Par Pascal Janin
Cinquante jours après la Pâque, les disciples sont encore enfermés dans la peur. Pourtant, le Crucifié ils l’avaient vu et entendu. Nous croyons aussi, mais il faut avouer que l’incertitude et l’impuissance face à la pandémie nous font éprouver la peur. Et les prières n’y font rien, semble-t-il ! Fini le temps des rogations implorant la grâce divine et des prédicateurs évoquant le châtiment divin. Place aux experts qui, par définition, ne peuvent être d’accord. Nous voilà à nouveau plongés dans la perplexité, ne sachant à quels saint ou docteur nous vouer…

Et si nous nous demandions ce que ce carême et ce temps pascal très particuliers nous ont permis de vivre et de penser ? Certes, il n’est pas question d’oublier ceux et celles qui vivent dans de petits espaces, parfois en conflit, ou au contraire ceux et celles qui souffrent de l’isolement ou qui n’ont pas de logement ; et encore moins ceux et celles qui, sur d’autres continents ou près de nous, doivent d’abord penser à se nourrir avant de se préoccuper du Covid-19. Il est aussi hors de question de minimiser la crise économique que nous devons affronter. La question n’est donc pas celle de théologiens de salon, mais d’hommes et de femmes pour qui la parole de Jésus est libératrice.
Il faut cependant ajouter que, pour certains catholiques, la préoccupation majeure fut le rétablissement des messes… Étonnante espérance : quand on sait que beaucoup n’ont pas attendu la pandémie pour déserter le rite dominical en « présentiel » comme l’on dit, lui préférant la « visio » du Jour du Seigneur. A moins que ce ne soit le sport, les courses ou le repos voulu par le Seigneur… Nos églises se rempliraient-elles subitement ? Quand on sait que, hormis quelques exceptions (très visibles, mais qui restent, au regard de la population, marginales), la majorité de ceux et celles qui participent à la messe ont plus de soixante-dix ans et font donc partie de la population dite à risque, on peut en douter…
Ne vous trompez pas. Aucun regard pessimiste ne nous anime. Au contraire. Mais l’espérance chrétienne n’a rien d’un optimisme béat. L’évêque de Pinerolo, Mgr Derio Olivero, a écrit clairement à ses diocésains que ce que nous venons de vivre « n’est pas une parenthèse ». Comme s’il s’agissait de revivre comme avant. Pour lui, il y a plus urgent que le débat sur la messe. C’est d’une refondation sociale et ecclésiale dont il est question. La prise de conscience que nous sommes fragiles, le manque de relationnel dont nous avons pu souffrir est peut-être une occasion pour de « nouveaux modes de vie » (un texte des évêques de France de 1982 retravaillé après Laudato Si). « Que devons-nous faire ? » demandent les auditeurs de Pierre au jour de la Pentecôte.
Et si nous acceptions de ne pas savoir pour chercher ensemble. Beaucoup auront sans doute redécouvert la parole que Dieu nous adresse et qui est aussi sa présence réelle. Nous vous proposons, avec Jean-François Bouthors à redécouvrir comment elle crée et travaille le monde, comment nous sommes invités à la boire et à la manger. Elle nous fait naître, exister, c’est-à-dire sortir de nous-mêmes… Cette parole, il nous la faut écouter en Église et les clercs ne peuvent plus en avoir le monopole d’interprétation. Retourner à la messe pour « assister » au show clérical n’a aucune pertinence. Revivre la messe pour prendre conscience que « nous » sommes le corps vrai du Christ peut être une chance. Sa chair pour faire comme lui, en mémoire de lui. Pour incarner sa parole de vie, pour que se relèvent ceux qui n’ont plus d’espérance, pour que se réveillent ceux qui sont dans la somnolence de l’individualisme.
Retourner à l’église… pour vite en sortir. La Galilée nous attend. Thomas Halik, professeur de sociologie à l’université de Prague, ordonné clandestinement sous le régime communiste, écrivait en plein confinement [1] : « Nous pouvons, bien sûr, accepter ces églises vides et silencieuses comme une simple mesure temporaire bientôt oubliée. Mais nous pouvons aussi l’accueillir comme un kairos – un moment opportun “pour aller en eau plus profonde” dans un monde qui se transforme radicalement sous nos yeux. Ne cherchons pas le Vivant parmi les morts. Cherchons-le avec audace et ténacité, et ne soyons pas surpris s’il nous apparaît comme un étranger. Nous le reconnaîtrons à ses plaies, à sa voix quand il nous parle dans l’intime, à l’Esprit qui apporte la paix et bannit la peur. » Bonne Pentecôte !
Note :
[1] https://nsae.fr/2020/05/05/les-eglises-fermees-un-signe-de-dieu/
