de l’État d’Israël qui venait d’être créé. D’autres se sont retrouvés à Jérusalem-Est et en Cisjordanie annexées par le royaume hachémite de Jordanie, ou encore dans la bande de Gaza occupée par l’Égypte. Pour beaucoup d’autres, ce fut la diaspora, et une vie de réfugiés. En 1967, Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza furent occupées par Israël. Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens de Cisjordanie et tous ceux de Gaza vivent dans des zones définies comme « autonomes », politiquement divisées, structurellement complexes, qui ne peuvent fonctionner de façon efficace en raison du constant contrôle israélien sur ces territoires.
La lutte actuelle pour l’indépendance dans les territoires occupés par Israël en 1967 et celle pour l’égalité dans les territoires qui sont devenus l’État d’Israël en 1948 offrent une plate-forme qui peut permettre aux chrétiens palestiniens de non seulement dépasser leurs divisions confessionnelles mais aussi de s’unir aux musulmans dans un programme commun d’action. Il ne fait aucun doute que de nombreux chrétiens engagés dans la lutte pour l’indépendance et l’égalité aspirent à une société laïque et démocratique qui garantirait leurs droits en tant que citoyens.
L’un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les chrétiens palestiniens en Terre sainte est le départ des chrétiens de leur patrie. Cette tendance, qui remonte au XIXe siècle, est peut-être l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur les communautés chrétiennes arabes dans tout le Moyen-Orient aujourd’hui. La fuite des cerveaux au sein de la communauté chrétienne est grave parce que les jeunes, les gens éduqués et les professionnels émigrent et laissent derrière eux une communauté de plus en plus appauvrie. Les chrétiens ont aussi des familles de plus en plus petites, comparées à celles des musulmans et des juifs. Il en résulte que leur proportion dans l’ensemble de la population diminue considérablement malgré une légère augmentation du nombre global de chrétiens d’une année sur l’autre.
Quant aux chrétiens vivant au sein de la société juive israélienne (citoyens israéliens, travailleurs migrants et demandeurs d’asile), leur présence en Terre sainte est liée à l création de l’État d’Israël.
Des membres chrétiens de familles juives et des chrétiens revendiquant des racines juives émigrent en Israël depuis 1948 et se voient attribuer les mêmes privilèges que leurs compatriotes juifs. Après les vagues massives d’immigration en provenance de pays de l’ex-Union Soviétique (environ un million de personnes entre 1990 et 2005), les chrétiens non arabes représentent à peu près un quart des citoyens chrétiens d’Israël. Les nouvelles populations chrétiennes de travailleurs migrants et demandeurs d’asile ont établi des églises de fortune dans des endroits où l’Église n’était pas présente auparavant, au cœur même des villes et des cités juives. De nos jours, le sud de Tel-Aviv compte l’une des plus grandes populations chrétiennes de Terre sainte, des dizaines de milliers de chrétiens appartenant à une pléthore d’Églises, orientales, catholiques, protestantes et évangéliques, sans oublier les nombreuses sectes.
La pression pour s’intégrer à la population juive est forte et certains chrétiens, surtout s’ils ont le statut de citoyens, adoptent les coutumes juives ou même se convertissent au judaïsme. Le processus d’intégration aboutit encore mieux avec les enfants de ces immigrants, puisqu’ils fréquentent l’école publique juive d’Israël et ne sont pratiquement pas exposés à la foi et aux traditions de leurs parents. L’État encourage la conversion au judaïsme de personnes perçues comme ayant un héritage juif, ce qui est particulièrement développé au sein de l’armée israélienne où les jeunes sont encouragés à rejoindre « la majorité » en devenant officiellement juifs.
Ces nouvelles populations chrétiennes constituent un dilemme pour un État qui se définit comme juif. Si les Palestiniens chrétiens se distinguent clairement de la majorité juive parce qu’ils sont arabes, ces nouveaux chrétiens, eux, vivent au cœur même de la société juive. Les citoyens israéliens chrétiens non arabes n’ont aucune revendication politique par rapport à l’État, mais cherchent plutôt à être totalement intégrés. Quant aux chrétiens qui n’ont pas le statut de citoyens, à savoir les travailleurs émigrés et demandeurs d’asile, ils doivent faire face aux énormes défis que sont les conditions de vie précaires, l’exploitation sur le marché du travail, le manque de couverture sociale et le racisme croissant, dirigé en particulier contre les Africains.
Quel est leur avenir ?
La constante discrimination et la marginalisation des chrétiens en Palestine et en Israël affaiblissent des communautés déjà fragiles et qui ont pourtant un rôle essentiel à jouer sur cette terre qui a vu naître le christianisme. Cependant, les chrétiens, plus ,peut-être que tous les autres habitants de Terre sainte aujourd’hui, sont surtout menacés par l’état de guerre permanent entre Israël et la Palestine. L’occupation des terres palestiniennes, la discrimination à l’encontre des citoyens arabes en Israël, toute la violence et l’agitation sociopolitique de la région sont autant d’éléments qui menacent l’avenir des chrétiens et celui de tous..
La présence institutionnelle chrétienne est significative, malgré le petit nombre de chrétiens. Cette présence institutionnelle s’est construite au fil des siècles et s’adresse à un nombre croissant de non-chrétiens. Les institutions scolaires, les établissements médicaux et les organismes d’aide sociale constituent des lieux stratégiques où le discours et les valeurs chrétiennes peuvent être encouragés au sein de la société dans son ensemble. Les écoles chrétiennes sont parmi les meilleures en Israël et en Palestine. La présence chrétienne dans les institutions témoigne d’une Église au service de tous, des plus démunis en particulier.
Les chrétiens ont pour vocation d’envisager l’avenir avec espoir tout en faisant face activement au présent. Pour ce faire :
• les chrétiens doivent développer ce sentiment qui est le leur d’enracinement profond en Terre sainte et leur vocation à être un témoignage cohérent et uni du Christ, de l’amour de Dieu, et d’un Évangile de pardon et de réconciliation, partout où ils vivent ;
• les chrétiens doivent identifier parmi les musulmans et les juifs ceux qui peuvent être des alliés dans la lutte pour une société où la liberté, la dignité et le respect des droits humains seront des droits fondamentaux, à la fois en Israël et en Palestine ;
• les chrétiens doivent s’engager dans la société civile pour promouvoir justice, paix, égalité, pardon et réconciliation, et réclamer l’établissement d’une identité civile basée sur la citoyenneté plutôt que sur une identité religieuse, confessionnelle ou ethnique.
Notes :
[1] Le père David M. Neuhaus est un prêtre jésuite israélien, ancien vicaire général en charge de la communauté des catholiques d’expression hébraïque du Patriarcat Latin de Jérusalem.[2]. Les chrétiens palestiniens constituaient 10% de la population en Palestine avant 1948. L’évolution dramatique qui s’est produite après 1948 est due à plusieurs facteurs : une formidable augmentation du nombre de juifs, le départ de nombreux réfugiés palestiniens, dont des chrétiens, la migration qui se poursuit des chrétiens palestiniens hors de Terre sainte, ainsi que la diminution du nombre d’enfants par famille dans la communauté chrétienne palestinienne.
Source : Cornerstone n°80
https://drive.google.com/file/d/1mgj-KFNiJcNS5yCiuQTedbj1h3bYp42F/view