Le signe de Saint Merry
Par José Arregi
Dans les Halles de Beaubourg, ancien Marché de Produits Alimentaires frais de Paris, entièrement transformé durant les années 70 du XXe siècle et converti en centre commercial, culturel, artistique du Paris contemporain, se trouve un joyau singulier : Saint Merry, une belle église gothique du XVIe siècle, de style flamboyant, surnommée « Notre Dame la petite ». Ce musée à la fois d’architecture, de sculpture, de peinture et de verrières est un monument dont la visite touristique s’impose. C’est aussi un centre de culte catholique où est célébrée une messe dominicale pour une vingtaine de personnes âgées se répartissant sur les bancs.
Mais l’église de Saint Merry des Halles de Beaubourg, quasiment accolée au Centre Pompidou – emblème de rencontre interculturelle et icône de la modernité culturelle parisienne – est beaucoup plus qu’un monument artistique et qu’un temple-musée de culte traditionnel catholique. C’est un lieu vivant chargé d’esprit et d’humanité. C’est une église ouverte, sans frontières dedans/dehors, sacré/profane, croyant/non-croyant, une église où ne comptent ni les papiers en règle, ni la religion, ni l’orthodoxie doctrinale, ni l’orientation sexuelle, ni l’identité de genre. Un espace de rencontre de chrétiens, mais également de toutes sortes de gens : travailleurs, étudiants, intellectuels, marginaux, homosexuels, transexuels, en recherche ou pratiquants d’autres religions, groupes de défense de la Palestine, de migrants, de clochards… Et un lieu de rencontre de musiciens et artistes, comprenant une salle de concerts et de création et d’exposition d’art.
L’humanité est son credo. L’accueil est son culte. La créativité est son signe. Et les dimanches, après la messe paroissiale, se réunissent quelque 200 à 300 personnes venues d’ici ou là pour une autre forme de messe, la célébration – soigneusement préparée par des volontaires au cours de la semaine – de la mémoire de Jésus, partageant sans hâte parole, pain et vin – la vie – autour d’une grande table à laquelle se joint le prêtre sans en être le centre. Et tout cela dans un langage nouveau, compréhensible par tous, comme à Pentecôte. Il est besoin d’ajouter quelque chose ? C’est le symbole d’une Église en mutation dans un Paris en mutation, dans un monde en mutation.
Mais je ne sais pas s’il convient de dire « est » ou « était ». Ma désolation commence ici. En effet, le Centre Pastoral – ou plutôt la communauté ecclésiale – sis dans l’église même vient d’être fermé par décret de l’archevêque de Paris Monseigneur Aupetit. Un archevêque, le grand François Marty, père conciliaire à Vatican II, créa ce centre en 1975, en même temps que d’autres Centres identiques d’Église alternative dans Paris : heureux temps de souffle post-conciliaire ! Un autre archevêque, 46 ans plus tard, revenant sur cet esprit de renouveau ecclésial, vient d’en prononcer la fermeture le 1er mars. Les raisons ne sont autres que des prétextes. Point. Comme ont changé les évêques et les temps, ainsi que les séminaires ! C’est donc ça le printemps du pape François… devons-nous comprendre.
Il y a tout juste un mois, à réception de la lettre que m’adressèrent certains amis, membres de ladite Communauté, par laquelle l’évêque annonçait sa décision irréversible, je restai stupéfait et j’éprouvai une énorme peine pour la Communauté et son projet tronqué. Mais l’heure n’est pas aux lamentations, mais bien à la réflexion sereine et à la détermination posée.
Je considère les 46 années de la Communauté de Saint Merry comme une véritable incarnation – pas l’unique – de la nouvelle Église que fit entrevoir, seulement entrevoir, le Concile Vatican II (1962-1965). Celui-ci, malgré sa tenue tardive et bien que ses textes, y compris les meilleurs, soient ambigus par leurs accommodements, s’avéra être un puissant catalyseur des meilleures aspirations à une réforme. Nombre d’évêques, de prêtres, de théologiens, de très nombreux religieux et religieuses et, surtout, de nombreuses communautés et mouvements de base à travers l’Europe et l’Amérique Latine ouvrirent les portes, respirèrent un air frais et rêvèrent d’une Église nouvelle, convertie à l’évangile et au monde moderne, devenue compassion, dialogue et libération, alliée des pauvres, une Église sans la distinction clercs-laïcs, sœur de toutes les Églises et religions, ainsi que de tous les hommes et de toutes les femmes vivant de l’Esprit au-delà de tout temple, dogme et religion.
