Tempête dans un bénitier : le pape François déclare la guerre aux traditionalistes
Par Gino Hoel
En abrogeant l’une des grandes réformes de son prédécesseur Benoît XVI, le souverain pontife s’est mis à dos une partie du clergé.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Le 16 juillet dernier, par un motu proprio (« de son propre chef ») intitulé Traditionis Custodes, le pape François a décidé de rendre quasiment impossible la célébration de la messe selon le missel antérieur au Concile Vatican II (1962-1965). Cette possibilité avait été donnée par son prédécesseur, Benoît XVI, qui en avait fait un marqueur de son pontificat.
Dans une longue lettre aux évêques, François explique pourquoi il a pris cette décision après avoir consulté en 2020 l’épiscopat mondial. Au regard des réponses qu’il a obtenues, plus qu’unir les fidèles, cette forme rituelle les désunit. Surtout, cette messe est utilisée comme un étendard par des catholiques opposés au Concile Vatican II, auquel le pape jésuite est très attaché. Acte fort et courageux de son pontificat, François cherche à éliminer la concurrence entre les deux formes rituelles existantes, en rendant les pleins pouvoirs aux évêques en matière liturgique.
Pour bien comprendre ces enjeux, il nous faut faire un petit détour par l’histoire. Le premier texte voté à une écrasante majorité par les Pères du Concile Vatican II fut une constitution sur la liturgie (Sacrosanctum Concilium), ceci afin de renouveler la messe devenue un carcan. Instauré par le pape Pie V (1566-1572) quelques années après le Concile de Trente (1545-1563), le rituel codifiait les moindres détails de la messe.
C’était nécessaire à l’époque où il n’y avait pas d’unité autour des rites : chaque diocèse faisait un peu comme il l’entendait, en fonction de sa tradition propre. Ne tolérant aucun écart, le rite issu du Concile de Trente versait dans le juridisme et faisait de la liturgie l’affaire du seul clergé, le peuple n’étant là que pour assister au spectacle. Inactif durant la messe, il récitait des chapelets sans comprendre réellement ce qui se passait dans le chœur.
La messe de Pie V connut quelques modifications mineures jusqu’au Concile Vatican II, qui réclama expressément un nouveau rituel. Il fut adopté en 1970, sous le pontificat de Paul VI (1963-1978). C’est le début des messes en langues vivantes, le latin n’étant plus obligatoire, et de la revalorisation de la place des laïcs dans la liturgie. L’objectif était bien de rendre compréhensible ce qui ne l’était plus, et d’associer plus étroitement les fidèles à la prière conduite par le prêtre.
Benoît XVI avait tendu la main aux traditionalistes
Cette messe dite de Paul VI ne fut cependant pas acceptée par tous. Parmi les opposants, l’archevêque français Marcel Lefebvre (1905-1991), fondateur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), qui profita de ce nouveau rituel pour s’opposer aux décisions du Concile Vatican II auquel il avait lui-même participé. Il avait d’ailleurs signé la constitution Sacrosanctum Concilium. Parmi les sujets dénoncés par Mgr Lefebvre : la liberté religieuse, le dialogue interreligieux, l’œcuménisme et la messe, donc, laquelle devenait le lieu même de cette opposition.
Le point de rupture eut lieu en 1988, quand Mgr Lefebvre ordonna quatre évêques sans mandat pontifical. Désormais excommunié, il sombrait, lui et ses fidèles, dans le schisme. Mais Rome créa la commission Ecclesia Dei afin d’accueillir les fidèles attachés à l’ancienne messe qui refusaient de suivre Mgr Lefebvre. Cette commission permettait la création de communautés reconnaissant officiellement Vatican II, tout en célébrant selon le rite de Pie V. En 2007, Benoît XVI tendit la main aux traditionalistes et intégristes en promulguant le motu proprio Summorum Pontificum, lequel instituait deux formes du rite romain : « ordinaire » (la messe de Paul VI), « extraordinaire » (la messe de Pie V).
Cette décision entraîna plusieurs conséquences. Contre le Concile Vatican II, qui avait renforcé le pouvoir des évêques, Summorum Pontificum les rendait incompétents en matière liturgique. En effet, un prêtre diocésain pouvait utiliser l’une ou l’autre forme rituelle sans référer à quiconque. Par ailleurs, ni un prêtre ni l’évêque diocésain ne pouvaient refuser à un groupe de fidèles (quelle que soit sa taille) la célébration de l’ancienne messe. En cas de refus, ce groupe pouvait directement saisir le Vatican.
Enfin, l’autorité du Concile Vatican II en prit un coup : beaucoup, parmi les fidèles et les clercs célébrant la forme extraordinaire du rite romain, remettaient en cause le bien-fondé des textes votés –comme Mgr Lefebvre et la FSSPX– et, dernièrement, ne cachaient plus leur opposition au pape François, trop libéral à leurs yeux.
