Par Bruno Mori
Un Dieu élaboré par l’homme
Dans les milieux religieux et cléricaux de l’Occident, on entend souvent dire que nous vivons dans un monde qui a chassé Dieu de l’horizon de l’existence humaine ; que la foi en Dieu a disparu ou qu’elle n’a plus aucune influence sur la vie ordinaire de la majorité des gens. Dans les milieux cléricaux, on a pris l’habitude d’attribuer cette « exécution » ou cette « mort » de Dieu au fait d’une société moderne devenue laïque, séculière, hédoniste, matérialiste, relativiste. On accuse la mentalité scientifique et technique qui n’a plus besoin de recourir à l’hypothèse « Dieu » pour expliquer les phénomènes physiques du monde naturel. S’il y a une certaine vérité dans cette description des raisons de la désaffection moderne face à l’idée traditionnelle de Dieu, en réalité, ces raisons semblent avoir été avancées par les responsables religieux plus pour se donner bonne conscience, que pour se questionner sur la validité de leurs doctrines. De fait, ce qui semble être mort, ce n’est pas Dieu, mais l’idée ou l’image de Dieu élaborée et transmise par la religion et qui s’avère aujourd’hui inacceptable.
Quelle est cette image inacceptable de Dieu ?
Un Dieu conçu comme un Super-Individu avec qui on peut entrer en relation personnelle ; à qui on peut demander faveurs et protection ; que l’on peut adorer, prier, offenser. Un Dieu anthropomorphique, conçu à l’image de l’homme, qui peut ressentir bienveillance et amour, mais aussi avoir des réactions de rancune, de colère, d’agressivité, de vengeance. Un Dieu que l’on imagine situé « là-haut », dans le « ciel » séparé de la réalité du monde.
Un Être imaginaire donc, produit de l’ignorance, de la peur et de l’angoisse de l’homme lorsque ce dernier prend conscience de sa finitude et cherche à justifier son existence perçue comme éphémère et non nécessaire. Un Dieu qui sert à combler un besoin de sécurité lorsque l’individu est confronté à sa fragilité, à sa vulnérabilité et à l’inévitabilité de sa fin.
Une Superpuissance qui est le vis-à-vis rassurant de la faiblesse humaine et l’explication des phénomènes naturels qui autrement resteraient mystérieux et énigmatiques.
Une Entité Surnaturelle aux pouvoirs illimités qui, dûment traitée, par des rites, des prières et des sortilèges, est capable de protéger les humains des calamités de l’existence, guider leur vie et récompenser leur soumission.
Sur ce Dieu, les humains ont projeté toutes les qualités et les attributs qu’ils auraient voulu eux-mêmes posséder, mais qui leur font inéluctablement défaut : durabilité, pouvoir, puissance, bonté, sagesse, bonheur… et cela à un degré infini. Donc, un Dieu infiniment parfait, face à une humanité extrêmement imparfaite. Une divinité toute-puissante, conçue à l’image des pouvoirs absolus des grands de ce monde, face à une humanité faible, fragile, indigente et dépendante. Cette divinité immensément équipée, a été appelé Dieu, l’Infini, l’Absolu, le Tout-Puissant, l’Éternel, le Transcendent…
Cependant, ce n’est pas parce que les humains ont pensé Dieu de cette façon que cette façon de penser Dieu correspond à quelque chose de vrai dans la réalité. Ce Dieu est et reste un « produit » et une « projection » de l’imagination humaine. Il n’existe nulle part. Il est le résultat de l’activité cérébrale d’un mammifère particulièrement évolué et « immergé » dans la réalité physique de cet Univers qui est la seule réalité accessible à la connaissance humaine. En effet, les capacités cognitives qui émergent de la structure neurophysiologique du cerveau humain sont inexorablement conditionnées par le fonctionnement du système nerveux qui ne peut être sollicité et activé que par les stimulations qu’il reçoit du monde extérieur (les cinq sens). Toute connaissance d’une réalité « surnaturelle » qui existerait en dehors de la « nature » de notre monde est donc une absurdité. Toute affirmation sur l’existence ou la nature d’une Réalité « transcendante », « autre » ou d’un « au-delà » de ce monde, est nécessairement une affirmation dénuée de fondements.
Dieu, un produit humain dangereux
Étant une production de l’homme, ce Dieu est nécessairement un produit imparfait qui, à la longue, s’avère contradictoire et même dangereux pour la race humaine. Comment concilier, par exemple, un Dieu tout-puissant et infiniment bon, avec l’état de fait d’un monde qui baigne dans un océan de mal et de souffrance ? La présence du mal et de la souffrance à une telle échelle contredit et annule l’existence d’un tel Dieu. Il est en effet évident qu’un tel monde ne peut pas être créé par un Être qui est en même temps infiniment bon et infiniment puissant.
Cette Divinité est aussi un produit extrêmement dangereux. Car un Dieu conçu comme transcendant, tout autre, séparé, saint, différent, supérieur, dominant, exigeant… introduit dans la pensée humaine les concepts de séparation, de sacré et de profane, de pur et d’impur, de bien et de mal, de soumission et d’insoumission, de conformité et de non-conformité, de permis et de défendu, de coupable et d’innocent, de juste et de pécheur, de fidèle et d’infidèle. En conséquence, il introduit dans l’esprit de l’homme et dans l’organisation de sa vie et de la société dans laquelle il vit, des comportements et des attitudes discriminatoires qui génèrent préjudices, inégalités, oppositions, hostilités, fanatisme, violences, persécutions… sans parler de l’ambivalence des comportements qualifiée de bons et de mauvais, selon qu’ils correspondent ou pas à la volonté ou aux caprices de la divinité.
