Du 29 au 31 juillet, plus d’une soixantaine de participants se réuniront à Beauraing en Belgique pour la première édition de cette université d’été. Le but : proposer une autre manière de concevoir la société de consommation.
Par Youna Rivallain
Jean-Baptiste, doctorant en philosophie contemporaine à l’université catholique de Louvain, et Matthias, doctorant en droit à l’université de Harvard et de Louvain, organisent l’université d’été « Bâtir le bien commun », qui devrait réunir une soixantaine d’universitaires et jeunes actifs à Quartier Gallet, lieu de retraite créé dans l’esprit de la communion de La Viale, situé dans la commune de Beauraing en Belgique.
D’où est venue l’idée de cette université ?
Jean-Baptiste : Tout est parti d’un groupe Whatsapp d’amis universitaires plus ou moins proches de l’Église, dans lequel nous échangeons sur des sujets de société dans une perspective de critique de la société de consommation et du capitalisme. Nous avons voulu que ce que nous vivions soit la source de quelque chose d’extérieur, que cela soit partagé. Étant donné que notre truc à nous, c’est de produire des idées et d’inviter les gens à les communiquer, nous avons voulu agir dans cette perspective.
Cela a donné l’idée d’une université d’été proposant une réflexion critique du capitalisme, d’un point de vue chrétien. L’idée est de proposer une formation intellectuelle sur les structures économiques du capitalisme, pour qu’ensuite les participants puissent développer leur propre pensée.
Nous, chrétiens, sommes habitués à réfléchir aux causes individuelles du mal, ce que résume la notion de « péché ». Il me semble que pour affiner ces diagnostics sur l’origine de la violence, nous devons intégrer dans nos analyses les acquis des sciences sociales, notamment en ce qui concerne les origines structurelles de la domination.
Matthias : Il existe cependant une forme de pluralisme au sein de l’équipe d’organisation, tant sur l’aspect « gaucho » que le côté catho : ça va de la gauche purement anticapitaliste marxiste, à la volonté d’une réforme au sein du système ; et du côté catho, on a des personnes en chemin spirituel ayant des affinités avec le christianisme sans se dire forcément catholiques, mais il y a aussi des cathos pur jus. Tant chez les organisateurs que chez les participants, les gens sont en recherche, politiquement et spirituellement.
Sentez-vous une émulation à gauche parmi les chrétiens ?
Jean-Baptiste : Nous sommes nombreux à avoir étudié à l’université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve). Là-bas, la communauté chrétienne étudiante est très intéressée par le fait de s’engager dans l’écologie et la justice sociale en tant que chrétiens. Dans notre génération née pendant les années 1990 en Belgique, c’est comme ça qu’on a voulu s’engager dans la société en tant que chrétiens : dans les questions écologiques, la création de lieux de transition… Pour les gens de cette génération-là, être chrétien, c’est être écolo. C’est logique.
Matthias : Il n’existe pas en Belgique une aussi grande polarisation politique que dans l’Église de France, on ne ressent pas cette opposition cathos de gauche/cathos zemmouriens. L’écologie fait consensus, tant du point de vue de l’Église institutionnelle qu’à la base chez les étudiants. En revanche, ce qui fait moins consensus, c’est comment parler d’écologie, la grille d’analyse. Cela se limite souvent à ce qu’on peut faire au point de vue individuel, les gestes quotidiens, le tri des déchets, etc. Ce que nous voulons faire, c’est proposer une grille de lecture, qu’on pourrait qualifier de gauche, qui ajouterait une analyse structurelle à ce constat de départ de la crise écologique.
Quelles sont vos inspirations ? Vous reconnaissez-vous dans le vocable « Génération pape François » ?
Jean-Baptiste : J’ai été inspiré par les encycliques du pape François, par la revue Limite aussi, qui a mis en visibilité tout un panel d’auteurs que je ne connaissais pas comme Ivan Illich ou Jacques Ellul. Mais nous avons aussi des inspirations venant des auteurs de gauche critiques de la société, de la domination au sens large, qu’elle soit économique ou culturelle.
Or, le message de l’Évangile défend le fait que nous devons être du côté de l’opprimé. Je confère une autorité morale à l’Évangile d’un côté. De l’autre, je partage des idées de mouvements héritiers de Marx, comme l’école de Francfort. Toutes ces influences se réconcilient dans mon engagement chrétien. Ça sonne comme une évidence.
