« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix pour les hommes, ses bien-aimés ! » (Luc 2.14)
Ce texte de Naim Ateek nous est transmis par « Les Amise de Sabeel-France » qui le présentent ainsi.
Il nous paraît intéressant à plus d’un titre : d’abord nous ne sommes pas encore sortis du temps de Noël-Épiphanie, certaines Églises chrétiennes viennent tout juste de fêter Noël, autre intérêt : ce sermon est un bel exemple de ce que peut dire aujourd’hui un théologien de la libération, bien ancré dans nos réalités terrestres. Le contexte est important, comme toujours dans les théologies de la libération : Naïm Ateek s’adresse dans ce sermon aux Amis de Sabeel et de Kairos du Royaume Uni, et lui-même vit aujourd’hui aux États-Unis. Il a été chanoine de la cathédrale épiscopalienne St-Georges de Jérusalem et vient d’être nommé chanoine honoraire de la cathédrale de Honolulu

Pour bien comprendre l’impact de ces mots Bonne nouvelle, il nous suffit de nous souvenir de l’annonce faite par Pfizer il y a quelques semaines qu’un vaccin contre le coronavirus allait être disponible. Nous savions que des chercheurs travaillaient assidument depuis plusieurs mois à la production d’un vaccin, mais lorsque cette nouvelle est tombée, c’était vraiment une bonne nouvelle pour le monde entier, en dépit de la mort tragique de centaines de milliers de personnes dans ce même monde.
À Noël nous est rappelée la Bonne nouvelle que Dieu a envoyée il y a 2000 ans à un groupe de simples bergers qui gardaient leurs troupeaux la nuit près de la ville de Bethléem en Palestine, dans un coin perdu du monde et qui vivait sous l’occupation par l’Empire romain : Un ange du Seigneur dit aux bergers : « Soyez sans crainte, car voici je viens vous annoncer une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple. Il vous est né aujourd’hui… un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. »… Et il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour les hommes, ses bien-aimés. »
Comme disciples de Jésus-Christ, nous croyons que la bonne nouvelle du chœur céleste est l’annonce de la paix donnée par Dieu. Cette annonce comporte trois conditions essentielles pour que la paix puisse devenir possible sur la terre.
1. Le chœur céleste disait « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ». La gloire de Dieu est associée à la puissance de Dieu. Rendre gloire à Dieu signifie reconnaître que la puissance et la grandeur, la célébration et la magnificence appartiennent à Dieu seul. Il faut de la puissance pour instaurer la paix. Mais la puissance qui est celle de Dieu est liée à la nature de Dieu, et la nature de Dieu c’est l’amour. Par conséquent la puissance de Dieu qui est nécessaire pour instaurer la paix est sa puissance d’amour. Le danger vient de la manière dont bien des gens voient la puissance aujourd’hui. Les deux sources de puissances les plus communes dans notre monde sont la puissance militaire et la puissance par la richesse. Alors que la puissance humaine se mesure au nombre de blindés et d’avions de combat capables de conquérir et de détruire, ou aux ressources et à la richesse dont se servent quelques personnes de pouvoir pour exploiter, contrôler et déshumaniser d’autres personnes, la puissance de Dieu se mesure à son pouvoir de pardonner, de guérir des personnes et de les restaurer dans leur intégrité, de consoler et de fortifier ceux qui qui souffrent et ont le cœur brisé, et de transformer des structures de domination en structures de paix et de justice.
Ceci dit, il faut bien reconnaître que même dans la Bible on trouve des passages sur le pouvoir qui prêtent à confusion. Dans certains textes de l’Ancien Testament, Dieu est dépeint comme un dieu mâle guerrier qui part à la guerre avec ses tribus israélites pour aller combattre d’autres peuples et piller leurs territoires et leurs biens. Il y a des textes qui présentent un dieu incitant son peuple à voler et à dépouiller d’autres peuples, comme dans le livre de l’Exode (en 12,36) : « Ils dépouillèrent les Égyptiens » ! Il y a des textes bibliques qui présentent un dieu violent qui demande à son peuple d’expulser les habitants indigènes de Canaan (la Palestine) et même de les exterminer, comme nous pouvons le lire dans le livre des Nombres (33.50-53) : « Vous chasserez devant vous tous les habitants du pays… », et aussi dans le Deutéronome (7.2ss) : « Quand Dieu aura chassé devant toi des nations nombreuses… tu les voueras totalement à l’interdit… » ! En ces temps primitifs, la puissance de Dieu se traduisait par des actes de guerre, par la violence et le nettoyage ethnique. Une telle représentation de Dieu répugne à la moralité et à la décence humaine et est contraire à l’image de Dieu que nous avons en Jésus-Christ. Elle ne peut donc pas s’imposer à nous.