Plaire à la divinité qui a le pouvoir de récompenser et de punir, de faire vivre et de faire mourir, de sauver et de perdre devient alors le souci primordial de la personne « religieuse » et une source continuelle d’angoisse et de culpabilité. Cela explique la « violence » que l’on retrouve dans l’expérience religieuse en général et dans l’expérience religieuse chrétienne en particulier. Les croyants sont continuellement « violentés » par les démons de la tentation, de la faute, du péché, de la transgression ; par la hantise de la conformité ; le souci du détachement et du sacrifice ; par la peur du jugement divin, de la punition éternelle. Ils sont tourmentés par le sentiment de leur incapacité à satisfaire les volontés d’une divinité envahissante, tatillonne, sévère et difficile. Alors ils se culpabilisent ; ils perdent la conscience de leur valeur et de leur grandeur. Ils soupçonnent leur corps d’être un mauvais compagnon pour leur âme ; ils dénigrent leur humanité, car ils pensent qu’elle s’oppose aux attentes de la divinité. Leur existence subit ainsi une continuelle agression qui les fatigue, les humilie, les avilit, les rabaisse, qui détruit leur confiance, qui les empêche de croire en eux-mêmes, d’être heureux, d’avoir du plaisir, de jouir de la vie, d’assumer une attitude positive et souriante devant la beauté de la création et les valeurs matérielles-temporelles de l’existence. La croyance en ce Dieu inventé par les hommes, empoisonne littéralement la vie des humains.
Aujourd’hui, la contagion planétaire des mouvements religieux extrémistes et fondamentalistes nous place dans une position privilégiée pour constater la vérité des propos exposés plus haut. Mais il y a plus grave : ces mouvements extrémistes nous montrent que Dieu est dangereux même lorsqu’on s’en sert pour fonder sur lui l’égale dignité des humains. Dans ces mouvements extrémistes, les « fidèles » trouvent en Dieu le garant de leur égalité et de leur dignité. Toutefois, cette même dignité et cette égalité, réclamées pour leurs adeptes, sont refusées aux autres, aux « infidèles », c’est-à-dire à ceux qui ne partagent pas leur idée de Dieu ou leur modèle d’humanité. Dans ces mouvements extrémistes, les « fideles » s’identifient à leur Dieu et les « infidèles », considérés des individus « sans Dieu », sont maudits, anathématisés et violemment rejetés.
Cette attitude de violence, générée par des formes aberrantes de croyances religieuses, n’est pas une exclusivité des courants extrémistes modernes. Depuis toujours elle a accompagné l’histoire religieuse autant de l’Orient que de l’Occident. L’histoire du christianisme ne fait pas exception. Depuis le Concile de Nicée (313), décrété par l’empereur Constantin, jusqu’au XVI siècle, le christianisme a été une religion basée non pas sur la foi en Dieu « Père plein de tendresse et d’amour » dont nous parlent les évangiles, mais sur la peur de Dieu, Être Transcendant, lointain et tout-puissant (le Dieu « Pantokrator » défini au concile de Nicée), calqué sur le moule des pouvoirs totalitaires et absolus des potentats de ce monde qu’il sert à justifier. Ce n’est pas la place ici de faire l’histoire des dérives de ce pouvoir (et de la violence qu’il a générée) dans la religion chrétienne d’Occident. Qu’il suffise de nommer brièvement quelques exemples d’horreurs perpétrées par la violence et la haine rendues possibles par cette conception de Dieu : les croisades, l’inquisition, les guerres de religion, la traque des dissidents et des hérétiques, la chasse aux sorcières, la conquête espagnole (et catholique) des Amériques avec le massacre des Indiens, le racisme, les mouvements missionnaires…
Depuis la nuit des temps, l’imaginaire humain a identifié la divinité et le divin à ce qui est élevé, grand, puissant ; à ce qui exige adoration, respect, obéissance ; à ce qui a le droit et l’autorité de s’imposer, de commander, de punir et de récompenser. Ce type de divinité semble être devenue le modèle du comportement humain réussi. De sorte que, non seulement les humains en général aspirent à posséder la grandeur et les pouvoirs des dieux ; mais ils réussissent aussi à s’en attribuer les hommages. Ainsi en fut-il, par exemple, des pharaons d’Égypte, des rois assyro-babyloniens, des empereurs romains, des rois de France et des représentants des grandes dynasties précolombiennes en Amérique latine. C’est généralement sur le paradigme du pouvoir divin que se sont construits et justifiés tous les pouvoirs absolus du passé et du présent, autant religieux que profanes. Dans le christianisme (surtout dans sa version catholique), les hautes autorités religieuses ne continuent-elles pas à se croire gratifiées de la part de Dieu d’un pouvoir absolu sur les âmes et les consciences des fidèles ? Dans le monde de la finance, du sport, du spectacle, de la mode, les individus qui ont réussi à acquérir succès, célébrité, prestige, beauté et richesse, ne sont-ils pas adulés, admirés, vénérés comme s’ils étaient des dieux ? Et, en même temps, ne sont-ils pas considérés comme d’enviables modèles d’une existence « divinement » réussie ?
Source : extrait de http://brunomori39.blogspot.com/2015/06/le-christianisme-est-un-humanisme-non.html
Partager largement ce message me semble une bonne chose, sans autoflagellation d’un passé révolu, et ancré dans le présent.