Adieu à Édith Kuropatwa (1933-2020)
Par Gisèle Vandercammen
Tout de suite après sa naissance en 1995 autour de la « Requête du peuple de Dieu », NSAE a participé à la création lors d’une rencontre à Rome du « Mouvement international Nous sommes Église » (IMWAC, devenu aujourd’hui WAC-Int). Nous y avons vécu beaucoup de rencontres et d’échanges riches avec des organisations sœurs, dont tout particulièrement le réseau belge francophone PAVES, dont Édith Kuropatwa a assuré la représentation pendant plusieurs années. Édith et son mari Louis Fèvre ont souvent participé aux Assemblées générales de NSAE, puis, avec Gisèle Vandercammen à celles du Réseau Parvis, lorsque celui-ci a pris le relai officiel au sein d’IMWAC. L’adieu à Édith écrit par Gisèle que nous publions ici est extrait du dernier bulletin HLM n°159 du réseau PAVES
Paix à toi, Édith, fille d’Abraham, Isaac et Jacob, sans oublier Sarah, Rébecca et Judith…
Édith Kuropatwa nous a quittés paisiblement le 10 février 2020. Elle se présentait elle-même ainsi en 2013 [1] : « Je m’appelle Édith, je suis née en 1933 d’un couple juif polonais qui s’aimait beaucoup et m’aimait beaucoup ; illuminée par cet amour, j’ai pu traverser de terribles épreuves sans me laisser abattre, en cherchant à temps l’aide amicale et/ou psychologique pour ne pas sombrer complètement dans la dépression.
En 1942, mes parents ont été arrêtés à Bruxelles par la Gestapo parce qu’ils travaillaient pour la presse clandestine. Ils ont été déportés à Auschwitz et je n’ai plus reçu de leurs nouvelles. Cependant, ma mère avait réussi à faire parvenir un message à des parents qui habitaient Bruxelles, leur demandant de me mettre à l’abri dans une famille belge, à la campagne. Ce qui fut fait. J’ai vécu pendant deux ans chez de braves Ardennais qui ne s’embrassaient jamais. (Un couple de boulangers à Marloie). Je fus donc une “enfant cachée”.
J’ai pu aller à l’école, une école du village, école catholique où j’ai dû apprendre le catéchisme… Comme j’étais en manque de marques de tendresse, j’ai raconté à mon institutrice et aux mamans de mes condisciples qui j’étais réellement, ce qui me valut en retour plein de bisous et de câlins, dont j’avais encore plus besoin que de pain.
À la libération, ma grand-mère est venue me chercher et m’a ramenée à Bruxelles. Nous avons habité dans l’appartement de mes parents et espéré leur retour… en vain ! J’ai fait une révolte adolescente 4 étoiles !
J’ai réussi convenablement mes études secondaires, puis deux années d’école normale secondaire et suis devenue institutrice, plus exactement “régente littéraire”, ce qui signifie en Belgique professeur de français et d’histoire pour les classes inférieures du lycée, pour des élèves de 12 à 14 – 15 ans. J’ai obtenu un poste à l’école européenne de Luxembourg… » (poste qu’elle a occupé pendant cinq ans).
Une de ses anciennes élèves, Catherine Roba, qui avait 12 ans, a pu assister au baptême d’Édith, et à cette occasion elle apprit qu’Édith entrait au monastère des bénédictines à Hurtebise, dans les Ardennes, Catherine se souvient avoir eu le privilège de l’aider à préparer son trousseau. Édith a quitté Hurtebise pour un problème de santé, elle a obtenu un poste de professeur de religion catholique dans un lycée de Molenbeek. En recherche d’équilibre, elle a participé à des groupes de rencontre rodgérien, y a rencontré son cher Louis, et au bout de quelques années ils se sont mariés. Louis participait à la Paroisse Libre, il y a tout naturellement introduit Édith ; il organisait aussi des retraites – « Recherche spirituelle en groupe » – où Édith l’a secondé.