Il est important cependant de nous souvenir qu’une telle perception exclusiviste de Dieu a déjà été corrigée dans l’Ancien Testament lui-même. Une perception plus haute, plus évoluée de Dieu l’y représente comme le Dieu de la justice et de la miséricorde, le Dieu d’un amour inébranlable et d’une aimante bonté (hèsèd), non seulement envers l’ancien Israël, mais aussi envers d’autres peuples. Malheureusement cependant, dans certains textes de l’Ancien Testament, la présentation de Dieu a continué à balancer entre une conception inclusive et une autre exclusive de son caractère.
Avec l’avènement de Jésus-Christ, nous en sommes venus à connaître Dieu comme le Dieu d’amour, et sa puissance comme s’exprimant dans son amour. Pour éviter toute confusion avec la conception humaine de la puissance qui inclut en elle en tout premier la guerre, la violence et la destruction, l’histoire de Noël nous invite à tourner nos regards vers un bébé dans une crèche. Voir ainsi dans une mangeoire l’Enfant Jésus et tout ce qu’il représente nous offre une compréhension tout à fait révolutionnaire de la puissance, une compréhension qui critique radicalement la compréhension humaine que nous en avons. Dans le récit de Noël, le roi Hérode le Grand représente et incarne les pires manifestations de ce que sont les gens de pouvoir en ce monde, à cette époque comme aujourd’hui : des gens qui se servent du pouvoir pour exploiter, déshumaniser et anéantir les autres. La puissance d’amour de Dieu par contre est illustrée par la venue de Jésus-Christ et par des gens de conscience et de foi qui expriment leur puissance par des actes d’amour et de compassion. En regardant l’Enfant Jésus dans la crèche, c’est une perspective nouvelle et fraîche de la puissance de Dieu qui nous est donnée, et qu’il nous faut éviter de confondre avec la puissance telle que l’entend le monde. L’enfant dans la mangeoire reflète l’humanité de Dieu, son humilité, et son amour. Plus tard, dans sa vie et son ministère, Jésus a exprimé la puissance de Dieu par son identification avec les pauvres, avec ceux qui vivent dans le besoin et qui sont marginalisés. En Jésus-Christ la gloire de Dieu s’est exprimée dans le sacrifice d’amour du Christ par sa mort sur la croix et sa résurrection. Quand donc nous disons « Gloire à Dieu au plus haut des cieux », c’est de la puissance d’amour de Dieu que nous parlons. La puissance de Dieu n’est jamais contraignante, elle est comme l’amour inconditionnel de parents pour leurs enfants.
Le Dieu de Jésus-Christ doit toujours être le modèle et le paradigme de ce qu’est vraiment, de ce qu’est authentiquement le pouvoir. Et la mission de nous autres humains est d’imiter et de mettre en pratique, dans nos relations avec les autres sur cette terre, cette conception du pouvoir qui est celle de Dieu.
C’est pourquoi la première condition pour qu’il y ait la paix est de rendre gloire à Dieu, ce qui signifie concrètement permettre à la puissance de Dieu d’agir à travers nous dans la construction de la paix. Une telle conception du pouvoir, fondée sur la gloire et la puissance de Dieu, peut être l’énergie qui nous donne la force et le courage d’agir pour la paix sur la terre.
