Quelques questions en attendant la publication du rapport de la commission Sauvé
Par Michel Cavey
Le rapport de la commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église va être publié demain.
Même s’il faut sans doute attendre de l’avoir lu avant de se hasarder à le commenter, on peut dès à présent poser quelques questions au sujet de cette terrible séquence.
La première est celle des chiffres.
Car si on rapporte le nombre de coupables présumés au nombre d’ordinations survenues, disons depuis 90 ans (auxquelles il faut ajouter le nombre de religieux), on arrive à environ 2 % de clercs impliqués. On évalue le taux de pédophilie dans la population générale à 1 %, soit la moitié. On n’a donc pas forcément raison de dire que le problème n’est pas plus grave dans le clergé qu’ailleurs. Mais de toute façon ce n’est pas la question : la doctrine sexuelle de l’Église est telle qu’elle oblige ses représentants à l’exemplarité dans ce domaine.
Dans ces conditions se borner à dire qu’il n’y a pas plus de pédophiles chez les prêtres que chez les non-prêtres revient à se moquer du monde : la seule situation acceptable serait qu’il y en ait moins.
La seconde est celle des causes.
On se moque du monde de la même manière quand on prétend qu’il n’y a pas de relation entre le devoir de continence des prêtres et les défaillances criminelles auxquelles on se trouve confronté. Soyons un peu précis : tout le monde a une sexualité ; il n’est pas possible de ne pas avoir de sexualité, tout comme il n’est pas possible de ne pas avoir de comportement. La continence est une pratique sexuelle comme une autre, et de ce fait les prêtres ont une sexualité. Si cette pratique sexuelle était adaptée, si elle n’avait aucune influence sur le comportement de ceux qui s’y adonnent, alors il y n’y aurait pas 2 % de clercs pédophiles. Se demande-t-on si en milieu carcéral il y a un lien entre la misère sexuelle et les pratiques homosexuelles qu’on y rencontre ?
Reste que la continence des prêtres est une chose précieuse. Elle le serait davantage si elle n’était pas imposée.
La troisième question est à poser à l’Église, qui doit s’interroger sur ce qui lui arrive. Et elle doit le faire courageusement.
Au fond le problème est le même que celui posé à l’islam. On a bien raison de dire que les musulmans ne sont pas responsables du terrorisme et qu’ils n’ont pas à s’en justifier. Pour autant il leur faut bien assumer le fait que c’est dans l’islam, et non dans une autre religion, que les terroristes ont trouvé leur inspiration. Et que la lecture du Coran fournit sur ce point quelques indications (bien sûr cela n’explique pas tout : l’histoire de l’Occident montre aisément que l’Église n’a pas été en reste d’abominations, alors que le Nouveau Testament n’en fournit guère le prétexte).
Ainsi, de la même manière (et sans méconnaître qu’il y a sans doute des cas de pédophilie dans d’autres cultures et d’autres religions), les chrétiens doivent se demander comment il se fait que c’est dans l’Église qu’une telle chose advient. Et la réponse ne sera pas simple, disons même qu’on n’en a pour l’heure aucune idée. Surtout si on y ajoute les épouvantables affaires d’autres abus découvertes au Canada. Une piste pourrait être la manière dont, de tout temps, le clergé a conçu son rôle de guide, de berger des âmes, et sa propension à tenir les laïcs pour des enfants. Il est particulièrement hideux d’appeler un prêtre « Père ».
La quatrième est celle pour l’Église d’une double crise de légitimité.
Crise de légitimité quant à son discours général sur la sexualité, dont les fondements scripturaires sont particulièrement vacillants. On démontre aisément, par exemple, que l’Église applique sans vergogne à la problématique du divorce des textes qui parlent de la répudiation, ce qui est tout autre chose. On démontre tout aussi aisément que le lien étroit qu’elle établit entre sexualité et procréation n’est qu’une lubie. En contrepoint de ces élucubrations, on mettra ce verset de Matthieu : Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent; mais n’agissez pas selon leurs œuvres. Car ils disent, et ne font pas. Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt.
Crise de légitimité quant à sa capacité à gérer du personnel. Ne revenons pas sur la manière, désastreuse à tous points de vue, dont elle a tenté de circonscrire, puis d’étouffer le scandale, comme si cela pouvait aider non seulement les victimes, mais les bourreaux. Parlons plutôt, par exemple, de l’incompétence crasse dont elle a fait preuve au début des années 2010 en décidant que les séminaristes seraient soumis à des investigations destinées à dépister d’éventuelles tendances homosexuelles. Comme si c’était la question.
Cette crise de légitimité impose que des conclusions sévères en soient tirées. Car elle ruine définitivement la prétention de la hiérarchie à savoir mieux que quiconque comment on guide les hommes.
La cinquième question est celle de notre propre responsabilité. Et elle est double :
Nous sommes responsables de nos prêtres. Nous sommes responsables de la solitude dans laquelle ils vivent. Il est clair que beaucoup d’entre eux ont revendiqué, et revendiquent encore cette solitude qui leur procure une position de surplomb. Et que leur hiérarchie, autre aberration de management, les y aura encouragés. Reste que nous en aurons été bien facilement dupes, et que nous n’aurons guère recherché les interstices qui, même dans cette situation, rendaient possible de les entourer, de leur procurer des temps de repos et de partage, de temps de fraternité. Dans ces affaires de pédophilie qui nous scandalisent, nous oublions un peu vite notre part de responsabilité.
Et nous sommes responsables de notre Église. La hiérarchie ecclésiale, disqualifiée, doit tirer les conséquences de son inaptitude à gérer la communauté des croyants, et passer la main. À ceci près qu’elle n’est pas de ce fait disqualifiée sur tout. À ceci près que le prêtre a dans la communauté un rôle irremplaçable. Si donc, rêvons, le moment est venu de nous conduire en adultes, de s’asseoir autour d’une table et de repenser le fonctionnement même du peuple de Dieu, les solutions ne sont pas toutes faites.