Par Christine Fontaine.
Je suis au milieu d’une foule et un passant me reconnaît. Si c’est un inférieur et qu’il désire venir chez moi, il me dira : « Veuillez m’excuser de vous importuner, pourriez-vous m’accorder quelques instants chez vous. » Si cette personne est l’un de mes supérieurs, elle me dira, si elle est polie : « Auriez-vous l’obligeance de me recevoir aujourd’hui. » Si je croise un simple ami, il déclarera : « J’aimerais bien venir chez toi. » Mais il faut être extrêmement proche de quelqu’un pour oser lui dire : « Viens vite, il faut que j’aille chez toi dès aujourd’hui. » On ne s’exprime ainsi que si l’on croise un frère, à moins qu’on ne soit le plus grand des malotrus.
Lorsqu’un frère ou un ami très proche me reconnaît dans la foule et me dit qu’il faut qu’il aille demeurer chez moi tout de suite, il me fait part d’une urgence. Il y a forcément quelque chose que j’ignore, mais qui le pousse à agir ainsi. Sinon il se contenterait d’une simple accolade chaleureuse et remettrait sa visite à plus tard.
De mon côté, je ne répondrai à sa demande que si je reconnais en cet homme un ami. Autrement, je le considérerais simplement comme un importun qu’il serait même dangereux d’inviter chez soi…
Une demande urgente
« Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Zachée est bien connu de tous dans la ville de Jéricho. C’est le chef des collecteurs d’impôts. Le chef n’est pas celui qui, comme les publicains, va frapper à la porte des contribuables pour réclamer l’impôt. C’est celui qui a payé très cher aux Romains la charge de leur verser l’impôt qu’il fait collecter par d’autres : les publicains. Et si cette charge est très onéreuse, c’est qu’elle rapporte gros.
« Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Jésus se présente au chef des collecteurs d’impôts non comme un supérieur qui lui ferait la leçon, non comme un inférieur qui aurait une sollicitation à lui faire. Il se présente à lui comme un ami très proche voire un frère. Zachée de son côté, bien que grimpé sur son sycomore, ne considère pas Jésus de haut. « Vite il descendit, et reçut Jésus avec joie. » On pourrait dire que deux amis ou deux frères ce jour-là se rencontrent et s’accueillent mutuellement.
Mais quelle est l’urgence qui pousse Jésus à agir ainsi ? Quelle demande importante veut-il lui formuler ? En fait, Jésus ne lui demande rien et si Zachée s’engage à donner la moitié de ses biens aux pauvres, ce n’est pas parce que Jésus lui a fait la morale sur son comportement. Jésus n’a d’autre urgence que de signifier à Zachée l’amitié profonde qui l’unit à lui. Zachée n’a d’autre raison de recevoir Jésus, que d’avoir cru en son amitié.
Deux amis se rencontrent. Il était urgent qu’ils puissent se le signifier. D’autant plus urgent que Zachée n’est l’ami de personne. Les protestations de la foule en témoignent : « Voyant cela, tous récriminaient contre Jésus : “Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur !” » Pour tous, Zachée est un pécheur public. Pour Jésus, c’est un frère. Et la vie de Zachée en est bouleversée. Voici que d’être reconnu par Jésus comme un ami, lui donne le désir d’être l’ami de tous ceux qu’il exploitait jusqu’à ce jour. Car Zachée ne se contente pas de rectifier ses torts. Il fait bien plus que ce que la loi exigerait de lui. Aucune loi ne lui demande de donner la moitié de sa fortune aux pauvres. Et si les lois juives et romaines exigent que l’on rembourse quatre fois la somme usurpée, elles n’imposent ce remboursement que dans les cas majeurs et connus de tous. Jésus ne demande rien d’autre à Zachée que d’accepter son amitié. Zachée fait beaucoup plus que ce que Jésus aurait pu lui demander s’il était venu chez lui pour le rappeler à l’ordre.
L’urgence de Dieu
Ainsi Jésus vient-il chez les siens, non comme un juge ou un censeur, mais comme un ami. Fussions-nous le plus grand des pécheurs, Jésus n’a d’autre urgence que d’être reçu chez nous en ami dès aujourd’hui. Il ne nous demande rien d’autre. Il n’exige rien. Il nous demande de croire en son amitié, en sa fraternité. Est-ce à dire que les vrais amis de Jésus peuvent agir n’importe comment ou faire n’importe quoi ? Non, ils ne le peuvent vraiment pas. Mais ils ne sont pas conduits par l’obéissance à une quelconque morale. Ils sont habités par un certain esprit, un esprit de fraternité envers tous. Ils sont poussés par l’Esprit à agir envers leur entourage comme Jésus agit à leur égard. Le christianisme n’est pas une morale.
C’est une démarche d’amitié de Dieu à notre égard, une urgence de Dieu que nous le recevions non comme un juge, mais comme un ami. Ceux qui acceptent l’amitié de Dieu, ceux qui croient en son amour, ceux-là ne sont pas d’abord les fils de Moïse, le légiste. Ils sont, comme le dit Jésus, « fils d’Abraham », le croyant. Ils sont poussés par le souffle de Dieu à devenir les amis de tous. Il ne s’agit plus alors d’obéir à des règles ou de se sacrifier pour les autres. Il s’agit de se laisser guider par l’Esprit.
Le seul critère, au bout du compte, que nous accueillons Dieu – comme Zachée – en ami, est l’amour que nous portons aux autres. « Si quelqu’un dit : “Jaime Dieu”, et a de la haine pour son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et tel est le commandement que nous tenons de lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. » (1Jn 4,20-21). Il est urgent que les chrétiens, poussés par l’Esprit, agissent ainsi dès aujourd’hui !