Fête du corps et du sang du Christ
Par Marcel Bernos
Dt 8, 2-3.14b-16a ; Ps 147, 12-13, 14-15, 19-20 ;
1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58)
Et si cette « longue marche dans le désert », dont parle le Deutéronome, était tout simplement l’image de notre vie ? Elle peut, comme en un désert, se dérouler dans une certaine pauvreté matérielle ou morale, un vide culturel ou une aridité spirituelle ? Ou les quatre ? Cette marche devrait être une « démarche » pour nous faire sortir de l’esclavage de nos habitudes, de nos faiblesses, de nos caprices, de nos peurs. Les Hébreux en ont fait l’expérience au désert, mais leur véritable faim, même s’ils ne le savaient pas clairement, c’était la faim de Dieu. Et nous aussi nous sommes en proie à cette faim. sans toujours savoir la définir ni la reconnaître.
Depuis le XVIe siècle, l’Église romaine a donné une place centrale, parfois presque unique à la messe dans la vie « chrétienne » des catholiques. Et à l’intérieur de celle-ci — peut-être dans un esprit « contre-réformé » — à l’Eucharistie. Chaque dimanche, une grande partie des fidèles « communient », suivant bien en cela l’invitation de Jésus : « Prenez et mangez-en tous…, prenez et buvez… ». Cette « faim de l’Eucharistie » a été le prétexte, ces derniers temps, à des récriminations de ceux qui faisaient passer les conditions de sécurité sanitaire — pourtant authentique geste de charité envers notre prochain — après la possibilité d’assister in corpore à la cérémonie hebdomadaire rassemblant la communauté. Il était question de faim de Dieu. Était-ce la seule façon de l’apaiser ?
Certes, saint Jean cite le discours impératif de Jésus sur le pain de vie : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel […] Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Son évangile rapporte aussi les réactions « rationalistes » des Juifs à ce discours : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? ». Soyons sincères, est-ce que nous ne nous posons pas, parfois, la même question ? Que représente vraiment, pour chacun d’entre nous, ce morceau de pain qui « contient » Dieu ?
N’y a-t-il pas une autre approche possible de Dieu moins « substantielle », mais aussi essentielle : sa Parole ? Elle est constitutive de la création, donc du « salut ». Dans le Prologue de l’évangile de Jean, Jésus-Christ est désigné comme le « Verbe ». Il est l’incarnation de la Parole de Dieu, Parole agissante, créatrice. Ne peut-on, ne doit-on pas le retrouver également dans l’étude et la « dégustation » de cette Parole. J’emploie volontairement un terme du vocabulaire de la nutrition, puisqu’il est question de répondre à une faim. Dieu est là aussi, au plus profond de notre intimité.
La « présence réelle » existe aussi dans cette Parole. Combien de communautés chrétiennes l’ont vécu face à des persécutions politiques ou religieuses ? N’ont elles pas réussi à vivre et persisté au long de plusieurs siècles de clandestinité, même sans célébration eucharistique ou de la Cène, par le partage de l’Écriture et la solidarité communautaire, que ce soit au Japon ou dans les Cévennes ?
Le débat houleux, et parfois navrant, sur la réouverture des églises en temps de pandémie, pose crûment non seulement une question de droit, comme l’ont soulevé quelques pétitions enflammées, mais sur ce qu’est notre foi en vérité, et sur quoi elle s’appuie et de quoi elle se nourrit. S’interroger ainsi est d’autant plus urgent quand on voit resurgir comme réponse privilégiée, un peu partout et parfois sous la houlette cléricale, un recours aux dévotions et aux rites.