Par Jean-Luc Lecat
Quand je survole les grands points du texte sur la réforme de la Curie romaine, j’admire le courage et la ténacité de François et de ses collaborateurs directs.
Je vois une très grande « Entreprise » qui cherche à s’adapter et à éviter des embûches passées. J’y vois le Quartier Général d’une Institution de très grande ampleur, de caractère fondamentalement monarchique et centralisé, qui veut se rajeunir et se réorganiser. J’y perçois des valeurs évangéliques qui irriguent ce rajeunissement de l’organisation centrale d’une multinationale aux prises avec toutes les tempêtes de l’heure. Objectif : un meilleur fonctionnement de la Religion catholique pour mieux servir le but qu’elle se donne : Évangéliser, ce qui est tout à fait respectable… même si on ne peut oublier les ambiguïtés et les énormités commises au nom de l’évangélisation dans le passé même récent !
Mais en survolant toutes ces décisions et en voyant défiler les noms des dicastères, j’ai une impression d’écrasement et de démesure par rapport à ce qui me semble le cœur et l’essentiel de la foi. J’y vois comme un décalage entre l’importance de la structure « Église Catholique » et la simplicité, la sobriété radicale du message de Jésus à vivre dans le quotidien de nos vies. Même si cela est dû bien sûr au caractère mondial du Catholicisme, je ne peux m’empêcher de m’interroger.
Cette importante réorganisation de la Curie me fait prendre conscience que, dans cette multiplicité de ministères et de spécialités, chaque chrétien n’est qu’un minuscule adepte de Jésus, pris dans une énorme machine pour laquelle l’important semble être le fonctionnement harmonieux et discipliné de cet ensemble multiforme : ce qui est en cause, plus que Jésus peut-être, c’est la vie de la « Religion catholique », le « Catholicisme », afin d’accomplir ce qu’elle se définit comme mission.
Tout cet « aggiornamento » est compréhensible, légitimé par près de 18 siècles d’histoire de l’Église romaine. Mais cela rejoint-il le projet même de Jésus, ce qu’il nous a partagé par sa vie comme par ses paroles ? A-t-il même voulu fonder une religion, et, plus, une religion structurée de cette façon avec ses laïcs, ses clercs, ses religieux ?
Cette réorganisation de la Curie, si nécessaire soit-elle, possiblement bénéfique, du point de vue des autorités de l’Église catholique, reste extérieure et dominatrice par rapport à nos vies de disciples, même si on y voit la possibilité de l’introduction de laïcs : Rome continue de vouloir gérer aussi bien notre foi et son expression que nos comportements et nos vies, sans compter qu’elle donne un pouvoir renforcé, et potentiellement dangereux, à son chef, le pape.
Parcourir les différents points de cette réforme de la Curie a provoqué en moi comme un effet de loupe sur l’ensemble de l’Institution Catholique et sur la domination infantilisante qu’elle s’arroge le droit d’avoir tant sur la vie des communautés que sur nos vies personnelles.
Tout en reconnaissant qu’une organisation, des services, des éclairages, des orientations, des préconisations peuvent être nécessaires à la vie de tout groupe, ne sommes-nous pas souvent devant des abus de pouvoir, de la déresponsabilisation infantilisante, quand sont imposés des dogmes, des autorisations, des interdits, des procédures pour vivre de Jésus au quotidien ?
Le fonctionnement de tout cet ensemble, même animé des meilleures intentions, n’est-il pas un piège dans lequel tombent ceux qui, voulant se faire serviteurs de tous, se pensent habilités à nous indiquer ce qu’il faut penser, croire, dire, faire ? Qu’ils conseillent, pourquoi pas, qu’ils obligent, certes non !
De plus, ce fonctionnement religieux de l’Institution n’accapare-t-il pas toute une énergie qui pourrait servir autrement, au cœur de notre vie quotidienne, sociale, politique, culturelle, environnementale…? Faut-il « user » tant de temps, de personnes, d’énergies, à gérer, normer, contrôler cette réalité religieuse alors que c’est la vie des humains au quotidien qui appelle chaque disciple de Jésus, et par eux, les différents groupes ou sociétés dans lesquels ils évoluent, à vivre, inspiré et nourri par sa parole et sa vie ?
Bien sûr que nous avons besoin pour nourrir et exprimer notre foi d’organisation, de services, de personnes responsables…, mais ce ne sont que des moyens. Ne sont-ils pas surdimensionnés et, de ce fait, écrasants et parfois stérilisants ?
Cette réorganisation de la Curie de l’Église Catholique ne serait-elle pas l’occasion, le « moment favorable », pour s’interroger, radicalement, sur cette imposante construction qu’est l’Église Catholique, apparemment bastion intouchable : quelle est son adéquation, d’une part au vécu et impulsions de Jésus et d’autre part aux besoins et attentes des femmes et des hommes du 21e siècle ? Est-ce cette religion catholique qu’est venue nous partager et nous proposer Jésus ? A-t-on besoin de tous ces dicastères pour vivre de l’Évangile ? S’agit-il d’une fidélité à Jésus ? ou est-ce fidélité et emprisonnement dans l’histoire, dans le pouvoir et dans l’autoréférencement ?
Avons-nous besoin de tout cet arsenal pour tenter de vivre de l’Esprit de Jésus en ce 21e siècle ?
Peut-être serait-il bon que cette forme d’Église disparaisse dans son expression actuelle, si grande et importante qu’elle ait pu être par son rôle civilisateur et humanisant, et si triste et déstabilisant que cela puisse paraître ? Comme a pu le dire Jean le Baptiste en son temps à propos de Jésus, ne faut-il pas que la référence à Jésus grandisse et que l’Église Catholique diminue ?
Disciples de Jésus, nous ne sommes pas détenteurs d’une Institution, nous n’appartenons pas à une Religion, nous sommes simplement appelés par Jésus et son Esprit à vivre avec les humains dans notre maison commune, sur notre planète.
A nous tous de participer et d’inventer ensemble, chacun riche de ce qu’il est et de ce qui lui manque, sans courir après la grandeur ou le pouvoir, mais dans la passion de voir chaque personne debout, vivante et heureuse d’exister. Si Dieu est Dieu, ne peut-on imaginer que c’est son rêve : les humains pleinement humains et heureux ! ?
Jésus ne nous propose pas d’entrer en religion, mais de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés !