Le bergoglien Jean-Marc Aveline créé cardinal
Par Gino Hoël
Le 29 mai, le pape François annonçait la création de vingt-et-un cardinaux, seize électeurs de moins de 80 ans et cinq non-électeurs de plus de 80 ans. C’est en effet l’âge limite pour pouvoir élire le pape lors d’un conclave. Parmi ceux-ci, l’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, figure ouverte de l’épiscopat français et très proche du pape argentin. L’un et l’autre partagent une même vision de l’Église, une même pratique pastorale, un même intérêt pour le sort des migrants.
Jean-Marc Aveline rejoint donc quatre autres cardinaux français : André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris, bientôt octogénaire ; Jean-Pierre Ricard, archevêque émérite de Bordeaux ; Philippe Barbarin, archevêque émérite de Lyon ; Dominique Mamberti, préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique. L’archevêque de Marseille sera donc le seul cardinal français à la tête d’un diocèse. Né à Sidi Bel Abbes (Algérie) en 1958, Jean-Marc Aveline rejoint la France après l’indépendance de l’Algérie en 1962. Scientifique de formation, il est très influencé par des prêtres œuvrant dans les quartiers marseillais, entre au séminaire avant d’être ordonné prêtre en 1984. Philosophe et théologien, c’est aussi un spécialiste en langues anciennes (grec et hébreu bibliques). Durant toute sa carrière, en plus de servir en paroisses, il enseigne tant à Marseille qu’à Lyon et fonde l’Institut catholique de la Méditerranée en 1998, deux ans avant d’obtenir un doctorat commun en théologie et philosophie à l’Institut catholique de Paris et à l’Université Laval à Québec.
Pour un christianisme d’ouverture
Expert du dialogue interreligieux, proche du cardinal français Jean-Louis Tauran, il est président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (2007-2018). Décrit comme simple, chaleureux, il devient en 2013 évêque auxiliaire de l’archevêque de Marseille (2006-2019), Georges Pontier, élu à la présidence de la Conférence des évêques de France (2013-2019). Il lui succède à la tête du diocèse phocéen à la surprise générale au cœur de l’été 2019 : en général, un diocèse reçoit son évêque, il ne le produit pas. Mais Jean-Marc Aveline est l’homme de la situation, et correspond en tout point à ce diocèse cosmopolite. Il est déjà perçu comme un proche du pape François, notamment par les choix qu’il opère. Lors de la pandémie, il a fait distribuer des colis alimentaires pour les plus défavorisés frappés par la crise sanitaire, convaincu que le témoignage chrétien passe par la charité. Comme François, il prône le dialogue et voit dans la montée du radicalisme islamiste les conséquences de la pauvreté : « La misère et la frustration sont comme une mèche, et les démagogues peuvent exploiter ces misères. Sans voix, de nombreuses personnes défavorisées courent le risque de trouver des réponses bon marché dans le radicalisme et le populisme. »
Loin de promouvoir le repli sur soi, l’archevêque de Marseille correspond bien à un christianisme d’ouverture, qui ne voit pas dans l’étranger un ennemi. C’est aussi un signe du pape envoyé à l’Église en France. Un sondage IFOP, réalisé par La Croix après le premier tour de l’élection présidentielle, indiquait que quatre catholiques sur dix avaient voté pour un candidat d’extrême droite. Jean-Marc Aveline est aux antipodes de ces idées, comme le pape jésuite, lequel dénonce depuis son élection le souverainisme et le populisme. Le nouveau cardinal plaidait l’été dernier, auprès de François, pour que se tienne un Synode sur la Méditerranée. Lors d’une rencontre des maires et des évêques de cette région à Florence en mars 2022, il rappelait : « La mer Noire et la mer d’Azov font partie du bassin méditerranéen, qui finit à Gibraltar. Nous en prenons conscience avec ces événements » ukrainiens. » Jean-Marc Aveline voit dans Marseille un « laboratoire ». On dépeignait la cité phocéenne comme porte de l’Orient, « elle est aussi porte de l’Occident ». Peu d’évêques français tiennent ce discours, craignant la vindicte de l’extrême droite catholique.