Ensuite, très vite, advint ce qui est advenu, tout ce qui se déroule sous nos yeux. En réalité, le printemps conciliaire dura à peine deux décennies. Ce furent tout d’abord les hésitations de Paul VI. Ensuite, à dater de 1978, les certitudes sans faille de Jean-Paul II : il convenait de recadrer les velléités instillées par le Concile pour les conformer aux dogmes érigés par la Contre-Réforme du Concile de Trente (datant exactement de la construction de l’église de Saint Merry) et à la doctrine contre-moderniste du Premier Concile du Vatican du XIXe siècle.
La fermeture du Centre de la Communauté Saint Merry est le dernier signe de l’échec du Concile Vatican II, un symptôme clair de la voie menant à la ruine adoptée par l’Église Catholique sous la conduite du pape polonais (1978-2005) et de Joseph Ratzinger, sa tête pensante d’abord comme Préfet de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1981-2005) et son successeur ensuite comme pape Benoît XVI (2005-2013).
Et le pape François ? La semaine prochaine il va accomplir ses huit ans de pontificat. Huit ans pour mener à bien une réforme incertaine de la Curie romaine : des cardinaux à la place de cardinaux, clerc pour clerc. Huit ans pour organiser trois synodes de cardinaux, archevêques et évêques, avec quelques laïcs invités en qualité d’auditeurs. Huit ans pour nommer pour la première fois une femme comme vice-secrétaire pour le prochain Synode – en partageant toutefois le poste avec un religieux augustin -, et, pour la première fois, octroyer le droit de vote à une femme dans cette assemblée vêtue en évêque et cardinal. Un point c’est tout. L’essentiel de l’anachronique appareil conceptuel, moral et institutionnel est maintenu exactement en l’état. Le cléricalisme reste en vigueur, la pyramide hiérarchique demeure intacte avec le pape absolu comme base et sommet.
Le cléricalisme est à l’origine du conflit du Centre Saint Merry qui a conduit à sa fermeture. Le pouvoir ultime revenait en fin de compte à un curé nommé par un évêque lui-même nommé par un pape. Un monde clérical de clercs masculins. Je ne jette la faute sur personne. C’est le système qui est la clé du problème.
Amies, amis de la Communauté Saint Merry, je tiens à vous exprimer ici tout mon soutien et mon encouragement, et avant tout ma reconnaissance. Et mon vœu le plus cher : que vous continuiez de créer et d’insuffler la vie au mieux de ce que vous inspire l’Esprit, en ce lieu ou dans un autre, fidèles à la mémoire de la nouveauté pascale, et libres de toutes tutelles, pouvoirs et clés cléricales, à l’exemple de Jésus. Vivez en paix.
Aizarna le 7 mars 2021
Source : https://josearregi.com/es/el-signo-de-saint-merry/
Traduction par Peio Ospital
La culture catholique du pouvoir en Église se caractérise par un pouvoir institué comme service.
Attribuer à un existant humain ou acquérir pour un existant humain, un pouvoir sacré, interrogent l’intelligence éclairée par les sciences sociales (relatives à l’analyse d’une vision générale et historique du vivre-ensemble des humains).
Le fait d’attribuer à un existant humain ou le fait d’acquérir pour un existant humain, un pouvoir sacré, interroge la “CONSTITUTION DOGMATIQUE SUR L’ÉGLISE – LUMEN GENTIUM au n° 10 : Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ;” http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19641121_lumen-gentium_fr.html
Ce pouvoir sacré est-il institué pour servir ?
L’attribution et l’acquisition de ce pouvoir sacré procède-t-il d’une vision historique du vivre-ensemble des humains ?
Ce pouvoir sacré est-il le donnant-donnant d’un échange sacrificiel ?
Ce pouvoir sacré a-t-il vocation à être attribué ou acquis par un existant humain ?
Ce pouvoir sacré a-t-il pour résultat attendu d’être “en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ? (Lumen gentium n° 1)”