Croire en Jésus fils unique, etc. ou croire Jésus ?
Par Paul Fleuret
« Je crois en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils unique de Dieu »… disent les chrétiens dans le Symbole de Nicée lors de la messe catholique, mais bien souvent sans une adhésion réfléchie aux mots employés et aux concepts philosophiques et théologiques sous-jacents aux phrases. Que veut dire le mot croire ? À quoi engage-t-il ?
Le verbe croire vient du latin credere signifiant tenir pour vrai, imaginer, avoir confiance, se fier. En français, ce verbe est assez ambigu. Il peut signifier la plus ferme assurance et l’adhésion totale : Je crois en Dieu. Je crois ce que tu me dis, mais aussi une éventualité, un doute : Je crois qu’il va faire beau demain. Il semble donc que croire ne peut être soumis à démonstration et preuve, mais est toujours soumis à l’ambiguïté : il peut désigner une assurance, un rapport de confiance forte ou un doute, une possibilité, une supposition. Car croire suppose relation humaine avec un autre.
En français, existent trois formes du verbe croire. Croire à, c’est accepter l’irrationnel : Son fils croit au Père Noël et lui croit à l’astrologie ; croire (quelqu’un), lui faire entièrement confiance : Je te crois ; croire en, avoir confiance en quelqu’un : Je crois en toi, tu vas réussir ! Je crois en Dieu (couramment, croire et croire en sont très proches).
Un cheminement continu pour parler vrai
Dans le Symbole de Nicée, on affirme : Je crois en Dieu. Que signifie ce en ? Traduit du grec εἰς (eis) et du latin in, ce « en » signale un mouvement vers, un déplacement vers un autre, une sortie de soi. Dire Je crois en implique un engagement qui est plus qu’une prise de position intellectuelle, un engagement de toute la vie dans son concret le plus quotidien. Dire Je crois en Dieu-Trinité est donc, selon les définitions
précédentes, un acte de confiance, une conviction qui, pour être raisonnable et réfléchie, n’en reste pas moins affectée d’un caractère de fragilité, de doute même. « Dieu, nul ne l’a jamais vu » dit Jn 1, 18. Ce Je crois suppose une recherche incessante, un approfondissement continu, sauf à se fossiliser en un dogme intangible qui perd peu à peu du sens. Affirmer sans cesse que Dieu est Père, Fils, Esprit, c’est-à-dire Trinité, peut relever de l’incantation détachée du réel de la vie. Augustin d’Hippone a écrit un savant traité intitulé De Trinitate où on lit : « Il y a donc trois personnes en Dieu. Mais s’agit-il de définir ce qu’est une personne divine, soudain toute parole humaine devient impuissante. Aussi disons-nous trois personnes, moins pour dire quelque chose que pour ne pas garder un silence absolu [1]. » Ambiguïté du croire… L’engagement du Je crois nécessite une réelle modestie dans l’affirmation et un cheminement continu pour parler vrai.
Un acte de confiance qui vient du cœur
Croire en Jésus et croire Jésus : deux approches différentes.
3.1 Croire en Jésus. Ce qui vient d’être dit de Dieu peut s’appliquer à Jésus : croire est un acte de confiance qui vient du cœur, une conviction à la fois raisonnable et fragile. Mais l’expression croire en Jésus rappelle immédiatement le texte du Symbole de Nicée et toute la dogmatique qui s’en suit : Je crois en un seul Seigneur, Christ, etc. L’homme Jésus de Nazareth disparaît au profit d’un être divin descendu du ciel, puis remonté au ciel et assis à droite du Père en attendant de revenir pour juger et établir un règne éternel. Disons sans détour quitte à choquer : on est en pleine mythologie. Le texte du Symbole semble s’emballer dans, une logorrhée qui pourrait ne pas s’arrêter dans un discours totalement détaché du réel de la vie.
