Au Prieuré Sainte-Marie, on célèbre les grands moments liturgiques en donnant la place à des invités de toutes convictions et en accueillant poètes, artistes et témoins.
Pour mieux pénétrer l’esprit de ces célébrations du Prieuré, Corinne Owen a posé quelques questions à Gabriel Ringlet
Gabriel, vous êtes au Prieuré depuis 25 ans et j’ai l’impression que, pour vous, la célébration fait partie de l’identité du Prieuré ?
Oui, c’est vrai, et pas seulement pour moi j’espère ! Mais vous dites bien : « fait partie ». Ça ne dit pas toute l’identité, mais la célébration exprime une des couleurs importantes de la maison. Et même une couleur chaude.
Et comment donne-t-on ce souffle-là, par quels chemins ?
Mais c’est tout simple ! Non, j’exagère. C’est un énorme travail pour que ce soit tout simple. Travail sur l’écriture d’abord. Je crois qu’une célébration doit être « poétique ». Rien à voir avec un vocabulaire compliqué, au contraire. On doit être loin, très loin des « discours ». Il s’agit de créer une ambiance, de favoriser une tonalité, de raconter une histoire… Pas uniquement à travers des mots, mais avec de la musique, de la lumière, du parfum, de l’huile, des gestes, un toucher…
Et quelle que soit la « conviction », la « philosophie » de cet invité ?
Absolument. Ce qui compte, ce n’est pas une pratique religieuse ou l’appartenance à un courant particulier, mais la qualité d’une interrogation spirituelle. Et cela en toute clarté. L’invité respecte le lieu, bien identifié, qui l’accueille, et sait qu’il sera respecté dans sa singularité.
On peut aussi évoquer Noël. C’est assez particulier Noël au Prieuré ?
C’est d’abord Noël ! Avec toute la joie et l’incertitude d’une naissance fragile. Alors, pour l’exprimer, cette naissance-là, pour souhaiter dans les mots d’aujourd’hui la « paix aux hommes de bonne volonté », une fois encore la création artistique et littéraire vient stimuler les textes mêmes de la liturgie.
Je pense à Christian Merveille qui a su si bien revisiter le thème de la Parole, aux Baladins du Miroir qui ont enchanté l’assemblée (et d’abord au sens tout premier !), à Raphy Rafaël, Philippe Vauchel, Marie Renson, Didier Laloy, Jean-Marie Pétiniot si souvent dans la connivence.
Mais précisément, comment la raconter cette couleur, en quelques mots ?
Célébrer, contrairement à ce que beaucoup imaginent, ce n’est pas s’éloigner du quotidien, de la vie ordinaire, avec ses joies, ses difficultés, ses passions, ses interrogations…, mais s’en rapprocher par un autre chemin.
Avec de « l’ici » faire de « l’au-delà », écrivait Rilke. Autrement dit, élever ce quotidien, comme on élève un enfant, le faire grandir, le conduire plus loin, lui donner du souffle.
Je voudrais revenir à la « couleur chaude » du départ. Vous la choisissez comment, cette couleur propre au Prieuré ?
La palette est vaste. Bernard Tirtiaux qui a réalisé le vitrail de mon petit oratoire me disait qu’il existe plusieurs centaines de rouges… Mais le peintre ou le maître verrier savent bien quel rouge ils veulent pour tel tableau ou pour telle scène. Alors quelle couleur de célébration ?
Aujourd’hui, le Prieuré n’imagine plus une liturgie sans un artiste, un récitant, un peintre, un créateur d’imaginaire. Et sans une relation à l’actualité. La couleur se crée, je crois, à travers la rencontre avec l’invité, dans cette mystérieuse alchimie que représente une célébration.
Précisément, qui avez-vous reçu au fil des saisons ? Je pense d’abord à la Semaine Sainte.
Pour m’en tenir aux toutes dernières années, je peux évoquer le peintre et sculpteur Jacques Aubelle qui a vraiment laissé une empreinte au Prieuré, l’actrice et metteuse en scène Hélène Theunissen avec Le Cantique des Cantiques, Philippe Vauchel avec la Grande Vacance et Au nom de la mère, Pietro Pizzuti, le professeur Benoît Lengelé autour de la greffe du visage, la chanteuse Isabelle Vajra et son inséparable Barbara, le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, la chanteuse Mannick, le moine bénédictin Jean-Yves Quellec, la récitante Sylvie Rigot, les poètes Lucien Noullez et Béatrice Libert, le romancier Armel Job, des témoins comme Caroline Valentiny, Magda Hollander-Lafon, sans oublier les musiciens de la famille Wolfs et du groupe En-Chanté.
Je rebondis au mot « connivence ». Il en faut pour vous rejoindre. Vous dites souvent que « tout cela n’est pas réservé », mais c’est quand même très culturel, non ?
Il est dommage que le mot « culturel » fasse encore peur, paraisse réservé à un public dit « formé », qui a déjà un bagage. Or, dans nos célébrations, il n’y a aucune « culture préalable ». Ce ne serait plus une célébration ! Ce qui compte avant tout, c’est l’émotion. Qu’à un moment au moins, on se sente rejoint, par un mot, par un geste, un chant, un silence, par un témoignage.
Et qu’on reparte un peu plus léger. Plus encouragé aussi. Car à quoi sert une célébration, si elle ne nous aide pas à redescendre dans la plaine et à mieux traverser la rudesse quotidienne ?
Source : https://www.leprieure.be/le-prieure/les-essentiels-du-prieure