Chili : l’incroyable ascension de Mgr Cox
Par Régine et Guy Ringwald
Épanchons-nous, l’espace d’une phrase : c’est avec une certaine répugnance que nous évoquons ce qu’on pourrait appeler la double carrière de l’ancien archevêque chilien Francisco José Cox Huneeus, qui vient de décéder à l’âge de 86 ans. Double carrière : celle, commencée dans son jeune âge de pédophile et abuseur sexuel, l’autre, menée en parallèle, d’une singulière ascension dans la hiérarchie catholique. Comment cela fut-il possible ? Nous allons retrouver dans cette histoire la capacité de dissimulation, à la fois d’un cardinal aux larges pouvoirs d’influence, et celle d’un supérieur de congrégation. Ce qui facilite les choses c’est que le cardinal s’appelle Francisco Javier Errázuriz Ossa [1], comme le supérieur de la congrégation d’ailleurs, puisqu’il s’agit de la même personne.
Père de Schönstatt
Disons tout de suite que Cox a été déchu de l’état clérical par le Pape François en octobre 2018. Pourtant, son comportement avait été révélé publiquement en 2002, par l’édition du dimanche du journal La Nación, mais on trouve aussi la trace du fait que déjà, en… 1965, ses abus étaient connus de sa congrégation, comme l’attestera son supérieur, Francisco Javier Errázuriz.
La congrégation est celle des pères de Schönstatt, basée en Allemagne, mais bien représentée et connue au Chili, notamment pour ses activités dans le domaine de l’enseignement. Francisco Cox y entre très jeune, il est ordonné en 1961, à 26 ans. À partir de ce moment, il fut toujours protégé. Au moment où on apprend que La Nación va rendre publics les agissements de Cox, en 2002, Errázuriz, alors qu’il était supérieur de la congrégation, dira que sa conduite abusive était connue de ses supérieurs, « nous en sommes arrivés à être très durs pour le corriger, il s’est tu et a humblement demandé pardon. Il nous a dit qu’il ferait un sérieux effort pour trouver un autre style de traitement, mais malheureusement il n’a pas réussi ».
L’ascension
Bien que ces faits soient connus, Cox est nommé, en 1974, évêque de Chillán, où il a abusé d’un mineur de 11 ans qui a fini par se suicider, arrivé à l’âge adulte.
En 1981, il est appelé à Rome, nommé (sans doute pour ses compétences) Secrétaire du Conseil Pontifical pour la Famille, n° 2 de ce dicastère, puis il revient au Chili en 1985, promu par Jean-Paul II archevêque coadjuteur de La Serena. L’archevêque en titre était Bernardino Piñera [2] dont la mort récente a mis fin aux poursuites qui pesaient sur lui pour dissimulation des abus de Cox.
Il est en 1986 et 1987, Secrétaire de la Commission nationale pour la visite de Jean-Paul II qui aura lieu en 1987. À ce poste, il est le bras droit de Sodano. À la suite de diverses allégations contre Cox, et aussi contre Carlos Oviedo Cavada, alors évêque d’Antofagasta, l’évêque de Talca, à l’époque Carlos Gonzalez Cruchaga a remis personnellement une lettre au pape lui faisant part de ce qui se passait. Mais Errázuriz était devenu supérieur mondial de Schönstatt : la réponse fut que Cox, comme coadjuteur, prit normalement la suite de Piñera.
L’éloignement
En avril 1997, le pape a accepté la démission qu’il présentait. Sa santé mentale fut avancée comme raison de cette démission qui intervenait avant l’âge. Mgr Errázuriz l’exfiltra alors en Colombie en le faisant nommer au CELAM (Conseil Épiscopal latino-américain).
