« Quand on m’attaque, je me défends. » Lorsque Jean-Marc Sauvé a remis le rapport de la Ciase à la Conférence des évêques de France, le 5 octobre 2021, il pensait en avoir fini de ce travail éprouvant sur les abus sexuels dans l’Église. Las ! Huit membres éminents de l’Académie catholique publiaient, le 25 novembre 2021, une analyse sans concession du rapport. À ces 15 pages sévèrement critiques, le président de la Ciase a pris le temps de répliquer au travers d’une « réponse de la Ciase à l’Académie catholique » d’une cinquantaine de pages. [1]
La charge de l’Académie était sans appel : « Les défauts les plus graves du rapport de la Ciase, outre une méthodologie défaillante et contradictoire et des carences sérieuses dans les domaines théologiques, philosophiques et juridiques, concernent ses recommandations (…). Les recommandations d’une commission sans autorité ecclésiale ni civile ne peuvent être qu’indicatives pour guider l’action de l’Église et de ses fidèles. Certaines pourraient s’avérer ruineuses pour l’Église. »
Cette analyse, transmise notamment au Vatican, aurait provoqué l’annulation de la rencontre entre le pape François et les membres de la Ciase, prévue le 9 décembre dernier. « L’Académie catholique a moins cherché à susciter un débat et concourir à la vérité qu’à s’inscrire dans un procès à charge et une entreprise de dénigrement. Elle a entendu jeter le discrédit, dénoncer et détruire », estime, en préambule de sa réponse, Jean-Marc Sauvé.
La critique acerbe porte d’abord sur le chiffre d’abus sexuels estimé dans l’Église de 1950 à nos jours. Une donnée statistique contestée par les signataires de l’Académie catholique : « On est en droit de s’interroger sur la méthodologie de l’enquête quantitative qui a conduit à lancer à l’opinion le chiffre de 330 000 victimes. » Ce à quoi Jean-Marc Sauvé fait remarquer que « les nombres choquent l’Académie catholique au point de susciter de sa part un déni complet ».
La mise en cause des chiffres établis par la Ciase avec le recours d’organismes tels que l’IFOP ou l’INSERM débouche dès lors sur une bataille d’experts, Jean-Marc Sauvé ayant fait appel aussi bien à un collectif de statisticiens de l’Insee qu’à François Héran, professeur au Collège de France. Lequel, après une analyse pointilleuse des méthodes employées par la Ciase, conclut au sérieux de l’enquête : « Le travail accompli dans ce rapport ne laisse transparaître aucune hostilité de principe envers l’Église catholique ; il témoigne d’une quête indépendante de vérité et de justice, qui illustre les valeurs profondes de la statistique sociale et des études de santé publique. »
Dans un document d’une vingtaine de pages, cinq inspecteurs généraux de l’Insee, sollicités à titre personnel, soulignent que « les méthodes suivies pour conduire l’enquête, redresser et exploiter les résultats ont été globalement conformes aux meilleures normes professionnelles et scientifiques en vigueur ». Tout en reconnaissant qu’« on ne peut pas assurer qu’il n’existe pas un biais significatif affectant les estimations », ils soulignent qu’« on ne peut pas affirmer non plus que les estimations produites sont éloignées des vraies valeurs ».
Indépendamment des données chiffrées, c’est l’intention manipulatrice de la commission que dénonçait, dans son adresse, l’Académie : « Qui se trouve soudain accablé sous le poids d’un tel chiffre n’a plus rien à dire : rien à dire pour sa défense, mais surtout rien à dire sur les mesures qui pourraient remédier aux graves défaillances constatées. (…) Il n’a plus qu’à reconnaître le caractère “systémique” des abus. » Au point, selon une déclaration aux médias d’un signataire de l’Académie, que la Conférence des évêques (CEF) et la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) auraient commis « une faute majeure d’accepter le mot “systémique” ».
Dans sa réponse, Jean-Marc Sauvé reprend ni plus ni moins l’analyse de la Ciase publiée dans l’épais rapport : « Les violences sexuelles dans l’Église mettent en évidence une responsabilité plus diffuse, de nature institutionnelle, structurelle ou systémique. Il ne s’agit plus d’imputer un acte sur une base juridique, mais de s’interroger sur les traits collectifs et les modes de fonctionnement qui ont obéré et parfois empêché la révélation, la prévention et le traitement pertinent par l’institution des agressions sexuelles. »
S’attachant à répondre point par point aux mises en cause, le président de la Ciase, non sans ironie parfois, s’étonne : « L’invocation, sous la plume de l’Académie catholique, de Sartre, Beauvoir et autres est insolite, comme s’il s’agissait, directement ou indirectement, d’auteurs de référence pour l’Église catholique », auteurs qui ont pu encourager la pédophilie à une époque. Par ailleurs, souligne Jean-Marc Sauvé, faire référence aux courants libertaires des années 1970 est « anachronique (…) pour tenter d’expliquer des événements qui se sont massivement produits dans l’Église catholique au cours des années 1950 et 1960 ».
D’autres éléments sont encore sérieusement discutés, notamment quant à la responsabilité et l’indemnisation des victimes, terrain juridique de prédilection pour l’ancien vice-président du Conseil d’État qu’est Jean-Marc Sauvé. Il est aussi question de théologie, de philosophie, dans le débat, avec une approche revendiquée par la Ciase : « Celle-ci n’est pas une commission doctrinale : ce qu’elle dit provient du témoignage des victimes qui ont montré comment la doctrine de l’Église avait pu être dévoyée à des fins perverses. »
Plus foncièrement, c’est le ton même de la controverse qui a poussé Jean-Marc Sauvé à prendre la plume, face à un « ensemble de raccourcis, d’approximations et de dénaturations, qui (…) prend le contrepied d’un enseignement du pape François ».
« L’Académie n’accepte tout simplement pas que l’Église catholique ait confié à des laïcs, croyants ou non, c’est-à-dire à des personnes autres que des clercs, le soin d’éclairer le sujet de la pédocriminalité en son sein », constate Jean-Marc Sauvé. Selon lui, aux yeux de l’Académie, « l’Église a le monopole de la vérité sur elle-même, y compris dans sa dimension la plus humaine. L’Académie succombe ainsi au piège du cléricalisme ».
Reste la question de fond : le rapport aux victimes. « Là où la Ciase entend partir des victimes pour revenir à elles, c’est-à-dire à la prévention et à la réparation du mal fait, l’Académie catholique ne prête pas la moindre oreille à leur cri, hormis quelques phrases compassionnelles », souligne Jean-Marc Sauvé.
Et d’ajouter : « Au fond, l’Académie critique moins la Ciase et son rapport qu’elle ne manifeste son indifférence aux victimes. Ce sujet ne l’intéresse pas. Seule compte à ses yeux une certaine idée de la protection de l’Église catholique, qui paraît à la Ciase à la fois erronée et en contradiction profonde avec des enseignements essentiels de cette Église, régulièrement rappelés par le pape. »
Note :
[1] https://www.ciase.fr/medias/Ciase-7-fevrier-2022-Reponse-Ciase-Academie-catholique-de-France.pdfSource : https://theworldnews.net/fr-news/jean-marc-sauve-replique-a-l-academie-catholique reprenant : https://www.la-croix.com/JournalV2/Jean-Marc-Sauve-replique-lAcademie-catholique-2022-02-10-1101199460
Illustration : https://www.ciase.fr/medias/Ciase-7-fevrier-2022-Reponse-Ciase-Academie-catholique-de-France.pdf