Où peut nous conduire le processus synodal ?
Par Pierre COLLET
Les synthèses nationales réalisées dans chacun de nos pays ont été terminées au début de l’été et elles sont facilement accessibles en ligne. On trouvera la synthèse belge sur le site de Cathobel : elle a déjà fait l’objet de quelques commentaires dans La Libre et d’une interview intéressante d’Arnaud Join-Lambert [1]. Le théologien y reconnaît que le texte ne transpire guère l’enthousiasme et donne un peu l’image d’une Église déprimée, qu’on y voit surtout bien que « les gens souffrent de ce qui ne va pas ». Il fait aussi remarquer que la qualité du travail de consultation a été très variable, « beaucoup de prêtres ayant traîné les pieds ou même n’ayant rien organisé, trop individualistes sans doute pour imaginer le bénéfice que cette démarche pouvait apporter à tout le monde… ». Ce constat, précise-t-il, peut d’ailleurs s’étendre à toute l’Europe et le moins qu’on puisse dire est que le « processus » n’a pas remporté un succès fou, puisque « seulement 1 petit % des catholiques semble y avoir participé, tous pays confondus : des chiffres dans la norme des précédentes consultations synodales d’ailleurs ». Par réflexe de passivité bien entretenue, par défaut de culture démocratique… ?
Convergences
Cela dit, quelques commentaires et articles dans les médias [2] mettent en évidence plusieurs convergences auxquelles on s’attendait et qui concernent les sujets « sensibles » habituels : accueil plus ouvert à tous et toutes, meilleure intégration des personnes LGBTQI +, possibilité d’ordonner des femmes diacres et même prêtres et leur donner des responsabilités égales à celles des hommes, assouplissement de la règle du célibat sacerdotal, plus grande participation des laïcs aux décisions, réforme de la gouvernance à tous les échelons, etc. On retrouve ce patchwork de « revendications » un peu hétérogènes dans la plupart des synthèses accessibles, avec bien sûr des particularités liées aux situations locales. Une explication de cette difficulté à interpréter les résultats tiendrait au fait que « tous les diocèses n’ont pas joué le jeu de la même manière ». S’ajoutent à cela les différences culturelles, qui manifestent des préoccupations différentes d’une aire géographique à l’autre. En Côte d’Ivoire par exemple, la synthèse s’attarde sur la question du racisme, du tribalisme et de l’ethnocentrisme au sein de l’Église. Mais s’il fallait retenir les leitmotivs les plus constants, ce serait ces deux priorités : combattre le cléricalisme et donner du leadership aux femmes.
Simple gouvernance ou changements « de fond » ?
On sait bien que le pays qui a sans doute pris le processus le plus au sérieux est l’Allemagne avec son Chemin synodal qui a commencé bien avant tout le monde, il y a quatre ans déjà, et qui a rendu publiques ses recommandations votées à une quasi-unanimité. Mais une fois de plus, le Vatican vient de réagir de manière assez vive et de tenter de remettre l’Église locale à sa place en se situant clairement dans un rapport de force : « pas d’aventure isolée sur le terrain doctrinal, rien de cet ordre ne pouvant être décidé dans les diocèses avant un accord convenu au niveau de l’Église universelle ». Citation de François en personne : « Il y a déjà une très bonne Église protestante en Allemagne. Nous n’avons pas besoin d’une deuxième. » Face à lui heureusement, un autre jésuite, le cardinal-archevêque du Luxembourg envoie un message très différent : « Il est très positif que les conclusions du chemin synodal d’Allemagne soient portées au synode mondial ».
Car tout le monde – et plus particulièrement la faction conservatrice – a rapidement compris que les demandes exprimées ne pourront se contenter de quelques aménagements dans le fonctionnement pastoral existant, mais qu’à l’instar du processus lui-même, elles interrogent frontalement la doctrine traditionnelle, au moins en ce qui concerne les sacrements et la morale. Les risques de jeter le bébé avec l’eau du bain sont réels. Mais l’enjeu ne serait-il pas dès lors de prendre de la hauteur en cherchant à mieux les comprendre et à parvenir à harmoniser enfin la théologie, le droit et les pratiques concrètes ? « Selon moi, explique Arnaud Join-Lambert, membre de la commission méthodologie du prochain Synode, ces questions [théologiques] touchent à la gouvernance. Elles touchent à la participation des laïcs dans les décisions et à leur pouvoir délibératif, et au lien entre sacrement de l’ordre et gouvernance : c’est la pointe fine de ce que l’on voit émerger et c’est à replacer dans le cadre général des réformes engagées par François. »
Learning by doing…
« S’il semble excessif pour l’heure d’imaginer que le Synode sur la synodalité aboutisse à des réformes de fond ou à un Vatican III, le risque est aussi de pécher par excès inverse, commente la journaliste de La Vie. Car la consultation, même si les chiffres semblent bas, et le processus engagé représentent une démarche sans précédent. » Selon Join-Lambert, il s’agit de la poursuite de la mise en œuvre de Vatican II : « Ce qui se joue, c’est le passage du “je” au “nous”, une culture du discernement par l’assemblée, un appel à sortir des approches étroites, idéologiques et culturelles, et entrer dans une approche collective, à tous niveaux, ce qui était une des intuitions fortes du concile. »
Jusqu’à aujourd’hui, l’Église catholique n’a jamais fait cette expérience, elle a tout à apprendre. C’est peut-être là que se situent les vrais enjeux de son avenir plutôt que dans de belles constructions idéologiques : il nous faut prendre conscience que c’est en faisant les choses, même en tâtonnant, en se trompant et en échouant, qu’on sortira de ce que nous percevons comme des impasses.
Des commentateurs de tous bords avancent leur scepticisme quant à la capacité d’une Église à fonctionner de cette manière par manque de formation des chrétiens et à cause de l’absence des jeunes. Mais « jamais dans l’histoire de l’Église, confie Join-Lambert, il n’y a eu autant de laïcs formés en théologie qu’aujourd’hui ». Quant à la rencontre des jeunes, elle se situe au même lieu : sur le terrain du « doing », de l’expérience, ensemble, pour se donner mutuellement l’envie de faire les choses.
Le synode sera-t-il un coup dans l’eau ? Celles et ceux d’entre nous qui, par lassitude bien compréhensible ou par dépit, avaient choisi de bouder l’expérience, vont-ils continuer de snober l’espérance… ?
Notes :
[1] Foi et Raison du 4 août 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=GVlFdS7oHFI [2] Par exemple les articles publiés par La Croix ou La Vie, mais aussi le National Catholic Reporter et l’excellente agence espagnole https://www.religiondigital.org/Source : REVUE COMMUNE DU RÉSEAU PAVÉS N° 72