Une Église moins verticale et moins cléricale
Jean-Marc Aveline sera donc créé cardinal le 27 août, lors d’un consistoire réuni par le pape jésuite. Ce sera sans doute l’un des derniers consistoires avec création de cardinaux convoqué par François. Celui-ci souffre de divers problèmes de santé : opéré des intestins en juillet 2021, il ne peut plus se déplacer désormais qu’en fauteuil roulant en raison de douleurs au genou droit. Il a dû annuler des engagements lors des dernières semaines et les rumeurs sur sa fin prochaine battent leur plein au sein de la Curie. Alors qu’il fêtera ses 86 ans en décembre prochain, le pape argentin refuse, par ailleurs, toute intervention chirurgicale.
Durant le prochain consistoire, les cardinaux débattront de la nouvelle constitution apostolique régissant la Curie romaine, effective à partir du 5 juin. Il s’agira d’établir un premier bilan et sans doute d’ajuster certains points liés à cette entrée en vigueur. De compter aussi les soutiens du pape, lequel, depuis son élection en 2013, renouvelle les deux tiers du collège des cardinaux avec ce prochain consistoire. Si cela ne garantit nullement l’élection d’un bergoglien lors du prochain conclave, c’est une façon de mettre les chances du côté des réformes entreprises par François, notamment de garantir la synodalité qui fera l’objet d’un Synode en octobre 2023. Le pape latino-américain désire une Église moins verticale et moins cléricale, d’où ce Synode qui doit permettre des changements profonds après la consultation de l’ensemble des chrétiens qui vient de se conclure. Si ce huitième consistoire avec création de cardinaux fait encore la part belle aux évêques situés à la périphérie de l’Église, ceux-ci ont le désavantage de ne pas se connaître et de ne pas être au fait des rituels de la Curie. Il est donc nécessaire pour le pape d’organiser ce type de rencontres, habituelles sous les précédents pontificats, mais rarissimes depuis 2013, s’il ne veut pas que les cardinaux suivent une « tête d’affiche » éloignée de sa propre pensée.
Une page se tourne
La Curie romaine vient de tourner une page avec le décès d’Angelo Sodano, le 27 mai. Ancien secrétaire d’État de Jean Paul II et de Benoît XVI (1990-2006), ancien nonce au Chili, pro-Pinochet (1977-1988), anticommuniste virulent, Angelo Sodano a été le grand protecteur du fondateur des très conservateurs Légionnaires du Christ, Marcial Maciel, prêtre abuseur de garçons et de jeunes hommes, accusé par ailleurs d’avoir détourné des millions de dollars. Doyen du Collège des cardinaux (2005-2019), c’est une personnalité très noire de l’histoire récente de l’Église, tirant les ficelles et manœuvrant pour freiner les élans rénovateurs du pape malgré son retrait des affaires. Il est, du reste, soupçonné d’avoir entraîné Benoît XVI à la démission en 2013.
Un changement d’état d’esprit vient de s’opérer alors que François vient d’entamer la dernière ligne droite de son pontificat, en convoquant un consistoire qui verra la création de cardinaux sur sa ligne. Parmi eux, l’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, pour son positionnement ouvert et dialoguant. Il représente le type même de pasteur que souhaite le pape dans les diocèses, simples et en conversation avec tous. Avec la réforme de la Curie, instamment demandée par les cardinaux en 2013, qui entre en vigueur le 5 juin, et le Synode sur la Synodalité en octobre 2023, François aura rempli sa mission et pourrait démissionner, estimant sa tâche accomplie. Mais il sait aussi que les réformes entreprises auront besoin de temps, et espère un successeur sur sa ligne pour continuer le chemin tracé depuis 2013, d’où ces seize nouveaux cardinaux électeurs. Du succès de la réforme de la Curie et de celui du prochain Synode dépend l’élection d’un bergoglien lors du prochain conclave, soucieux de faire fructifier l’héritage de François, ou d’un non bergoglien qui refermera la parenthèse latino-américaine.
Source : Golias Hebdo n°724