2. La seconde condition est la paix elle-même. De la même façon que la gloire de Dieu est liée à la puissance de Dieu, la paix sur la terre est liée à la pratique de la justice. Aucune paix ne saurait durer si elle n’est fondée sur la vérité et la justice. Mais qu’entendons-nous par paix ? Les chefs des armées font valoir que la paix peut être imposée par la guerre : l’armée intervient et défait l’ennemi, puis chasse un dictateur et rétablit la paix ! Pourtant les bilans des guerres que nous avons connues au cours de nos vies ont été lourds de la mort de nombre d’innocents. Aujourd’hui, nous reconnaissons que la paix ne peut pas s’imposer si nous ne nous préoccupons pas des injustices profondes et des systèmes de domination et de corruption qu’il nous faut changer et transformer, qu’ils soient économiques ou politiques ou religieux.
Bien que les exigences bibliques de justice restent importantes pour nous, comme ces paroles d’Amos « Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable ! » (5,24) ou encore celles de Michée « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur exige de toi : rien d’autre que le respect du droit, l’amour de la fidélité, la vigilance dans ta marche avec Dieu » (6,8), je trouve davantage d’aide et, franchement, davantage de clarté aussi et davantage de poids aujourd’hui quand je me réfère à la justice telle qu’elle est exprimée dans le droit international, surtout quand la communauté internationale l’applique.
Lorsque je pense au besoin de justice, je pense à mon peuple palestinien qui appelle à la justice depuis plus de 70 ans. Je prie et je plaide pour la justice à son égard, conformément au droit international. Cela implique la fin de l’occupation israélienne illégale et l’établissement d’un État palestinien souverain à côté de l’État d’Israël, un État palestinien à créer en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec Jérusalem pour capitale. Ce qui a fait défaut jusqu’à présent, c’est la volonté de la communauté internationale de satisfaire aux exigences de justice.
Il y a moins d’un mois, le troisième comité de l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui traite des droits humains et des questions humanitaires, a voté massivement pour approuver un projet de résolution en faveur de l’autodétermination du peuple palestinien, de la fin de l’occupation israélienne et du droit de créer un État palestinien indépendant. Le vote a recueilli 163 voix pour et 5 contre, dont Israël et les États-Unis. Depuis plus de 70 ans, Israël bafoue le droit international avec l’appui des États-Unis. Un tel comportement d’Israël et des États-Unis équivaut à se moquer de la justice.
Si je dois vous dire la vérité avec amour, mes amis, je vous déclare sincèrement que le fardeau qu’est l’échec de la mise en œuvre du droit international en faveur de la Palestine repose pour une grande part sur les épaules de la Grande-Bretagne et des États-Unis, qui partagent tous deux une responsabilité particulière envers la Palestine et Israël. Les deux pays auraient pu ouvrir la voie pour la mise en œuvre de la justice et la construction de la paix, mais ils n’ont pas eu la volonté de le faire. Il est important de se rappeler que la tragique Nakba palestinienne a commencé sous le gouvernement du mandat britannique. La Grande-Bretagne en porte la responsabilité. Il est temps maintenant qu’elle montre la voie pour la justice.
Au cours de la conférence virtuelle organisée par le Projet Balfour en octobre dernier, il était réconfortant d’entendre des parlementaires britanniques et de membres de la Chambre des Lords appeler à la reconnaissance de l’État de Palestine et faire état des droits palestiniens. Il est temps maintenant de passer de la parole aux actes. Il est temps de passer des résolutions à leur application. Il est temps de rendre justice aux Palestiniens. Il est temps de mettre fin à la confiscation illégale de terres palestiniennes et à l’expansion des colonies illégales israéliennes. Il est temps que le gouvernement britannique et le nouveau gouvernement américain montrent avec courage et détermination la voie pour la mise en œuvre des résolutions du droit international. On a du mal à croire à l’oppression et aux souffrances quotidiennes de notre peuple palestinien sous occupation israélienne, elles dépassent l’imagination, et la situation ne fait qu’empirer. Beaucoup d’entre vous, mes amis, ont visité la Palestine et ont vu de leurs propres yeux l’oppression qu’est l’occupation. Elle doit prendre fin. La communauté internationale est prête. La Grande-Bretagne et les États-Unis peuvent la faire cesser. Combien de temps encore les Palestiniens sous occupation doivent-ils attendre ?
