Par Christopher White
Un document récemment publié par le Vatican pour la prochaine phase du processus de consultation en cours du pape François auprès des catholiques du monde entier aborde un certain nombre de sujets autrefois considérés comme tabous dans l’Église catholique, notamment l’ordination des femmes, les relations LGBTQ, les enfants de prêtres, le sexisme et les abus sexuels commis par le clergé.
Le document de 45 pages, publié le 27 octobre, reprend un certain nombre de thèmes majeurs issus des sessions d’écoute organisées avec des millions de catholiques à travers le monde au cours de l’année dernière. Bien que le document prenne soin de préciser qu’il ne s’agit pas d’un enseignement ecclésiastique magistral, il s’agit sans doute de l’expression la plus complète et la plus franche de la relation de l’Église catholique avec le monde moderne jamais publiée par un bureau du Vatican.
Le document servira de cadre à la phase continentale du processus synodal en cours de l’Église, qui impliquera des réunions ecclésiales sur chaque continent au cours des six prochains mois, avant les deux assemblées qui se tiendront à Rome en octobre 2023 et 2024.
« Ce qui émerge est une profonde réappropriation de la dignité commune de tous les baptisés », affirme le document en décrivant ses efforts pour écouter les voix de tous les catholiques. « Cela part d’un désir d’inclusion radicale – personne n’est exclu ».
Le document, intitulé « Élargis l’espace de ta tente » d’après le passage d’Isaïe, a été produit par une équipe de 30 conseillers qui se sont réunis à Frascati, en Italie, pendant deux semaines à la fin du mois de septembre et au début du mois d’octobre, dont la majorité était des laïcs catholiques.
112 des 114 conférences épiscopales du monde entier avaient soumis des rapports de synthèse, ainsi que toutes les Églises catholiques orientales et les départements du Vatican, les associations catholiques religieuses et laïques et les consultations en ligne du « Synode numérique ».
À l’écoute des marges
Tout en précisant, dans l’introduction du document, que le texte n’est ni un enseignement officiel de l’Église, ni totalement concluant, les auteurs notent qu’il est théologique « en ce sens qu’il est chargé du trésor théologique magnifique contenu dans l’expérience de l’écoute de la voix de l’Esprit promulguée par le peuple de Dieu, permettant à son sensus fidei d’émerger ».
Il est à noter que le document comprend de nombreuses voix, expériences et témoignages de ceux qui appellent au changement d’un certain nombre d’enseignements et de pratiques de l’Église.
Alors que bon nombre des sujets soulevés dans le document ont déjà donné lieu à des enquêtes formelles ou à des censures de la part du bureau doctrinal du Vatican sous les papes Jean-Paul II et Benoît XVI, ils sont désormais discutés ouvertement dans le cadre du processus synodal de François, dans un document publié par l’un des principaux départements du Vatican.
« Parmi ceux qui demandent un dialogue plus significatif et un espace plus accueillant, nous trouvons également ceux qui, pour diverses raisons, ressentent une tension entre l’appartenance à l’Église et leurs propres relations d’amour, tels que : les divorcés remariés, les parents isolés, les personnes vivant dans un mariage polygame, les personnes LGBTQ, etc. », indique le document.
Le document poursuit en citant le rapport des États-Unis, notant que « les gens demandent que l’Église soit un refuge pour les personnes blessées et brisées, et non une institution pour les parfaits. Ils veulent que l’Église rencontre les gens là où ils sont, qu’elle marche avec eux plutôt que de les juger, et qu’elle établisse de vraies relations à travers la bienveillance et l’authenticité, et non une position de supériorité. »
L’accent est également mis sur la nécessité pour l’Église de tendre la main aux communautés exclues ou négligées, parmi lesquelles : les pauvres, les personnes âgées, les peuples indigènes, les migrants, les enfants des rues, les personnes souffrant de dépendance, les victimes de la traite des êtres humains, les prisonniers, les victimes de violence raciale ou sexiste et les personnes qui ont quitté le ministère ordonné.
Le document note également que pour que l’Église atteigne pleinement son objectif de synodalité, que le Vatican décrit comme « marcher ensemble », il faut accorder une plus grande attention à l’engagement œcuménique de l’Église avec les autres communautés chrétiennes.
En particulier, le document souligne qu’en répondant aux défis sociaux et environnementaux, les alliances forgées avec d’autres confessions chrétiennes, religions et personnes de bonne volonté ont alimenté le désir d’une collaboration plus profonde, tant sur le plan théologique que pratique.
Parmi les autres sujets pastoraux, citons le désir d’un plus grand accès à l’Eucharistie et la crainte qu’elle ne devienne une source « d’affrontement, d’idéologie, de clivage ou de division », le besoin de meilleures homélies de la part des prêtres, la persécution des chrétiens et la pénurie mondiale de prêtres.
Lors de la conférence de presse du Vatican du 27 octobre, qui a suivi la publication du document, le cardinal luxembourgeois Jean-Claude Hollerich a été interrogé sur le thème de l’élargissement de la tente de l’église, en particulier pour ceux que le document considère comme marginalisés et dont les circonstances de vie peuvent les avoir mis en désaccord avec l’enseignement de l’église.
La tente, a-t-il dit, est ouverte à « toutes les personnes créées et aimées par Dieu ».
« Regardons simplement chaque personne comme une personne aimée par Dieu, appelée à l’existence par Dieu. Le Christ est mort pour cette personne sur la croix, alors si je ne suis pas capable de donner un espace à cette personne dans la tente, j’ai un problème avec Dieu », a déclaré Hollerich, qui est le modérateur, du synode.
