Par Louis Borel
L’ancien président de La Parole libérée François Devaux et la directrice de la rédaction de Témoignage chrétien , Christine Pedotti, réagissent aux propositions des évêques réunis à Lourdes, un mois après la remise du rapport Sauvé.
Lui, est l’ancien président de l’association La Parole libérée, aujourd’hui dissoute, et une figure reconnue de la libération de la parole des victimes de violences sexuelles de la part de prêtres et de religieux. Elle, est une intellectuelle catholique de gauche, directrice de la rédaction de Témoignage chrétien. Tous deux, aux côtés de la théologienne Anne Soupa, avaient lancé le 11 octobre un appel à la « démission collective » des évêques, après les conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase).
François Devaux et Christine Pedotti réagissent à chaud aux propositions des évêques formulées lundi à l’issue de leur assemblée plénière à Lourdes, et dans la prolongation du rapport Sauvé, qui avait révélé l’ampleur inédite des violences sexuelles au sein de l’Église depuis les années 1950. Ces personnalités sans complaisance aucune à l’égard des dérives de l’Église reconnaissent que ces propositions constituent indéniablement une avancée, même si elles arrivent bien tard. Mais refusent tout blanc-seing à l’Église tant que la révolution attendue n’est pas assumée et impulsée depuis le Vatican. Et là, c’est malheureusement le statu quo qui est à craindre.
« Chaque fois qu’un rapport comme celui de la Ciase est rendu dans un pays, le pape exprime sa “honte ». Pourtant, il n’agit pas. » François Devaux
« Ces décisions étaient attendues et exigées de longue date et adviennent tardivement, mais, au moins, elles ont fini par être prises. Vu l’ampleur des défis, six jours d’assemblée plénière n’auront bien sûr pas suffi aux évêques pour apporter toutes les réponses nécessaires, mais il faut saluer sans hésiter leur engagement. Entre une vraie méthode d’action, une ouverture au monde laïc et un calendrier qui se dégage, c’est la première fois que des mesures vont dans le bon sens. Il faut maintenant leur laisser du temps… et espérer que leur travail se fasse en bonne intelligence et avec volontarisme, en associant toutes les parties et les expertises demandées – autrement, ce serait un acte de trahison supplémentaire.
Le Vatican continue malheureusement à faire entrave à cette démarche. Le pape a conscience de l’ampleur de la dérive systémique que constituent les violences sexuelles. À chaque fois qu’un rapport comme celui de la Ciase est rendu dans un pays, il exprime d’ailleurs sa “honte”. Pourtant, il n’agit pas.
Nous avons la chance de vivre dans un État qui assure la démocratie, la justice, la liberté d’expression, mais de nombreux citoyens dans le monde restent privés de ces droits. Aussi François, qui est le premier responsable d’une institution universelle supposée garantir le bien, doit-il inviter toutes les conférences épiscopales du globe à engager la même procédure que la France. Si la reconnaissance de la responsabilité institutionnelle de l’Église était attendue chez nous, elle l’est plus encore au Saint-Siège. Car la procrastination du pape commence à interroger jusqu’à sa bienveillance à l’égard des victimes. Et risque, à terme, de freiner les efforts de nos évêques, subordonnés à son pouvoir, dans leur lutte indispensable contre cette œuvre de mort. »
« Les préconisations du rapport Sauvé sur la gestion des risques et l’anticipation doivent être suivies, et l’attention médiatique ne doit pas fléchir. » Christine Pedotti
« Un pas a été franchi, assurément. Les résolutions de la Conférence des évêques sont sérieuses. Quand on sait la bataille interne que ces mesures ont provoquée… Il y a trois ans déjà, la décision de convoquer la commission Sauvé avait été prise à une courte majorité. Cette fois, à Lourdes, vous pouvez être sûrs qu’au moins un quart des participants à l’assemblée plénière sont restés réticents à s’engager, convaincus que d’autres actions devaient être menées en priorité. Heureusement, certains, comme Mgr Éric Moulins-Beaufort, se sont obstinés à initier cette démarche de reconnaissance et de réparation.
Comment, pour autant, s’assurer que l’Église cesse d’être une structure qui permette et dissimule les violences sexuelles ? Les préconisations du rapport Sauvé sur la gestion des risques et l’anticipation doivent être suivies, et l’attention médiatique ne doit pas fléchir. Il est également nécessaire que le pouvoir ne soit plus entièrement concentré dans les mains des évêques. Le bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques, malgré les critiques qu’elles essuient, est lié à l’existence de contre-pouvoirs. Nous gagnerions, en tant que catholiques, à nous inspirer de ce principe – et la collaboration avec des laïcs pour les “groupes de travail” va dans ce sens. Reste à savoir comment les membres de ces neuf groupes de travail seront désignés.
Le pape dénonce depuis longtemps une Église cléricale qui ne se nourrit que d’elle-même et ne dialogue pas avec l’extérieur. Je garde toutefois en tête cette phrase de Jean XXIII, qu’il prononçait chaque fois qu’il avait des visiteurs : “Je ne suis que le pape”. C’est-à-dire que, même si François exigeait aujourd’hui un changement plus global, il reste entouré d’une curie totalement autoréférentielle, dont le souci est avant tout de défendre la papauté et ses privilèges – pas le pape.
À ce titre, un nombre considérable de jeunes prêtres, autour de moi, me confient depuis quelque temps leurs hésitations à rester dans les ordres. Ils souhaiteraient ne pas être associés à cette image perverse de l’Église et craignent de se consacrer à une vocation qui n’en vaudrait plus la peine. Il incombe désormais, je crois, aux évêques de prendre leur bâton de pèlerin et d’aller rassurer les fidèles et les prêtres. »