En janvier 1995, nous nous rassemblions en nombre à l’occasion de la destitution de Mgr Gaillot. Beaucoup d’entre nous se souviennent de l’implication enthousiaste d’Édith lors de la célébration à la cathédrale Saint-Michel. À Bruxelles, nous fondions le Réseau Résistances. Édith s’y investit tout spécialement, elle fut élue dans le « groupe d’articulation » et participa activement à la création du bulletin dès cette première année. L’événement fut aussi l’occasion pour beaucoup de petits groupes de se rencontrer, et Édith s’impliqua également dans l’effort de regroupement de nos synergies qui ne se fit pas sans difficultés : nous mettions en route le Réseau P.A.V.É.S., nous nous réunissions à Namur et décidions d’éditer nos six bulletins trimestriels en commun, d’abord une ou deux fois par an, puis jusqu’à une fusion partielle à partir de 2004 et totale en 2007. Le groupe bruxellois survivra jusqu’en 2010. Entretemps, Édith avait été invitée par le CIL (Conseil Interdiocésain des Laïcs) à y représenter les « catholiques non-alignés », ce qu’elle fit avec détermination pendant pas mal d’années.
On se souvient que c’est cette même année 1995 que démarrait en Autriche le référendum « pour un renouveau de l’Église catholique romaine selon l’esprit de Vatican II » qui récoltera quelque 2,5 millions de signatures ! Dans notre réseau PAVÉS, c’est Édith et Louis qui se sont le plus investis dans ces contacts internationaux, participant aux sessions annuelles ou bisannuelles de We-are-Church ainsi qu’à celles du Réseau Européen Églises et Libertés, et ce jusqu’en 2011. Nous avons reçu beaucoup de messages de sympathie ces derniers jours des délégués des différents pays qui se souviennent de la passion d’Édith pour changer l’Église et la société, et de « sa parole chaude, franche, directe »…
Tout en restant membres de la Paroisse libre, Édith et Louis participaient aussi à la Communauté de Base du Béguinage où le curé, Jean-Matthieu Lochten, organisait des journées « au vert ». En 2001 ils y rencontrèrent un couple chilien, Adolfo et Carolina, qui leur fut d’une aide précieuse, toujours prêt au dépannage aussi bien pour l’informatique que pour le ménage.
Adolfo témoigne :
En 2007, nous avons déménagé vers Dilbeek et notre maison était tout près de chez elle. Nous avons pu l’accompagner jusqu’à la mort de Louis le 11 juillet 2009. Après la mort de son mari, elle se sentait toute seule et déprimée, donc Carolina avait pris la tâche de l’accompagner dans sa détresse, et notre famille s’était approchée d’elle. L’amour entre nous a grandi. Elle avait toujours un cœur ouvert et extraordinaire.
Avec beaucoup de plaisir, on a pu partager ensemble des moments en famille avec le groupe qu’elle appelait gentiment la « tribu Perez ». Elle était toujours heureuse de participer à nos activités, même si parfois elle se plaignait de notre bruit.
Au cours de ces dernières années, en maison de repos, nous avons pu l’accompagner et on a pu voir comment elle descendait doucement la pente et se préparait à partir. Nous pouvons témoigner qu’elle a fini ses jours heureuse. Elle a toujours exprimé cette joie. On peut dire que dans les deux dernières années, elle avait oublié le drame vécu à son enfance.
Elle était là tout le temps pour essayer d’aider les autres résidents moins valides qu’elle. Chaque fois qu’elle se promenait dans les couloirs de la maison de repos, elle s’arrêtait pour leur donner un petit bisou. […]
Quand j’ai annoncé la triste nouvelle au monastère d’Hurtebise il y a deux jours, la réponse des religieuses nous a réservé une surprise. Elles nous ont signalé que le 10 février, c’est la fête liturgique de sainte Scholastique, la sœur de saint Benoit. La réflexion des sœurs était qu’Édith, comme sainte Scholastique, était toujours une chercheuse de Dieu. Cette histoire nous a fait revenir à la mémoire que Louis Fèvre (un autre chercheur de Dieu) était décédé le 11 juillet, la fête de saint Benoit.
Note :
[1] Texte intégral sur : www.dieumaintenant.com/lesconfessionsdedith.html