Odile (Nadine Loubet), la sœur du peuple qui souffre
Odile est l’une des nombreuses femmes invisibles de notre histoire. Au Chili, nous connaissons les noms de prêtres et d’évêques qui ont lutté aux côtés du peuple contre l’injustice et qui ont résisté à la dictature. Mais on ne dit presque rien, on ne sait presque rien, sur les femmes comme elle.
Nadine Loubet appartient à la congrégation des sœurs dominicaines de Sainte-Catherine de Sienne, sous le nom de Sœur Odile. Elle arrive au Chili en 1965. À cette époque, le Concile Vatican II faisait souffler un vent de changement. En Amérique Latine, cela conduira à la prise en charge de la réalité de la pauvreté et de l’oppression, à la Conférence de Medellín (1968).
Le coup d’État militaire de 1973 a marqué la vie d’Odile comme celle de millions de Chiliens et de Chiliennes. La nuit du « golpe », Odile a écouté les radios avec les gens du peuple. Certaines stations ont déclaré que le président Allende s’était suicidé, d’autres qu’il s’était échappé par le métro du palais de la Moneda, et enfin elles ont appris qu’Allende était mort au combat. Après les doutes et la peur, le peuple assimilait la nouvelle ; si les putschistes avaient pu faire cela au dirigeant du pays, qu’est-ce qu’ils n’auraient pas pu leur faire ?
Sa congrégation a quitté le Chili, Sr. Odile a décidé de rester, mais elle a dû se retirer de l’état de religieuse. Elle a été laissée seule, sacrifiant sa sécurité et son avenir. Elle devient la « religieuse ouvrière et rebelle » que beaucoup connaissent.
Ces mois ont été remplis d’expériences douloureuses pour Odile : des étudiants de l’Université technique ont été arrêtés, torturés et tués, des femmes torturées et violées, dans le stade national. Des gens du peuple détenus et qui disparaissaient…
Quand le Mouvement contre la torture a été créé, elle l’a rejoint. Elle a été battue à plusieurs reprises et arrêtée avec ses camarades. Sœur Odile a également collaboré avec le Père Roberto Bolton dans des opérations visant à emmener dans différentes ambassades des personnes persécutées par la dictature qui ont dû quitter le pays parce que leur vie était en danger.
Grâce à des femmes et des religieuses comme elle, des dizaines de personnes ont échappé à la torture et à la mort. Beaucoup d’autres ont pu vivre leur vie avec plus de dignité.
Des prêtres et des religieuses ont été arrêtés, torturés et expulsés du pays pour avoir dénoncé ce qui se passait, mais officiellement l’Église n’a rien dit et n’a jamais condamné le régime militaire, pas plus que Jean-Paul II lors de sa visite en 1987. Selon Odile, c’était « un scandale pour les pauvres ».
Au début des années 2000, Odile a été atteinte de la maladie d’Alzheimer et a dû s’éloigner en Argentine où elle est décédée le 22 avril 2010. Elle est enterrée dans la ville de Lobos.
Dans son journal, on a trouvé une prière qui exprime son expérience et sa foi. Voici une partie de sa prière :
Mon cœur a mal, il va se briser, tout est ténèbres autour de moi et la rébellion éclate. À qui puis-je parler ? Toi, Dieu, tu as été mon compagnon, avec toi j’ai marché et grâce à toi ma vie a un sens. Mais toi, tu me frappes comme ça et tu laisses les hommes tuer leurs frères, alors que tu me dis que nous devons tous être frères. Tu te moques de nous? ….
Vous souvenez-vous quand ils ont tué l’enfant ? Et l’ouvrier ? Et le frère tué chez les Mapocho ? Cela ne vous scandalise pas ?… Et maintenant les femmes, les femmes, voient ce qui se passe ? Chaque agent peut en abuser quand il le veut, vous vous rendez compte ?
Vous nous avez dit que nous devrions être libres, mais regardez, il n’y a que des esclaves, nous sommes tous des esclaves, arrêtés ou en prison ou de leur patron pour ne pas perdre leur emploi. Et il y a aussi des esclaves de leur propre peur qui organisent la brutalité et la sauvagerie.
Qu’avons-nous fait de vos Mots qui sont la Vie… ?
Les gens étaient heureux d’être des gens, de vivre ensemble, de construire ensemble, et ce que cela apportait était un drame : massacres, tortures, folie, souffrance, mort ?
C’est tout ce que vous avez à me dire, c’est la seule chose que vous pouvez me répondre ?
Ayez pitié !
Vous souvenez-vous de la femme qui a dit : « Dieu n’existe pas ou nous a abandonnés » ? Nous devons lui dire que vous nous avez créés pour le bonheur ?
Dieu, c’est ma prière, ma rébellion contre le Mal. Ce soir, je ne veux pas de l’espoir de la Résurrection. Ce soir, je veux l’obscurité…
Voilà ce que je peux vous offrir, avec tous mes frères, au nom de tous mes frères. AMEN (Et aussi merci pour ce moment avec vous)
Vous souvenez-vous de la femme qui a dit : « Dieu n’existe pas ou nous a abandonnés » ? Nous devons lui dire que vous nous avez créés pour le bonheur ?
Dieu, c’est ma prière, ma rébellion contre le Mal. Ce soir, je ne veux pas de l’espoir de la Résurrection. Ce soir, je veux l’obscurité…
Voilà ce que je peux vous offrir, avec tous mes frères, au nom de tous mes frères. AMEN (Et aussi merci pour ce moment avec vous)
D’après Religion Digital :
https://www.religiondigital.org/santoral_popular-_de_jesus_herrero/Odile-hermana-pueblo-sufriente_7_2314038574.html
Illustrations extraites du film « Au nom de tous mes frères »