Hollerich, qui a participé virtuellement à la conférence de presse, a été rejoint par le chef du bureau synodal du Vatican, le cardinal Mario Grech, et par les conseillers synodaux, le père jésuite Giacamo Costa, Mgr Piero Coda et la théologienne Anna Rowlands.
Sexisme, ordination des femmes
Le rapport consacre une attention particulière au rôle des femmes dans la vie de l’Église, notant qu’il s’agit d’une préoccupation mentionnée par tous les continents qui ont soumis des rapports synodaux.
« Les femmes restent la majorité de ceux qui assistent à la liturgie et participent aux activités, les hommes, une minorité ; pourtant, la plupart des rôles de décision et de gouvernance sont tenus par des hommes », peut-on lire. « Il est clair que l’Église doit trouver des moyens d’attirer les hommes vers une adhésion plus active à l’Église et de permettre aux femmes de participer plus pleinement à tous les niveaux de la vie de l’Église. »
Le document cite ensuite le rapport de la conférence épiscopale de Nouvelle-Zélande, selon lequel « le manque d’égalité des femmes au sein de l’Église est considéré comme une pierre d’achoppement pour l’Église dans le monde moderne. »
Le texte cite également un rapport des deux groupes de coordination qui représentent les membres des ordres religieux catholiques du monde, selon lequel « le sexisme dans la prise de décision et le langage de l’Église est répandu dans l’Église. »
« En conséquence, les femmes sont exclues des rôles significatifs dans la vie de l’Église, discriminées en ne recevant pas un salaire équitable pour leurs ministères et services », ont-ils ajouté. « Les religieuses sont souvent considérées comme une main-d’œuvre bon marché ».
Parmi les domaines à examiner, le document inclut la question du rôle des femmes dans les structures de gouvernance de l’Église, la possibilité pour les femmes de prêcher, le diaconat féminin et l’ordination des femmes au sacerdoce.
Sur la question de l’ordination, le texte indique : « Une bien plus grande diversité d’opinions a été exprimée sur le sujet de l’ordination sacerdotale des femmes, que certains rapports appellent de leurs vœux, tandis que d’autres considèrent comme une question close. »
La question du diaconat féminin est une question qui se profile depuis que François a lancé une commission en 2016 pour étudier les questions historiques entourant les femmes diacres, qui, selon le pape, n’a pas atteint un consensus sur le statut initial des diacres. François a ensuite formé une deuxième commission, qui est en cours, à la suite du Synode des évêques de 2019 de la région amazonienne de neuf nations, où le sujet avait été un thème dominant.
L’inclusion du sujet dans le document de travail pour la phase continentale du processus synodal indique que la question est susceptible d’être à nouveau examinée lors des rassemblements de Rome en 2023 et 2024.
Interrogées sur la question des femmes diacres lors de la conférence de presse, Mario Grech et Anna Rowlands ont toutes deux déclaré aux journalistes que cette question avait été incluse dans le document parce qu’elle était mentionnée dans un grand nombre de rapports soumis dans le monde entier.
« Elle y figure simplement comme un fait », a déclaré Rowlands, ajoutant qu’« il aurait été malhonnête de ne pas l’inclure dans le rapport. »
Les prochaines étapes
Bien que le document propose une litanie de questions à examiner, il souligne également que la synodalité ne consiste pas à soulever des préoccupations particulières, mais plutôt à mettre en place un nouveau processus ou une nouvelle façon d’« être l’Église », afin de favoriser une plus grande inclusion de ses membres.
Selon le document, pour y parvenir, il faudra modifier les structures de la bureaucratie centrale du Vatican (connue sous le nom de Curie romaine), le code de droit canonique, la liturgie de l’Église et le processus de formation des prêtres et des religieux.
De même, le document reconnaît que l’ensemble du processus de synodalité a ses sceptiques et que certains membres de l’église craignent que le processus ne modifie l’enseignement de l’Église ou ne réduise l’Église à un style de gouvernance démocratique.
C’est pourquoi, selon le document, « le chemin vers une plus grande inclusion – la tente élargie – est un chemin graduel ».
Alors que le processus synodal passe à l’étape continentale, le document demande aux participants de réfléchir à trois questions :
• Quelles sont les préoccupations qui résonnent le plus fortement avec les réalités de l’Église dans votre continent ?
• Quelles sont les tensions ou divergences importantes qui ont émergé sur votre continent ?
• Quelles priorités et quels thèmes devraient être partagés avec le reste du monde ?
En ce qui concerne les prochaines étapes du processus, un rapport final de chaque continent doit être soumis au Vatican d’ici la fin du mois de mars. Ce rapport servira de base au document de travail du synode, connu sous le nom d’Instrumentum Laboris, qui guidera la prochaine étape à Rome, et sera achevé en juin 2023.
Si le pape Paul VI a créé le synode des évêques à la fin du concile Vatican II en 1965, la « synodalité » est apparue comme un thème clé du pontificat de François.
Le Vatican a d’abord annoncé des plans pour un synode sur la synodalité en mars 2020, puis en mai 2021, a déclaré qu’il élargissait considérablement le processus pour inclure un processus d’écoute échelonné sur deux ans avec des étapes de consultation aux niveaux diocésain et continental avant une assemblée à Rome en octobre 2023 des évêques du monde entier.
Le 16 octobre, François a annoncé qu’il élargissait considérablement ce calendrier en ajoutant une réunion supplémentaire à Rome en octobre 2024, indiquant que le pape souhaite que le processus – et les discussions sur un certain nombre de sujets sensibles, comme indiqué dans le document récemment publié – se poursuive beaucoup plus longtemps que prévu.
« Si nous ne devenons pas une église synodale », a déclaré Mgr Grech lors de la conférence de presse du 27 octobre, « nous ne parviendrons pas à proclamer la joie de l’Évangile aujourd’hui ».
