Pour un Carême autrement
Par Pascal Janin
Nous y revoilà… L’heure du carême a sonné. Avec ses appels à la prière, au jeûne et au partage. Pénitence, pénitence ! D’aucuns diront que dans la situation de crise que nous vivons, le carême, beaucoup le vivent déjà tous les jours. Je vous propose un autre itinéraire, une itinérance, avec Raphaël Buyse et son dernier livre, « Autrement l’Évangile » [1]. Ni dans la piété culpabilisante ni dans l’abandon de ce temps particulier qui nous prépare à la Pâque. C’est sans doute de là qu’il faut repartir, du voile du temple déchiré, un inédit pour le peuple de Dieu.
Notre poète, car c’en est un, remercie les « aventuriers » qui l’ont précédé et « conforté » sur ce chemin escarpé : « Je pense, écrit-il, à José Antonio Pagola, dans sa lumineuse approche historique, à la recherche exégétique de Daniel Marguerat, aux écrits de John Shelby Spong, aux livres audacieux de Joseph Moingt, à la liberté de Jacques Noyer, à Laurence Freeman dans son approche méditative de l’Évangile et à tant d’autres. » Je rajouterais volontiers Christoph Théobald et sa description d’un Jésus éveilleur de source, et Michel de Certeau pour qui l’autre nous manque toujours. Autrement l’Évangile est un livre poétique qui, selon l’étymologie, « fait », et nous invite à retrouver le caractère performatif du récit évangélique. Jean-Baptiste Metz évoque souvent le souvenir dangereux de la mémoire du Christ qui nous oblige à penser l’histoire à partir de perdants. Le Christ a vécu comme un perdant et nous nous préparons à vivre la Résurrection comme la victoire paradoxale de Celui qui, le premier, a vécu ce chemin pascal. Il n’est pas pensable que l’Église ne puisse prendre la même route. Elle doit, sans cesse, mourir à elle-même pour vivre de Dieu. Mourir à tout ce qui l’éloigne du Christ pour le suivre en vérité, mourir à tout ce qui l’éloigne des plus petits pour redécouvrir le visage du Christ, non dans les oripeaux d’une liturgie de dentelles, mais dans la solidarité avec ceux qui vont nus tels les canuts ! Parce qu’avec Raphaël Buyse, il faut bien l’avouer, si, lors de la Passion, le voile se déchire, au long des siècles un « lourd rideau » a été tissé qui « ne laisse pas toujours traverser la lumière ». Nous en sommes là. Ensemble, en Église ! Et si le carême était une occasion pour redécouvrir la force de la Parole de Dieu, comme Jésus au désert. Sa brûlure ! La tentation est grande de considérer les scènes évangéliques, de l’Annonciation à l’Ascension, comme des mythes qui n’ont plus rien à nous dire. Raphaël les revisite et nous les donne à lire autrement comme des récits de vie, de renaissance. Comme Madeleine Delbrêl qui est une de ses sources d’inspiration. Au cœur de la vie quotidienne, Dieu vient nous éveiller à une vie que nous ne soupçonnions pas : la Samaritaine et tant d’autres en ont été bouleversés. Et nous ?
Relire les textes, réécouter la Parole, voilà donc le programme. Pour prendre au sérieux le cheminement des premiers chrétiens, leurs interrogations, leurs doutes, leurs espérances déçues puis converties, bref, leur foi qui nous fait vivre encore. Imaginer Jésus sur les chemins de la Galilée, l’entendre parler à ceux et celles qu’il rencontrait, le voir enseigner des disciples. Et oser rêver que cette expérience d’il y a deux mille ans est aussi notre vocation. « Je me prends à rêver qu’un jour on puisse appeler à la vie de prêtre des hommes et des femmes, mariés ou non. Pas pour devenir chamans, intermédiaires, médiateurs. Pas pour devenir grands prêtres. Encore moins « chefs ». Mandatés, ordonnés, reliés les uns aux autres, ils partageront la vie des communautés auxquelles ils seront envoyés. Ils ne prétendront pas parler au nom de Dieu. Ils seront frères plutôt que maîtres. Ils ne nous conduiront pas. Ils n’auront pas la prétention humaine de connaître tous les recoins de Galilée. Ils nous encourageront à vivre. C’est de cela que nous avons besoin. » Puisse ce carême vous autoriser à rêver ce chemin. À le vivre surtout. À la suite de l’Homme de Nazareth. Bon et joyeux carême !
Note :
[1] Autrement l’Évangile, éd. Bayard, septembre 2021Source : https://www.golias-editions.fr/2022/03/03/pour-un-careme-autrement/
(Pour aller plus loin : cf. page 19 l’entretien avec Raphaël Buyse -> 710. Golias Hebdo n° 710 (fichier PDF))