Mes amis, souvenons-nous que les questions de justice et de paix sont au cœur même des responsabilités de l’Église. Il faut que la direction de notre Église prenne plus courageusement position à propos des Palestiniens opprimés qui aspirent à leur libération, et du rétablissement de leur dignité humaine telle que Dieu la leur a donnée. L’Église a la responsabilité, devant son Seigneur, de dire une parole prophétique contre une injustice aussi grave. Rappelons-nous que nous sommes vraiment enfants de Dieu lorsque nous nous engageons dans la construction de la paix. Jésus lui-même l’a dit : « Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu ».
Je me rends compte que je parle en particulier des Palestiniens, mais il y a encore beaucoup d’autres peuples dans le monde qui, eux aussi, appellent à la justice. Pour certains c’est la justice économique, pour d’autres la justice politique, ou sociale, ou raciale, ou environnementale, et bien d’autres formes de justice encore. Nous serons à leurs côtés aussi. Construire la justice sur la base du droit international peut contribuer à réaliser la paix et le bien-être pour beaucoup de peuples. Comme chrétiens, il est essentiel que nous insistions sur ceci : la réalisation de la justice doit toujours être adoucie par la miséricorde et la compassion.
3. La troisième condition de la paix à la manière de Dieu, c’est « les hommes, ses bien-aimés », ou « pour les hommes, bienveillance ». La bienveillance est liée à l’amour. Tout comme Gloire à Dieu est lié à la puissance, et comme la paix est liée à la justice et à la miséricorde, la bienveillance est liée à l’amour du prochain. Mais là aussi, nous avons besoin d’une nouvelle compréhension de ce qu’est l’amour. Le mot amour est devenu un mot tout à fait ordinaire. Nous avons tendance à l’employer pour tout ce que nous apprécions. À un niveau plus profond cependant, il doit dépasser nos émotions humaines pour exprimer un véritable amour des autres, en prenant soin de ceux qui sont dans le besoin et en les aidant, en particulier en ces temps de pandémie alors que beaucoup ont perdu leur emploi. J’ai pu voir cet amour véritable s’exprimer pendant le temps de l’Avent et de Noël dans la générosité de beaucoup d’Églises et d’ONG américaines quand elles donnaient de la nourriture à ceux qui avaient faim et étaient dans le besoin. J’ai vu à la télé les longues files de gens qui attendaient pour recevoir de l’aide. Si de telles choses arrivent aux États-Unis, dans le pays le plus riche du monde, combien plus cela doit-il l’être dans beaucoup d’autres pays. Le Christ nous enseigne que, lorsque nous venons en aide à ceux qui sont dans le besoin, c’est à lui-même que nous venons en aide. L’amour véritable est libre et inclusif, comme l’amour de Dieu est libre et inclusif. Nous devons être des imitateurs de l’amour de Dieu envers ce monde, à travers Jésus-Christ. La bienveillance implique des relations d’amour et de respect avec les autres. La bienveillance entre les gens et les peuples peut se réaliser lorsqu’un amour véritable est partagé et mis en pratique.
4. Chers frères et sœurs, Noël est un temps qui nous fait penser à la paix sur la terre, parce que nous croyons que Jésus Christ est le Prince de la paix. Avec sa venue, Dieu nous a envoyé la formule pour arriver à la paix. Elle implique que nous rendions à Dieu la gloire telle qu’elle s’exprime dans la puissance d’amour de Dieu, que nous édifions la paix fondée sur la justice et la compassion, et que nous vivions une bienveillance qui s’exprime dans un amour sincère envers les autres.
Alors que des millions de gens à travers le monde vont être vaccinés contre la Covid-19 et que cela leur apportera de l’espoir et une vie en meilleure santé, puissions-nous, en ce temps de Noël, être pénétrés de l’Esprit vivant et vivifiant du Christ, qui renouvelle notre espoir et renforce notre engagement au service de la justice. C’est la pratique de la justice qui produit la paix, et c’est la paix qui ouvre la porte à la bienveillance, à la réconciliation et à la guérison. Continuons à marcher ensemble et à nous engager ensemble dans ce noble ministère, pour le bien de nos frères et sœurs en Palestine.
Et que l’Esprit et la paix du Christ reçus en ce temps de Noël restent avec nous tout au long de la nouvelle année.
Source : Amis de Sabeel et de Kairos au Royaume-Uni : leur célébration de Noël du 19 décembre 2020
Traduit par les Amis de Sabeel France
