Par Régine et Guy Ringwald
Le 29 juin, le Pape François a approuvé un document, préparé par la Congrégation pour le clergé, relatif à « La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église » [1]. Précisant que « dans l’Église, il y a de la place pour tous et chacun peut trouver sa place, en respectant la vocation de chacun », le document (22 pages) précise ce qu’est cette place « de chacun ». Le rôle du curé est affirmé comme celui qui, dans le rôle du pasteur, est le seul à pouvoir guider la communauté. Il est le détenteur de l’autorité qui s’applique dans tous les domaines. Les laïcs ne peuvent avoir la responsabilité d’une communauté paroissiale. La lettre contredit directement les efforts visant à confier la direction des paroisses, par exemple, à des équipes de prêtres et de membres de l’église, ainsi qu’à d’autres employés. Aux laïcs, il reste qu’ils peuvent être établis comme « lecteurs et acolytes » (sic), mais « en aucun cas, cependant, ils ne peuvent prononcer l’homélie pendant la messe ». Les essais d’organiser la vie des paroisses là où il manque de prêtres sont vus avec une prudence tout ecclésiastique. Où es-tu Pape François, toi qui pourfends le cléricalisme ?
De nombreuses réactions se sont exprimées [2]. Mais celles que nous relatons ici émanent des évêques allemands et citent explicitement le Cardinal Marx qui a quitté récemment la présidence de la conférence des évêques d’Allemagne. Or on sait que l’Église catholique allemande est entrée dans un processus synodal qui doit traiter notamment de la place des laïcs, « chemin synodal » qui ne plait guère à Rome. On dit aussi que le Cardinal Marx est proche du Pape François, pourtant signataire du document controversé.
Prenant la parole à la cathédrale de Munich, à l’occasion d’un hommage à un ses illustres prédécesseurs, le Cardinal Julius Döpfner (qui fut modérateur au Concile Vatican II), le Cardinal Reinhard Marx a taillé en pièces le document du Vatican.
Il critique la méthode et l’absence d’écoute : « il est un peu étrange qu’un document arrive de Rome sans avoir jamais été discuté avec nous. Est-ce la coexistence d’Églises universelles et particulières que l’on souhaiterait ? Pas vraiment » : allusion à la tension entre l’Église catholique allemande et le Vatican au sujet du « chemin synodal ». Il a également rappelé à la Curie Romaine que pour l’Église, « lire les signes des temps » – comme y invite l’instruction – requiert avant tout la sensibilité de l’écoute. « Mais l’étape suivante est cruciale : la compréhension. Nous ne pouvons pas comprendre seuls. Nous ne pouvons comprendre que dans la communion de l’Église. Nous ne pouvons comprendre que si nous nous écoutons les uns les autres et marchons ensemble », a insisté le cardinal, ajoutant que ce principe s’applique à toute l’Église si elle désire vraiment devenir missionnaire et annoncer l’Évangile.
Le cardinal enfonce un coin : « il ne s’agit pas qu’une personne proclame quelque chose et que les autres n’aient qu’à suivre, mais de s’écouter les uns les autres, d’apprendre ensemble, d’assimiler les expériences de l’Église locale – ce qui me manque dans le document qui a été publié ces jours-ci ». Et il s’insurge : « comme si nous n’avions jamais pensé aux paroisses missionnaires en Allemagne ! »
Il lance aussi une autre attaque contre ce document qui, selon lui, sape le souhait souvent répété par François d’avoir une Église synodale : « l’Église synodale est différente de ce que nous avons connu jusqu’à présent… La Curie n’est pas simplement un organe de contrôle des évêques, mais une aide à l’Église tout entière, afin que l’Église reste unie », a soutenu le cardinal, plaidant pour une nouvelle proximité entre Rome et les Églises locales.
Selon le cardinal Marx, la nouvelle instruction sème la méfiance dans l’Église, entraînant de nouvelles divisions et tensions.
Plusieurs évêques et théologiens allemands se sont exprimés dans le même sens, jugeant le texte rétrograde. Les évêques Franz-Josef Bode (Osnabrück), Peter Kohlgraf (Mayence) et Franz-Josef Overbeck (Essen) ont émis de vives critiques. L’archevêque de Bamberg, Ludwig Schick, a également déclaré que l’instruction faisait « plus de mal que de bien » pour l’Église et sa mission, et a qualifié le texte de « théologiquement déficient ». L’évêque de Würzburg, Franz Jung, a déclaré que le document manquait d’approches novatrices : il regrette que le lecteur de l’instruction « puisse avoir l’impression qu’il s’agit seulement de renforcer les droits du clergé sans pour autant renforcer dans la même mesure la responsabilité globale requise du peuple de Dieu ».
L’évêque de Trêves, Stephan Ackermann, qui fut récemment réprimandé par Rome justement sur sa gestion des paroisses, a déploré que le texte du Vatican limite la responsabilité personnelle des évêques et des diocèses.
S’exprimant dans un sens différent, on retrouve le cardinal archevêque de Cologne, Rainer Maria Woelki, qui est un opposant au « chemin synodal ». Il fait l’éloge du document, tandis que l’évêque Meier d’Augsbourg a souligné que son diocèse « voyait d’un bon œil » la nouvelle instruction du Vatican, une réforme « spirituelle plutôt que structurelle ».
Notes :
[1] http://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2020/07/20/0391/00886.html#fr
[2] Voir Réaffirmation du Vatican : Les paroisses catholiques doivent être dirigées par des prêtres, et non par des laïcs
Sources : Katholische.de ; Religion Digital ; Novena News