En fait, depuis 1992, un prêtre du diocèse de la Serena, Manuel Hervia avait fait diverses démarches pour se plaindre de plusieurs abus sexuels sur de jeunes garçons. « La Vie » [3], c’est le nom qui lui avait été donné par les adolescents des secteurs populaires de La Serena et de Coquimbo que Cox ramassait l’après-midi pour les emmener au palais de l’archevêque où il les maltraitait [4]. Où on retrouve Mgr Carlos Oviedo Cavada [5], qui était devenu cardinal archevêque de Santiago : il répondit que la congrégation de Schönstatt avait été informée et prêcha la patience. Ce n’est qu’en 2002 que le cardinal Errázuriz expliqua que ce comportement était déjà connu en 1965, et que Cox avait démissionné volontairement sous le poids des accusations d’abus sexuels. Il expliqua alors que Cox avait été transféré en Colombie à cause d’une « affection quelque peu exubérante qui se manifestait à toutes sortes de personnes, bien que ce soit plus surprenant en ce qui concerne les enfants ». Euphémisme pour viol.
En 2002, toujours sous la même haute protection, il partit s’installer en Allemagne, dans une maison de la congrégation de Schönstatt. Il ne revint au Chili qu’en 2019. Il était d’ailleurs poursuivi en Allemagne, encore pour abus sur mineurs.
Ce n’est qu’en 2018 que Cox fut exclu du statut clérical. Il apparaît aujourd’hui qu’il va comme beaucoup d’autres, bénéficier de l’impunité, à moins que… Le tribunal a été saisi par les avocats de Cox d’une demande de clore le procès. Mais le juge responsable du dossier, Christian le Cerf, a rejeté la requête, de sorte que l’affaire peut se poursuivre, au moins pour établir la réalité des crimes imputables à Francisco Jose Cox. Cette décision fait toutefois l’objet d’une procédure en appel.
Pour revenir à Schönstatt, son fondateur, Joseph Kentenich (1885-1968) fait actuellement l’objet d’un procès en béatification. Malheureusement, on vient de découvrir dans les archives du Vatican des allégations d’abus sexuels contre lui [6].
Un cas isolé ?
Certes, le cas de Cox est particulièrement caractérisé : sa protection fut sans faille, favorisée par le double rôle que pouvait tenir le Cardinal Errázuriz, et sa carrière ecclésiastique touchant au plus haut niveau est proprement scandaleuse. Mais on peut opérer des rapprochements.
Au Chili, une autre congrégation est l’objet de poursuites concernant plusieurs accusés : il s’agit des salésiens. Les mêmes salésiens sont directement impliqués dans un scandale, la disparition de Ricardo Harex, à Punta Arenas, probablement victime de l’un d’eux, Rimsky Rojas. Le supérieur de l’ordre que fut Ricardo Ezzati, qui succéda à Errázuriz au siège prestigieux de Santiago, est soupçonné d’en savoir plus. Sa présence (fut-il maintenant émérite) n’est pas faite pour activer le cours de la justice, actuellement au point mort.
Quant à citer une ascension tout aussi scandaleuse que celle de Cox, comment ne pas penser à Theodore McCarrick, lui aussi exclu de l’état clérical, en février 2019. Il avait gravi les échelons jusqu’au poste d’archevêque de Washington, alors que tout le monde savait qu’il avait des rapports particuliers avec les séminaristes. Il fut condamné quand on a découvert des abus sur un mineur. Mais beaucoup connaissaient les inclinations de McCarrick. Cela ne l’a pas empêché de voyager jusqu’en Chine, sans doute pas en simple touriste, ni d’assurer les bons offices au nom du Vatican entre les États-Unis et Cuba. Sur son compte, on attend toujours un rapport annoncé par le Vatican.
Le problème serait-il vraiment systémique ?
Notes :
[1] Cardinal, archevêque de Santiago de 1998 à 2010. Il avait été antérieurement au Vatican secrétaire de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée.
[2] Oncle du Président actuel
[3] « La Vieille »
[4] Source : article de Juan Carlos Claret : « Cox ha muerto pero no la memoria de sus crímenes » (Cox est mort, mais pas le souvenir de ses crimes) https://www.lagarzarevista.cl/blog/2020/08/18/cox-ha-muerto-pero-no-la-memoria-de-sus-crimenes/
[5] On a récemment mis au jour des charges contre cet archevêque, aujourd’hui décédé.
[6] Josef Kentenich, fondateur du mouvement apostolique de Schoenstatt abusait de ses religieuses
Source : GOLIAS HEBDO n° 640