Lisons un épisode de l’évangile de Jean : « Seigneur, tu as les paroles qui donnent la vie éternelle. Nous croyons et savons que tu es celui qui est saint, envoyé par Dieu ! Jésus dit : Pourtant l’un de vous est un diable ! (Il parlait de Judas : bien qu’un des douze, il allait le livrer). » Une solennelle déclaration de foi : comme Dieu Jésus est saint et envoyé par lui. Mais ce croire très solide n’a ni valeur ni consistance s’il reste intellectuel, dogmatique : alors, il n’empêche pas la trahison. Croire n’est vrai que s’il engage la vie de celui qui le professe.
3.2 Croire Jésus. Préférons l’expression croire Jésus, débarrassé des attributs christologiques à lui reconnus après sa mort. Croire l’homme Jésus de Nazareth, auquel nous avons un accès (fragile) par la lecture des évangiles qui ne sont en rien des livres, à caractère historique, mais des témoignages de foi. Voilà donc un homme qui quitte sa vie tranquille de charpentier et va se faire baptiser par le prophète Jean au Jourdain. Illumination ! Conversion, dit le langage courant ! Prise de conscience qu’il est personnellement (et non seulement en tant que membre du peuple d’Israël) fils de Dieu, aimé de Dieu qu’il va bientôt appeler Père. Jésus vit de la conviction qu’il est urgent de proclamer et d’annoncer à tous ce qu’il appelle le Royaume de Dieu : la proximité du monde nouveau de Dieu. En Galilée et dans les contrées voisines, Jésus porte une parole neuve, qui donne envie de vivre à plein. Parole qui déclare heureux qui se met en route. Parole qui dit Dieu dans les mots ordinaires. Alors, toutes les barrières socioreligieuses tombent comme arbre mort. Et il ne se contente pas de paroles : il met en œuvre ce qu’il dit, il inaugure le Royaume par ses actes de fraternité et de salut. L’aveugle ouvre les yeux, le sourd entend les autres, le boiteux se met en route, le perturbé par ses fantasmes retrouve la paix, l’étranger est reconnu frère, celui qui était dans l’ombre de la mort retrouve goût de vivre. Le culte sacrificiel et les prescriptions socioreligieuses imposées par les gens du temple deviennent vieilleries. « Voici que je vais faire du nouveau : déjà il pointe. Ne le voyez-vous pas ? » (Es 43, 19).
Toujours sur les routes, pressé d’avancer
Alors, croire Jésus ? Croire Jésus, c’est lui faire confiance, lui donner notre confiance à lui qui faisait confiance à Dieu qu’il nommait Père : « La confiance répond à la confiance et appelle à la confiance » écrit François Vouga [2]. Ainsi, nous mettons notre confiance dans la confiance de Jésus parce que nous vérifions dans nos vies et celles des autres qu’elle produit des fruits d’humanité. Croire Jésus, c’est se mettre en chemin, c’est suivre sa voie. Lire les évangiles, c’est découvrir un homme en cheminement incessant, toujours sur les routes et pressé d’avancer [3]. La Voie : c’est par ce nom que les premiers groupes de disciples dénommaient leurs communautés [4]. Jésus lui- même aurait déclaré selon Jean (14, 6) : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » Croire Jésus, c’est changer de mentalité, c’est entrer dans le dynamisme qu’il a instauré, c’est devenir son disciple. C’est s’efforcer à son style, son style de vie, son style de croire. C’est lutter contre les dogmatismes sclérosés et sclérosants, c’est actualiser son message pour notre aujourd’hui. C’est devenir chaque jour plus humain, fraternel et solidaire de tous et toutes, surtout ceux qui sont exclus de la société.
Notes :
[1] De Trinitate, livre V, ch. 9, 10 : Des personnes divines. [2] In L’évangile d’une femme. Une lecture de l’évangile de Marc, page 60, Bayard 2021. [3] Marc signale fréquemment cette hâte par le mot aussitôt. [4] La Voie : en grec ὁδὸς (hodos). Voir Ac 9,2 ; 18, 25-26 ; 19, 9.23 ; 22, 4 ; 24, 14.22. En français : exode, synode, période, méthode, épisodeSource : Golias Hebdo n° 206, p. 20