Par Christiane Bascou
Dans la vie d’avant-Covid a été organisée, un jour de Pentecôte, une rencontre interreligieuse de trois jours, dans un cadre idyllique du golfe du Morbihan.
Toutes les religions locales avaient été invitées par l’abbaye de Pen Boch et, sous l’immense barnum, chacun des représentants officiels (dont une femme, pasteure), avec le costume de sa fonction, a eu droit à un quart d’heure pour parler de sa confession, prier ou l’expliquer à une audience bigarrée de plusieurs centaines de personnes de toutes origines habitant les environs.
J’étais venue avec Zaïa, une copine demandeuse d’asile arrivée à Vannes depuis peu, et ses deux enfants. Elle parlait encore très mal le français, mais buvait les paroles, toutes bienveillantes, des orateurs et quand le tour de l’imam est venu, ses yeux se sont mis à briller de joie et de larmes : elle se sentait tout à coup un peu chez elle. Après la cérémonie, à mon souvenir sans prière commune, les « officiels » sont sortis dans la pinède et, tous en rang d’oignons et l’air un peu compassé, ont lâché ensemble comme symbole de paix et de « vivre ensemble » un vol de colombes, sous les regards frustrés des enfants, qui auraient bien voulu aussi jouer avec les pigeons.
De nombreuses associations de solidarité locale et internationale, de promotion des libertés et de la culture, de protection des droits et de la nature étaient également invitées et, tout le week-end, des ateliers de musique, d’écriture, de créativité écologique, de cuisine et de poterie ont tourné à fond avec des participants de tous âges, dames cathos vannetaises et grands-pères turcs apprenant le tam-tam avec enfants et petits-enfants sous la houlette d’adolescents burkinabés. L’air résonnait de toutes les musiques, des accents, des langues et des rires, saturé du parfum des épices orientales, des crêpes au beurre salé et de la fumée montant non des autels, mais des barbecues de saucisses de porc, de saucisses surtout sans porc et de steaks de tofu, chaque stand vantant avec sourires et force clins d’œil l’excellence de ses produits, avec au choix baguette craquante ou pain de semoule. Après la soupe au chou et la chorba gratuites concoctées « avec aaaamou », selon une amie gabonaise, par des cohortes de bénévoles, après les gâteaux apportés, multipliés et engloutis par les participants, après la vaisselle par d’autres cohortes, danses bretonnes obligatoires pour tous ! À Rome, fais comme les Romains.
Au retour de nuit dans le silence paisible des enfants épuisés, moi-même somnolente à côté du chauffeur, je voyais la journée passée comme une tour de Babel qui aurait perdu ses prétentions verticales, sa volonté de pouvoir et ses vérités orgueilleuses, une tour de Babel convertie à la transcendance horizontale1 [1], un pont de Babel pour enjamber les différences au profit de la rencontre : gratuité, partage du pain, des savoirs et d’un moment de vie fraternelle – un pont de Babel au Royaume de Dieu.
Note :
[1] Transcendance horizontale (cocher les bonnes réponses) : trouver Dieu dans la colombe, dans le pain partagé, dans la fête, dans toute personne, dans la musique.
Source : Revue « Les Réseaux du Parvis n° 103 »
Illustration : pixabay