Matthias : Mais nous avions cette foi chrétienne profonde qu’on essayait de cultiver, ainsi qu’une formation intellectuelle universitaire basée sur la théorie critique. Nous ne nous sommes pas forcément tout de suite formés avec des projets comme la revue Limite ou le livre « La Communion qui vient. Carnets politiques d’une jeunesse catholique » (Anne Waeles, Foucauld Giuliani et Paul Colrat, Éditions du Seuil, 2021). Mais en voyant ces projets montés par des « néo-cathos de gauche » français, nous avons ces deux sources converger et imaner dans des projets concrets en France.
Jean-Baptiste : Le carrefour de ces deux influences nous a fait constater que c’est difficile pour les chrétiens d’accepter de mobiliser un langage, des acquis issus de la théorie critique. Les chrétiens ont des facilités à faire une critique morale de leur vie, mais peine à évoquer les enjeux structurels. Je pense que le discours chrétien sur le monde devrait pouvoir être plus perméable à une critique à l’égard des structures de domination.
Quelle est la particularité des néo-chrétiens de gauche d’aujourd’hui, par rapport à la génération post-Vatican II ?
Matthias : C’est propre à l’évolution de la société, mais je pense qu’on est passés d’un prisme d’analyse essentiellement basé sur la lutte des classes, la cause du prolétariat, à une multitude de sujets politiques d’oppression. Notre génération a un intérêt pour des questions nouvelles qui n’étaient pas forcément partagées par nos aînés : les enjeux liés à l’écologie, le féminisme, la cause LGBT, les abus sexuels et spirituels et le patriarcat dans l’Église… Notre génération a peut-être une compréhension plus large et plurielle de ce que veut dire justice sociale.
Parler d’abus sexuels et spirituels dans l’Église, c’est une autre manière de faire de la justice sociale. Cela permet de penser la question de l’asymétrie dans l’Église, de la domination. La justice sociale, c’est certes le soin apporté aux pauvres. Mais ça n’est pas que ça.
Comment avez-vous vécu le succès d’Eric Zemmour parmi les catholiques lors de l’élection présidentielle française ?
Jean-Baptiste : Je pense que la loi du silence dans l’Église et le succès de l’extrême droite chez les catholiques sont liés. La frange la plus conservatrice de l’Église est séduite par la défense d’un modèle basé sur la discipline, au sein duquel des figures d’autorité charismatique montrent la voie, promulguent la morale et maintiennent l’ordre.
Ce discours séduit les personnes ayant des affinités avec l’extrême droite, et participe à mettre en place des structures hiérarchiques et autoritaires dans l’Église : cela occasionne le silence. Dès qu’un scandale sexuel immonde éclate dans l’Église, cette frange va être confrontée au profond décalage entre la réalité et ce que la vertu prétend mettre en place. Le décalage est si grand que certains préfèrent la loi du silence, et font taire les victimes. Le succès de la droite extrême et la révélation des abus me poussent à vouloir proposer un contre-discours, recréer une impulsion pour proposer une autre vision de l’Église, sans m’en désolidariser.
Comment développer le dialogue entre chrétiens de différentes sensibilités politiques ?
Jean-Baptiste : Sur le plan politique de la crise écologique, économique et social, il faut assumer qu’il existe des rapports de force et que l’on s’inscrit d’un côté ou de l’autre. D’un point de vue religieux, nous avons une ressource commune qui est le Christ, l’eucharistie, qui permet l’union.
Nous devons assumer que sur le plan politique, nous sommes des adversaires, dans le sens où nous poussons la société dans des directions opposées ; mais que dans l’eucharistie, nous vivons une fraternité ontologique, et que chacun mérite la place que Dieu lui a donnée.
Le week-end propose de nombreux temps de prière, dont la liturgie des heures. Pensez-vous que l’imbrication entre le spirituel et le temporel soit nécessaire ?
Jean-Baptiste : Je pense que ce que le chrétien a à apporter dans la sphère politique pour plus de justice sociale, c’est aussi une intériorité, héritage de notre foi chrétienne, qui a des effets bénéfiques pour la communion, l’apaisement. Tout cela fait qu’au sein d’un événement mettant en branle des sujets conflictuels, le repos de l’âme que propose la liturgie des heures me semble être un atout. C’est un cadeau que nous pouvons faire à ceux qui ne connaissent pas le christianisme.
Matthias : Ces moments permettent de créer des relations sur des bases plus pérennes et fraternelles, d’apaiser des conversations. Nous voulons que ce week-end porte du fruit, que des relations se créent, des projets, des idées, des initiatives naissent… Que ce week-end soit finalement un catalyseur pour la suite.
Lire : Université d’été « Bâtir le Bien Commun » à Beauraing