Je ne peux pas ne pas parler
Par Jacques Musset
Lettre ouverte aux évêques de Nantes et de Meaux, à leurs conseils et aux prêtres de Sainte-Pazanne
Il y a eu dans l’église de Ste Pazanne (44), au cours du week-end des 19-20 octobre derniers, un rassemblement intitulé « Eucharistie et guérison », à l’initiative de la Fraternité diocésaine des groupes charismatiques et animé par Alain-Marie Ratti, prêtre du diocèse de Meaux et organisateur des soirées dites Raphaël de Melun. Ayant reçu sur le trottoir une invitation, j’ai voulu voir de quoi il s’agissait et je suis allé assister à la veillée de prières du samedi soir sur le dernier banc de l’église. J’en suis sorti consterné !
La veillée a duré deux heures. La nef était pleine. Ce fut un grand show religieux savamment orchestré pour conditionner les participants. Les animateurs (surtout le prêtre) ont appuyé à fond sur la corde émotionnelle et asséné une doctrine à coup de versets du Nouveau Testament pris au sens le plus littéral.
La soirée a commencé par des chants, soutenus par des enregistrements musicaux à très haut débit sonore. De quoi chauffer l’assistance !
Puis il y a eu un très long discours du prêtre attestant d’abord des miracles dont il avait été témoin, puis il s’est lancé dans une grande tirade sur l’hostie consacrée, présence réelle du Christ au milieu des gens, comme il l’était il y a vingt siècles sur les routes de Galilée ! Pour sa démonstration, il n’a pas hésité à déverser quantité de citations des évangiles et de St Paul, lus et entendus d’une manière fondamentaliste. Il semble se moquer des contre-sens pourvu que ça aille dans le sens de ce qu’il veut inculquer. Pour qui l’entend avec un peu de distance, sa conception de la présence du Christ dans l’hostie « avec son corps, son âme et sa divinité » est très matérialiste. Qui ne pense pas comme lui est victime de « Satan et de ses légions d’anges déchus ».
S’en est suivie la procession du St Sacrement à travers l’église durant une bonne demi-heure. Jésus allait visiter les siens au plus près et leur apporter sa « consolation ». Faisant corps avec l’ostensoir, le prêtre s’est arrêté souvent, dirigeant l’ostensoir vers les gens assis sur un banc, l’approchant de telle ou telle personne, puis repartait, revenait en arrière de quelques pas, poursuivait sa marche, faisait halte pour s’essuyer le front, et reprenait son cheminement. Pendant ce temps, nombre de regards curieux étaient braqués sur la démarche du prêtre pendant qu’une musique douce se répandait dans toute l’église. Peut-être un miracle allait-il s’accomplir ?
Revenu dans le chœur, le prêtre a péroré encore sur les « grâces » que Jésus a pu distribuer aux gens dont le cœur était ouvert. Et il a posé la question : pourquoi Jésus se dissimule-t-il sous les apparences de l’hostie ? Réponse : c’est pour ne pas faire de différence au regard de ses disciples, tous amoureux de lui. Le prêtre a terminé en faisant distribuer des centaines de chapelets qu’il a achetés à Medjugorje (c’est un fervent du lieu où il a été guéri, dit-il). Après les avoir bénis, il a recommandé à chacun des participants d’en glisser un anonymement dans une boîte à lettres. Et il a lancé un appel solennel à la quête. Enfin il a fait distribuer à la sortie de l’église un de ses papiers intitulé : « Pourquoi Jésus ne guérit-il pas tout le monde ? ». Sa réponse : on n’en sait rien, mais Jésus veille aux vrais besoins de ses disciples. Donc, mes frères prions, prions, prions…
Voilà, messieurs, ce qu’il m’a été donné de voir et d’entendre le samedi 19 octobre dans l’église de Ste-Pazanne. Quel service cette manifestation a-t-elle pu rendre aux chrétiens ? À mon avis, elle a enfoncé le public dans une religion basée sur l’émotion, une foi de charbonnier, une absence de questionnement, la recherche du seul profit personnel (il n’a été question que de « Jésus et moi », de « Dieu et moi »).
Plus précisément, l’intervenant s’est référé à la représentation d’un Dieu tout-puissant et bon, dont le comportement silencieux dans les pires tragédies humaines pose cependant de redoutables questions. Notre orateur n’en a pas paru conscient. De même il a mis l’accent sur une dévotion née au XIIIe siècle et relativement marginale, déconnectée de la célébration de l’Eucharistie. De cette dévotion à l’hostie consacrée très matérialisante il ressort une représentation du Christ qui n’a pas grand-chose à voir avec le Nazaréen qui a misé sa vie au nom de son Dieu pour redonner confiance, espoir et vie à ses compatriotes marginalisés et rejetés pour toutes sortes de raisons, dans le cadre de la religion de son temps pervertie par le ritualisme et le légalisme. C’est sur ces enjeux que Jésus a été assassiné. C’est sur eux que nous sommes appelés à poursuivre son œuvre de libération à tous niveaux. Ne retombons pas dans les ornières du judaïsme du temps de Jésus et condamnées par lui. Autre réserve : sous ses dehors communautaires, la célébration ne l’a pas été ; il y avait un acteur principal qui a conduit la cérémonie de bout en bout et un « troupeau » de fidèles qui gobait ce que disait et faisait le « gourou », l’homme sacralisé qui sait tout sur tout. Le danger de dépendance est réel. Alain-Marie Ratti est un fameux bateleur !
Au motif de toutes ces réserves, je ne comprends pas que vous, évêque de Nantes, ayez autorisé ce genre de manifestation, que vous, évêque de Meaux, laissiez Alain-Marie Ratti se répandre, ni que vous, les prêtres de Ste-Pazanne, ayez recommandé et accueilli le week-end et la veillée.
Voilà ce que je voulais vous exprimer au nom de mon attachement à la personne de Jésus le Christ et au visage de son Dieu qui transparaît à travers ses paroles et ses actes de libération. C’est cette « religion » en esprit et vérité que j’essaie de vivre concrètement, dont les deux grands commandements se conjuguent ensemble, mais où la pratique du second atteste seule la qualité de réponse au premier.
Je suis loin d’être le seul à ne plus retrouver mon compte dans les messes et autres cérémonies paroissiales, dont le langage et le fonctionnement datant d’une autre culture ne sont plus crédibles. Essayez-vous d’entendre ces chrétiens qui désertent les églises pour ces motifs ? Je vous recommande à ce sujet l’article de Jean-Louis Schlegel paru dans le numéro des Études d’octobre : « Pourquoi les chrétiens s’ennuient-ils à la messe ». Il est très instructif.
Veuillez croire, Messieurs les évêques et messieurs les prêtres ainsi que vos conseils, à la sincérité de ma démarche inspirée par ma passion pour Jésus, son message et sa pratique.