Par Mariano (en catalan, Marià) Corbi
Nous reprenons ici un article publié en 2006 par le CETR [1], espace indépendant de réflexion, d’étude et d’enseignement qui s’intéresse aux idées liées à l’expérience religieuse dans la société contemporaine. Il préfère à celui de « spiritualité » le concept de « qualité humaine ».

Dans les nouvelles sociétés, où le succès économique est lié à la capacité d’innovation scientifique et technique, tant pour les biens que pour les services, et donc à la capacité de changer les schémas d’organisation et des valeurs, les modes fixistes de pensée, de jugement, de sentiment, d’organisation ou de vie, qui sont liés à des croyances religieuses ou séculaires (idéologiques) ne sont plus possibles.
Le fait est que :
• les religions traditionnelles se trouvent dans un sérieux discrédit culturel et social ;
• les idéologies classiques, celles qui appartiennent à la première révolution industrielle – le socialisme et le libéralisme -, connaissent également une crise profonde :
- 1- les partis politiques socialistes, les syndicats et les mouvements sociaux sont à la recherche de nouvelles idées pour se structurer ;
- 2- ce que les partis libéraux et les organisations sociales ont sauvé du feu, ce ne sont pas des théories ou des principes, mais des procédures qui ont prouvé leur efficacité dans la gestion économique et sociale : le marché, la démocratie et l’entreprise privée.
Toutes les structures de croyances qui étaient à la base de la construction de la qualité humaine se sont effondrées. Aucune croyance, laïque ou religieuse, ayant une réelle capacité opérationnelle, n’a pu perdurer.
Tout ce qui nous reste, ce sont :
- quelques principes pragmatiques, comme la gestion démocratique des sociétés, la gestion économique et sociale des groupes basée sur l’entreprise privée, la propriété et le marché,
- et un ensemble de postulats relatifs aux valeurs, élaborés au cours des deux derniers siècles : les droits de l’homme.
Voilà où nous en sommes, telle est notre situation.
À notre connaissance, la qualité humaine s’est développée en s’appuyant sur trois axes :
- l’attention, un état d’éveil en alerte
- la prise de distance, une attitude mentale et sensible qui nous met en retrait des situations
- le silence intérieur, la capacité à détacher nos systèmes culturels et personnels de :
- 1) la façon dont nous interprétons les réalités
- 2) la perception et le sentiment que nous en avons ; comment les évaluons-nous ;
- 3) la manière dont nous nous comportons envers les personnes et les choses
En tant que discours social général, à l’époque préindustrielle, les religions, articulées sur des croyances, ont fourni des procédures pour acquérir cette qualité humaine.
Depuis environ deux cents ans, avec la naissance de la première industrialisation, les idéologies se sont d’abord opposées à ce que la religion joue ce rôle ; par la suite, en Occident, l’idéologie et la religion se sont partagé les tâches afin de fournir aux individus et aux groupes une telle qualité.
Dans les nouvelles sociétés industrielles, où il n’est plus possible de s’appuyer sur des systèmes figés ou stables (fixés soit par Dieu, soit par la nature des choses) pour interpréter et valoriser les réalités, pour s’organiser et parvenir à vivre, car on ne peut se gouverner qu’à travers des théories, des postulats et des projets, d’où peut naître la qualité humaine ?
- Nous ne pouvons pas nous appuyer sur des croyances parce qu’elles figent. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous appuyer sur les religions traditionnelles. C’est la cause de leur discrédit.
- Nous ne pouvons pas nous appuyer sur les idéologies qui ont régné aux XIXe et XXe siècles, car elles se sont révélées incapables de faire face à la nouvelle situation.
Où pouvons-nous trouver un appui pour promouvoir et nous guider vers :
- l’état d’attention et d’alerte
- la prise de distance par rapport aux situations personnelles et collectives
- le silence intérieur ?
Les arts et la philosophie peuvent être utiles, mais l’aide majeure pour cette tâche provient de la sagesse de toutes les grandes traditions religieuses.
Pour pouvoir acquérir une qualité humaine grâce à la sagesse et aux méthodes fournies par un si grand dépôt, nous devons apprendre à les lire et à en faire bon usage sans nous soumettre à des croyances ou à des affiliations.
Lorsque nous nous dispensons des systèmes de croyances, ce que toutes les grandes traditions religieuses nous montrent, partout et à tout moment, c’est comment acquérir cette qualité humaine qui est atteinte par l’attention et la vigilance, par la distance et le détachement, et par le silence intérieur.
- Dans le passé, ces procédures et ces enseignements étaient élaborés sur la base de croyances
- Aujourd’hui, nous devrons le faire sans leur aide.
Croire ou ne pas croire n’affecte pas le cœur des enseignements religieux.
Devant la nouveauté des circonstances culturelles, économiques et sociales actuelles :
- Alors que nous sommes pleinement conscients d’être contraints de devoir créer toutes nos structures vitales, les modèles d’interprétation de la réalité, la structure de nos systèmes de gestion, de comportement et de valorisation ;
- Alors que nous réalisons, individuellement et collectivement, que non seulement notre destin personnel et social, mais aussi la vie elle-même et le destin de la planète dépendent de nous, sans aucune garantie extérieure de succès, venant de Dieu ou de la nature,
- Nous avons besoin de toute urgence de procédures claires et éprouvées pour acquérir une qualité humaine individuelle et collective. Un objectif à atteindre sans faire appel à des croyances immuables ou reconnues.
Au CETR, cela fait plus de 35 ans que nous étudions ce problème et plus de 20 que nous testons des solutions pratiques .
Note :
[1] https://cetr.net/
Source : https://cetr.net/en/the_problem_of_human_quality_in_new/