Le pape déplore l’instrumentalisation politique
Le pape argentin a donc pris la décision de mettre un coup d’arrêt à cette possibilité offerte par Benoît XVI, rendant ainsi la célébration de la messe selon le rite de Pie V pratiquement impossible. De fait, Traditionis Custodes affirme que la messe de Paul VI est « l’unique expression de la lex orandi [“loi de la prière”] du rite romain » et rend le pouvoir à l’évêque diocésain en matière liturgique. À lui de décider ou non s’il paraît opportun d’autoriser la célébration de la messe selon l’ancien missel dans son diocèse.
François dénonce un « usage déformé » de cette forme extraordinaire qui donne un coup de canif dans l’unité de l’Église, dont il est le garant.
Par ailleurs, s’il l’autorise, il doit vérifier que les fidèles adhèrent bien au Concile Vatican II et au magistère des papes. L’évêque diocésain doit aussi s’assurer que ces messes ne se déroulent pas dans des églises paroissiales et que les lectures soient faites dans la langue du peuple. Enfin, les prêtres nouvellement ordonnés ne pourront célébrer le rite de Pie V qu’avec l’autorisation du Vatican.
Il faut préciser que la forme extraordinaire du rite romain attirait une infime minorité de fidèles, souvent proches de l’extrême droite, au regard du milliard et demi de catholiques à travers le monde. Mais surtout, ce que François déplore dans sa lettre, c’est l’instrumentalisation politique de cette messe par les fidèles et le clergé célébrant selon l’ancien rituel, instrumentalisation « caractérisée par un rejet croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il a trahi la Tradition et “la vraie Église » ». François dénonce un « usage déformé » de cette forme extraordinaire qui donne un coup de canif dans l’unité de l’Église, dont il est le garant. L’exemple le plus flagrant est le refus des prêtres traditionalistes de concélébrer avec d’autres prêtres.
Certes, les communautés traditionalistes et intégristes connaissent un certain succès auprès des séminaristes. C’est aussi pour cette raison que François en est arrivé à prendre cette décision. Pour ce pape, il s’agit d’une tournure d’esprit : il ne comprend pas comment de jeunes gens n’ayant pas connu l’ancien rituel peuvent avoir autant envie de le célébrer. Il y voit des signes de la « rigidité » et de l’« autoréférentialité » du clergé, qu’il dénonce régulièrement. En mai dernier, il a expliqué aux évêques italiens qu’« il y a un grand danger (…). Nous ne pouvons pas plaisanter avec les garçons qui viennent chez nous pour le séminaire. » Et de pointer du doigt l’« immaturité » de certains candidats et leur volonté affichée de célébrer, parfois exclusivement, l’ancienne messe.
Dans la même logique, précédant la publication de Traditionis Custodes, il a mis un terme relatif aux célébrations de l’ancien rite au sein de la basilique Saint-Pierre de Rome et demandé à ce que soient favorisées les concélébrations. Comme au temps jadis, chaque prêtre en faisant la demande pouvait célébrer sa messe, avec ou sans fidèle. Désormais, l’utilisation de l’ancien missel est particulièrement encadrée au sein de la basilique vaticane.
Ces diverses décisions limitant l’usage de l’ancien missel s’inscrivent dans un plan du pape, dont on sait la lutte contre le cléricalisme vecteur d’abus. Le rite de Pie V, avec le prêtre au centre, est sans doute l’expression la plus aboutie du cléricalisme historique tel que le dénonce François. Il est aussi l’expression d’une théologie qui n’est plus de mise depuis le Concile Vatican II et l’Église synodale voulue par le pape jésuite.
François sait également qu’il compte maints adversaires parmi les traditionalistes, notamment au sein de la Curie, qu’il peine à réformer. Il fait malgré tout le pari que cette tournure d’esprit finira par disparaître, et c’est pourquoi il a pris cette décision : afin d’en accélérer le processus. Mais le pape vient aussi de déclarer la guerre à ces fidèles, déjà l’arme au poing, si l’on en croit les sites traditionalistes et intégristes, déchaînés depuis la publication de ce motu proprio. Preuve, s’il en fallait, que les inquiétudes de François étaient fondées.
bonjour,
Merci pour cet article et cette bonne nouvelle, bonne en ce qu’elle invite plus d’incarnation, donc plus de vie !
“Pour bien comprendre ces enjeux, il nous faut faire un petit détour par l’histoire. ”
Et rappeler que le contexte du concile de Trente est celui de la Contre Réforme qui a fait suite à La Réforme protestante, elle-même née de l’indignation de Luther relativement aux dérives institutionnelles par rapport au message évangélique. Ce contexte était donc quelque peu comparable au nôtre, où l’institution préfère trop souvent resserrer ses rangs quitte à oublier sa mission plutôt que de se laisser conduire par La Parole et La Vie. Le pape actuel, comme Ignace de Loyola, François d’Assise ou Luther, semble faire ce qu’il peut pour rendre vie à La Parole.