Le poème à venir
Pour Jean Lavoué, le Poème symbolise le dynamisme co-créateur associant l’humain et le mystère qui le dépasse dans l’émergence progressive d’une vie plus accomplie. Il lui consacre ce très bel ouvrage, à savourer et méditer en naviguant à sa guise au fil des courts chapitres.
Pour le présenter, et vous donner envie…
I – Extraits de l’avant-propos.
C’est en fait le dynamisme créateur de cette Vie partout à l’œuvre dans l’univers que nous avons voulu traduire dans ce récit méditatif par le mot Poème. La Vie, nul ne l’a jamais vue, mais elle se fait connaître par cette puissance créatrice qui ne cesse de tirer l’univers tout entier vers un accomplissement toujours plus complexe, toujours plus harmonieux. Et cela malgré la pesanteur et les ombres, voire les impasses qui semblent s’accumuler aujourd’hui sur le devenir de l’humanité. Il y a, dans cette vision de l’énergie à l’œuvre dans le monde, dans cette intelligence à la fois unificatrice et affirmatrice de la diversité et de la pluralité de tout être et de toute chose, une réalité qui n’est pas étrangère à ce que les Grecs nommaient le Logos. Ceux-ci avaient toutefois une vision stable du Cosmos : cohérente, hiérarchique et aux contours bien délimités. Ce n’est plus du tout cette vision qui est la nôtre aujourd’hui. Les théories de l’origine de l’univers, de l’évolution, de la connaissance de la matière nous ont conduits à une nouvelle conception totalement interactive, systémique et infinie de tout ce qui est, depuis les choses inanimées jusqu’aux êtres vivants. Tout est relié à tout. Tout est mouvement permanent, croissance, devenir. C’est cette immensité transformatrice et créatrice à l’œuvre partout dans le monde que nous appelons Poème. Son origine, nous la nommons Source ou Vie, indifféremment, pour tenter de mettre des mots sur une réalité que l’on ne saurait saisir.
L’homme Jésus fut habité comme nul autre par le Poème. On pourrait dire aussi par le Souffle créateur qui agit en tout et en tous, mais qui s’empara de manière singulière de son être. Lorsqu’il vint, ses témoins ne disposaient pas de la vision nouvelle de la réalité qui est la nôtre aujourd’hui. Les mots à leur disposition étaient ceux de Logos qui étaient de culture grecque, ou de Messie, c’est-à-dire de Christ, pour ceux qui s’inspiraient de la grande tradition hébraïque et biblique. Tout l’effort des théologiens des premiers siècles fut de tenter de définir en quoi et quel point cette dimension christique de Jésus, cette incarnation en lui du Logos, se confondaient avec l’Être créateur, avec Yahvé, avec Dieu. Bien des représentations religieuses se sont laissées piéger par cette « cage » des concepts et des mots dont parle Sulivan. Notre projet poétique est de tenter de nous en dégager.
La dimension « Christ » de Jésus est à nos yeux une traduction dans la culture judéo-chrétienne de ce que nous appelons Poème. Toutefois le dynamisme créateur de la Vie dont ce mot est le signe ne saurait se réduire à cette culture. Nous sommes à l’âge planétaire où nous prenons la mesure de la pluralité des formes d’expressions spirituelles. Nous découvrons que notre destin est relié à celui de tous les êtres vivants et à l’ensemble de l’écosystème dont nous sommes les hôtes. Cette traduction culturelle exclusive de ce que nous appelons le Poème ne correspond plus au processus dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui engagés : accueillir chaque expression de l’aspiration humaine comme étant une réponse au mystère de ce Souffle créateur et de cette Vie qui ne cesse de la travailler.
II – Prophète de la source
Vint un homme qui se laissa entièrement saisir par le Poème. C’est pourquoi sa vie eut une telle fécondité pour tous les poètes que nous sommes. Elle devint même signe pour beaucoup au cœur de l’ensemble du cosmos, de la puissance du dynamisme créateur de la Vie. Il n’était pas lui-même la puissance donatrice de la Vie, mais il fut totalement irrigué par elle et en elle. Sa vie biologique, son existence, se mirent à rayonner de l’autorité de cette Vie qui n’a pas de fin.
Cet homme, Jésus, n’eut pas d’autre projet que de réveiller en tout être sa propre force de vie. Sa manière d’être, d’habiter sa demeure intérieure, le lieu de son repos et de son dialogue intime avec la Source, de se laisser habiter par la force vive qui en émanait, suffisait à éveiller en l’autre une foi première, vitale, « ressuscitante ». Et c’est à ce surgissement généreux qu’il invita au fond tout humain : à devenir lui-même source d’éveil et de donation de cette foi vitale autour de lui.
C’est ce feu qui a pris et qui a envahi les plaines du monde. Non pas un feu destructeur, mais une énergie contagieuse qui, de commencement en commencement, n’aura pas de fin. S’il fut générateur d’un tel dynamisme de vie et de création, cet homme toutefois n’était pas différent de tous les autres humains. Si, par la radicalité de sa réponse à l’appel de la Vie, on peut dire qu’il fut lui-même Poème, ce ne sera pas toutefois de manière exclusive.
Cette force messianique qui s’empara de lui, cette onction de la Vie dont il fut le témoin exemplaire ne le rendit pas pour autant l’égal de celui qui, en lui, était la Source. Né homme, il mourra homme. Pourtant, nulle part ailleurs qu’en lui ne fut révélé à ce point l’amour de cette Source répandue dans le cœur de tout humain. Ce pourquoi, il put d’ailleurs affirmer, en toute vérité, que la Source et lui ne faisaient qu’un.
Par ailleurs, il ne fut pas le révélateur d’une divinisation possible de la seule humanité, mais de celle du cosmos dans toute son étendue. En lui le dialogue avec la Source prit ainsi des dimensions universelles. S’il ne cessa, lors de ses quelques années d’immersion dans les eaux jaillissantes du fleuve de la vie, de relever autour de lui tous ceux à qui cette force semblait faire défaut, c’est plus puissamment encore, après sa mort, que fut dévoilé le noyau de cette énergie de relèvement dont il s’était fait l’hôte. Tout se passe comme si la Source avait eu besoin de son don total au service de la Vie, jusqu’à l’offrande de sa propre existence pour elle, pour enfin pouvoir se répandre dans toutes les dimensions de l’univers.
Certes, il fut précédé d’autres témoins, d’autres prophètes de la Source. Ceux-ci voyaient venir son jour. Ils proclamaient sa venue. Ils annonçaient l’onction dont la Vie désirait ardemment envahir son peuple. Ils se faisaient les interprètes de sa patience. Une foi profonde les faisaient se lever pour dénoncer les errances d’un peuple ingrat, ignorant les bienfaits qui lui étaient prodigués, et affirmer que la Vie serait un jour donnée en plénitude à tous ceux que l’on rejetait, que l’on oubliait, que l’on méprisait. Ce sont eux, ces pauvres, ces étrangers, qui un jour l’accueilleraient.
Depuis que les cieux se sont ouverts, depuis que cet homme, Jésus, fut immergé dans le fleuve, c’est une terre nouvelle qui est née. Les prophètes, eux, l’avaient annoncé, mais désormais tout humain est appelé à se lever pour entrer souverainement dans le Royaume promis. Jésus, par sa puissance d’accueil à la source de la Vie, en a ouvert les portes. Tous sont désormais prophètes et rois, possibles médiateurs de cette souveraineté universelle.